Le constat est sévère, mais pertinent : le secteur de la distribution du voyage au Maroc est « atomisé et fragile, faiblement positionné pour saisir les opportunités (...) voire pour les développer ». C'est ce qui ressort d'une étude réalisée pour le compte du ministère du tourisme par le cabinet international Corporate Value Associates (CVA) et dont La Vie éco a pu se procurer copie. L'objectif de l'étude était double : primo dresser l'état des lieux du secteur de la distribution du voyage et sortir avec des recommandations pour le développer, en mettant en exergue les opportunités qui s'offrent à cette activité, à la lumière de ce qui se passe dans d'autres pays, et en tenant compte des spécificités nationales. En somme, élaborer une stratégie et un plan d'action pour l'avenir. Secundo, proposer une mise à jour des textes législatifs pour accompagner cette stratégie, des textes qui sont, selon de nombreux professionnels, parfois décourageants. La première partie de cette étude, celle concernant le diagnostic, a été présentée aux voyagistes le 23 juillet dernier, lors d'un séminaire organisé à Skhirat, mais les recommandations finales ne seront présentées qu'au début du mois de septembre. Et si l'on en croit certains professionnels, ces derniers ont demandé au bureau CVA de revoir sa copie, sur de nombreux points, en approfondissant, notamment, le descriptif du tissu des agences de voyages. Quel visage présentent donc les agences de voyages marocaines ? Peu réjouissant, car, sur un tissu de 570 agences, on trouve seulement 762 points de vente, ce qui veut dire que la plupart des agences n'ont pas encore de succursales, encore que les points de vente aient connu une importante croissance ces dernières années. Dans la réalité, 81% des agences, soit 463, ont un seul point de vente, 68 autres ont 2 points de vente et 39 agences ont 3 points de vente ou plus. Par ailleurs, sur les 570 agences, 505 traitent un volume d'affaires inférieur à 20 millions de dirhams, 39 agences un volume situé ente 20 et 50 millions de dirhams et seulement 6 entités dépassent les 100 millions de dirhams. En d'autres termes, près de 90% des agences sont de petites unités. De surcroît, il existe une forte concentration des points de vente au niveau des villes de Casablanca et Marrakech, qui totalisent 362 points de vente, suivies de Rabat, Tanger et Agadir qui en comptent une cinquantaine chacune. Les regroupements d'agences de voyages, une nécessité Certes, relève l'étude, des initiatives de regroupements et de collaboration entre agences ont été observées ces deux dernières années. Ainsi en est-il d'un consortium, « Travel Partners Morocco », formé de 7 agences, sous forme de groupement d'intérêt économique, qui a déjà à son actif quelques actions communes (négociations de contrats d'assurances, brochures communes, plan de formation, etc.). On observe également le cas de l'opérateur Atlas Voyages, qui a tenté de faire commercialiser ses produits par des agences tierces, mais une telle démarche s'est heurtée à quelques difficultés de partage des bénéfices de commercialisation des produits, peut-on lire dans l'étude. Autre faiblesse, et non des moindres : le tourisme marocain est fort dépendant du réceptif à travers un nombre limité de TO étrangers, ce qui représente un risque, et on l'a vu en cas de crise au niveau international, surtout en l'absence d'un tourisme intérieur structuré et développé. Le Maroc est ainsi classé parmi les groupes de pays faibles, ceux qui vivent du réceptif et de la billetterie, directe ou indirecte, avec un potentiel de production réduit, malgré l'existence de quelques leaders dans la profession, que l'on peut compter sur les doigts d'une main. Enfin, l'étude n'a pas manqué de mettre en exergue un autre problème, celui des opportunités ratées. En se penchant sur les caractéristiques du tourisme dans les marchés émetteurs, elle met en exergue le fait que ces réservoirs de touristes envoient une infime partie de leurs ressortissants au Maroc. L'étude pèche cependant, sur ce volet, par l'absence de proposition de palliatif. Elle ne parle pas - ce qui aurait pu être instructif pour nos agenciers - des moyens à mettre en œuvre pour développer un réceptif diversifié et dynamique. Tout ceci pour nous dire que les pays qui sont en avance en matière touristique sont ceux où le voyage est développé sur trois fronts : l'import, l'export et le tourisme intérieur, les deux derniers segments étant de fait encore embryonnaires au Maroc. Néanmoins, on apprend quand même ce que le Maroc pèse en tant que destination, avec des commentaires qui n'incitent pas toujours à l'optimisme. Ainsi, si l'on prend la région et les destinations comparables, on remarque que le Maroc reste encore bon dernier pour le tourisme de proximité, c'est-à-dire venant des pays de l'Europe de l'Ouest. Sur 15 millions de touristes que cette région émet vers le bassin méditerranéen, le Maroc est classé bon dernier avec 14% de parts de marché, derrière la Tunisie (18%) et l'Egypte (22%), la Turquie s'adjugeant la part du lion avec 46% des arrivées à partir des pays d'Europe de l'Ouest. Il faut cependant relever que si l'on prend les gros pays émetteurs de l'Europe de l'Ouest, le Maroc fait un peu mieux : il reste la destination privilégiée des Français, captant 28% des envois vers l'ensemble des quatre pays concurrents (Maroc, Tunisie, Turquie, Egypte), alors que le marché allemand est davantage orienté vers la Turquie, avec 37% des sorties, et que les Italiens, eux, préfèrent aller en Egypte avec 30% de parts. Concernant les touristes espagnols, malgré la proximité, le Maroc compte tout juste pour 8%. Et encore, l'étude nous apprend que, malgré la prédominance du marché français sur la destination Maroc, celui-ci offre encore des opportunités de développement pour peu que l'on s'y intéresse. En effet, nous dit-on, « la destination Maroc reste peu consolidée, 5 leaders regroupent moins de 40% du marché, et laissent la place à de nouveaux entrants qui peuvent devenir des champions ». Enfin, conclut l'étude, tous les marchés européens sont faiblement structurés sur le Maroc, et en Allemagne, par exemple, 63% des parts de marché sur le Maroc sont à prendre, alors que sur l'Italie et sur la Grande-Bretagne, les parts de marché encore à prendre sont de l'ordre de 90%. Bonne nouvelle donc, même si les rédacteurs de l'étude se posent deux questions auxquelles ils ne donnent pas encore de réponse : comment se différencier pour s'extirper du produit standard ? Et comment vendre dans les pays émetteurs ? Les réponses devraient arriver avec les recommandations définitives en septembre prochain.