Microsoft, vétéran aguerri de litiges juridiques de proportions épiques tant aux États-Unis qu'en Europe, exhorte les instances réglementaires à envisager l'empêchement du plan d'acquisition par Google de DoubleClick, une firme de publicité en ligne. Microsoft affirme que l'entente de 3,1 milliards de $, annoncée vendredi dernier, nuirait à la saine concurrence dans le marché en pleine croissance de la publicité sur le Web, soulignant du même coup la concentration inquiétante de renseignements personnels archivés sur les serveurs de Google, déjà un acteur dominant du domaine de la publicité en ligne. Dans une entrevue publiée aujourd'hui, Bradford L. Smith, directeur du contentieux chez Microsoft, a déclaré que l'achat de DoubleClick par Google «combinerait les deux plus gros distributeurs de publicité en ligne», ce qui «réduirait significativement la concurrence dans le marché de la publicité sur Internet.» Google et DoubleClick, selon M. Smith, seraient dans une position leur permettant «d'observer et de capter des renseignements sur les consommateurs à une échelle inégalée.» Google suit les intérêts et les préférences des millions d'internautes qui se servent de son moteur de recherche. DoubleClick est le chef de file parmi les compagnies spécialisées dans le placement d'annonces graphiques ou vidéo sur des sites Web. Les réseaux de serveurs publicitaires comme DoubleClick placent de petits programmes appelés cookies sur les ordinateurs personnels, qui suivent ce qu'un internaute fait en ligne. AT&T, elle-même un ancien monopole, a joint aujourd'hui sa voix à celle de Microsoft. Jim Cicconi, vice-président aux affaires externes chez AT&T, a déclaré, «Nous estimons que les autorités antitrust devraient se pencher sérieusement sur cette entente et en examiner à fond toutes les implications.» Microsoft est au nombre des compagnies qui, comme Yahoo et Time Warner, ont perdu l'enchère pour DoubleClick aux mains de Google. M. Cicconi estime qu'AT&T, par contraste, serait particulièrement affectée par une combinaison Google-DoubleClick parce qu'AT&T distribue des services sur Internet comme la télévision numérique, appelée IPTV. «Le moteur commercial principal de plusieurs de ces nouveaux services Web pourrait être le modèle de revenus générés par la publicité en ligne », dit-il. «Le danger qui plane ici, c'est que Google soit dans une position de choisir les «gagnants» et les «perdants» sur ce marché.» M. Smith de Microsoft a précisé que la compagnie n'avait pas encore approché les instances réglementaires américaines pour discuter de ses préoccupations concernant l'acquisition de DoubleClick par Google. D'après M. Smith, des conversations tenues avec plusieurs compagnies médiatiques et autres au cours de la fin de semaine lui permettent de croire que plusieurs firmes exprimeront de semblables inquiétudes. L'examen antitrust initial de fusions et d'acquisitions dure 30 jours. Il n'est pas encore certain si le département de la Justice ou la Federal Trade Commission, à qui incombent des responsabilités partagées de surveillance antitrust, examineront particulièrement l'entente entre Google et DoubleClick. Selon l'analyse de Microsoft, a souligné M. Smith, la combinaison des deux compagnies permettra à Google de contrôler 85% du marché de la distribution d'annonces à des éditeurs Web. Le PDG de Google, Eric Schmidt, a répliqué en considérant le marché publicitaire dans son ensemble, disant que dans cette perspective, «Google et DoubleClick ne constituent chacune que de petites composantes d'un bien plus vaste marché publicitaire», et que les deux compagnies doivent affronter une vive concurrence. Il a ajouté qu'il est d'ailleurs facile de passer à des produits offerts par des rivaux de Google et de DoubleClick. «Nous comprenons que cette entente doive passer par un processus réglementaire aux États-Unis et en Europe», a dit M. Schmidt. «Toutes ces préoccupations seront abordées et ces sujets débattus, un processus que nous accueillons favorablement.»