Diplomatie. La visite officielle du roi dans les enclaves espagnoles irrite le Maroc. «Olé, olé, olé, nous sommes espagnols !» «Ceuta, c'est l'Espagne !» Hier, en fin de matinée, après avoir dévalisé les boutiques de drapeaux sang et or, ils étaient des milliers à converger vers la Plaza de Africa, à Ceuta, pour acclamer le couple royal Juan Carlos et Sofia. «C'est un grand moment. On l'attendait depuis si longtemps !» s'est réjoui le maire, Jesús Vivas. Trente-deux ans après son accession au trône, jamais le chef d'Etat n'avait foulé le sol de ce petit territoire de 19 km2 – annexé par l'Espagne à la fin du XVIe siècle –, coincé au nord-ouest du littoral marocain. «Je ne voulais pas laisser passer plus de temps sans venir vous rendre visite, a lancé Juan Carlos. C'est une dette que j'avais envers vous.» Le monarque bourbon soldera aujourd'hui une autre «dette historique», en se rendant dans l'enclave jumelle de Melilla, bien plus à l'est, non loin de la frontière algérienne. «Spoliés». Côté marocain, on n'apprécie guère la visite royale espagnole dans ces deux enclaves que Rabat a toujours revendiquées et considérées comme des «territoires spoliés par l'Espagne». La réaction est même plus véhémente que lors de la venue officielle de José Luis Zapatero à Ceuta et Melilla, en 2006, la première d'un chef de gouvernement depuis 1981. Le gouvernement marocain, qui a rappelé son ambassadeur à Madrid, Omar Azziman, a fustigé une «attitude lamentable» de la part de son voisin du nord. «L'Espagne doit comprendre que le temps du colonialisme est révolu, et irrévocablement», a déclaré le Premier ministre marocain, Abbas el-Fassi, hier, lors d'une session parlementaire à Rabat. Le chef du gouvernement avait plusieurs fois demandé à Madrid, en vain, de «renoncer» à ce voyage royal. A Rabat, des députés en colère ont fait un sit-in devant l'ambassade espagnole. Des centaines de Marocains ont manifesté de l'autre côté de la frontière contre une «provocation». Ce week-end, des protestations avaient eu lieu dans la ville voisine de Tétouan. Désireuses de ne pas se fâcher avec un «voisin ami, un allié stratégique et un grand partenaire commercial», les autorités espagnoles avancent à pas de velours. A Ceuta, le roi, qui entretient des relations amicales avec Mohammed VI (tout comme avec son père Hassan II), a pris soin de souligner «la sincère amitié qui unit l'Espagne à ses voisins», sans mentionner l'«hispanité» de l'enclave. Côté gouvernemental, on espère que ce désaccord n'altérera pas le réchauffement bilatéral obtenu sous Zapatero. Dès son arrivée au pouvoir, en avril 2004, le Premier ministre socialiste s'était aussitôt rendu à Rabat, afin d'enterrer les contentieux alimentés sous Aznar : en juillet 2002, après que des gendarmes marocains ont débarqué sur l'îlot de Persil (Leila, pour les Arabes), Madrid avait envoyé des navires de guerre «récupérer» le minuscule territoire. Washington avait dû jouer les bons offices pour trouver une issue pacifique. Calcul.A la différence de ce qui s'était passé alors, aucune rupture diplomatique prolongée n'est envisagée – ce que confirment la plupart des médias espagnols ou marocains. Mais la tension est montée d'un cran ce week-end. D'autant que l'ire du royaume chérifien se nourrit d'autres griefs. La visite royale à Melilla coïncide, ce mardi, avec le 32e anniversaire de la Marche verte, l'annexion du Sahara occidental sous Hassan II. Pire : le juge Baltasar Garzón a annoncé la semaine dernière son intention de juger une quinzaine de hauts responsables marocains pour «génocide et tortures» dans cette région désertique. De plus, El Pais soulignait hier que Rabat estime ne pas avoir été récompensé par Madrid, malgré l'aide fournie à la police espagnole pour contenir les vagues de clandestins africains qui déferlaient sur Ceuta et Melilla, durant l'automne 2005. Zapatero, sans doute surpris par la vive réaction du Maroc, fait quant à lui un calcul électoral : à quatre mois des législatives, la visite de Juan Carlos lui permet de jouer sur la fibre patriotique et de contrecarrer les accusations de la droite le taxant d'«antiespagnol».