Qu'est ce qui a fait que deux grèves du secteur des transports aient si dangereusement secoué le Maroc, la deuxième manquant d'asphyxier l'économie du pays ? Un projet de code de la route incompris et la peur des sanctions qu'il contient ou son instrumentalisation par certains lobbies politiques et professionnels ? Les faits et les explications du ministre du transport. LE secteur des transports a été paralysé par deux grèves, l'une a commencé le 11 mars et a duré deux jours, l'autre le 4 avril et n'a été levée que trois jours plus tard avec quelques poches de résistance à Agadir et Meknès où certains grévistes ont joué les prolongations. La première grève a donné l'alerte - certaines stations d'essence n'étaient plus approvisionnées dans l'après-midi du deuxième jour - mais n'a pas été aussi spectaculaire que la seconde. Pour la simple raison que les chauffeurs (de poids lourds, bus et taxis) n'y avaient pas participé. De même, les syndicats ne sont entrés en scène que dans la seconde phase du débrayage. La grève du 4 avril, elle, a quasiment mis le pays en état de couvre feu : plus aucune activité dans les ports, rares légumes dans les marchés, pas de moyens de transport pour les travailleurs, si ce n'est les charrettes... Et, corollaire de tout cela, une rapide flambée des prix ! A l'origine de ce désordre, le projet du code de la route. Mais, curieusement, un projet du code de la route (appelé projet 52 - 05), dont la première mouture était prête en 2005, qui a été approuvé en conseil des ministres en juillet 2006 et qui a été déposé au Parlement le 15 janvier 2007... Que s'est-il donc passé pour qu'il y ait subitement ce que le ministre des transports, Karim Ghallab, a qualifié d'« inflammation psychologique » ? Certes, il y a une peur légitime. En apprenant que le nouveau code de la route punirait les accidents de lourdes peines de prison et de fortes amendes, tous les conducteurs, professionnels ou non, ont paniqué. Il y a aussi une réalité incontestable : le code est perfectible à plusieurs égards. Même le ministre en convient. Certains de ses articles sont à revoir. Il y a enfin le sempiternel déficit de communication du gouvernement. Le projet est arrivé au Parlement sans être accompagné de campagnes explicatives, sans que le contenu ne fasse l'objet d'une quelconque diffusion dans la presse... Chez la population et même chez les représentants de la profession qui étaient de bonne foi, l'incompréhension était totale. Beaucoup pensaient du reste que le code de la route était déjà entré en application. Le mouvement de protestation a donc été massif, mais l'incompréhension en est-elle la seule cause ? Le ministre répond franchement : non. Il sait bien que l'actuelle conjoncture électorale favorise un certain opportunisme politique. D'où les actions isolées de quelques députés qui se sont saisis de l'affaire. Il n'oublie pas l'approche du 1er mai qui mobilise, pour un oui, pour un non, les syndicats. Et il soupçonne surtout fortement certains lobbies du transport - que l'assainissement du secteur dérange - d'avoir profité de l'impopularité du nouveau code de la route pour jeter de l'huile sur le feu. « Puis le feu a pris si rapidement que cela a dépassé même ceux qui l'ont allumé », commente Karim Ghallab. Mais le ministre est résolu à défendre le code, avançant plusieurs raisons à cela. D'abord et avant tout, souligne-t-il, ce que tout le monde perd de vue, c'est que ce code est une réponse à une situation catastrophique où le Maroc tient le triste record de voir mourir sur ses routes 10 personnes par jour en moyenne et d'en voir blesser 120. Ce qui a un coût équivalent à 2% du PIB, soit 11 milliards de DH par an. Et la situation ne s'améliore pas. Selon les dernières statistiques relatives aux accidents de la route, pour ce seul mois de février, il y a eu une augmentation de près de 27% du nombre de tués. Le code est à cet égard « un projet sociétal ». En ce qui concerne la lourdeur des peines, Ghallab a une réponse imparable faite de deux arguments. Le premier consiste à rappeler que la sanction n'est vraiment lourde que lorsque le délit est vraiment grave et que la sanction est faite justement pour être dissuasive. Le second consiste à préciser qu'en ce qui concerne les peines, il n'y a rien de nouveau depuis les années 70. Les sanctions qui font tellement peur dans le nouveau code de la route sont celles qui existent aujourd'hui dans le code pénal. Elles ont juste été déplacées du code pénal vers le code de la route. Mieux, certaines peines, affirme le ministre, ont été réduites. Le pouvoir d'interprétation de l'administration a également été réduit. C'est la justice qui décide des peines et non l'agent qui constate l'infraction. Une chose est sûre : le code ne sera pas retiré. Il pourra cependant être amendé. D'ailleurs, cela fait partie de l'accord qui a permis de sortir de la crise et donc de lever la grève : les amendements proposés par la profession qui seront jugés pertinents seront présentés par les députés de la majorité au Parlement. En attendant, quelques concessions ont été faites, « toutes dans le cadre de la légalité », relève Karim Ghallab. Par exemple, le permis de conduire ne sera plus retiré ; 150 de ces précieux documents ont été restitués ; la contre visite ne sera plus exigée ; etc. Cela paraît simple, mais il a fallu à Karim Ghallab des trésors de patience et d'habileté pour en arriver à ce résultat. D'autant que la profession n'est pas réellement structurée. Le gouvernement avait bien signé un contrat-programme avec la seule fédération que le secteur compte... Mais, à l'occasion de cette grève, le ministère s'est retrouvé face à une soixantaine d'associations. Pour certaines d'entre elles, leurs membres signaient un accord avec le ministre la nuit et reprenaient la grève le matin... Le code n'est pas tombé du ciel La réforme du code de la route fait partie des 7 axes du fameux PSIU, le plan stratégique intégré d'urgence qui avait été approuvé par le comité interministériel de sécurité routière (CISR), en novembre 2003. Les 7 axes du PSIU sont les suivants : 1 - Coordination et gestion intégrée de la sécurité routière par le CISR 2 - Législation (réforme du code de la route) 3 - Renforcement du contrôle et des sanctions 4 - Qualification des conducteurs et réforme du système des examens du permis de conduire 5 - Amélioration des infrastructures routières et voiries urbaines 6 - Mise à niveau du système d'urgence et de secours 7 - Information, sensibilisation et éducation En bref... - Il n'y avait pas que le code de la route... Lors des négociations, le ministre du transport a-t-il été étonné de voir que les grévistes n'avaient pas que des revendications portant sur le code de la route, mais aussi des réclamations sectorielles qui n'ont rien à voir avec ce code ? A la réunion qu'il a eue avec les grévistes et qui a duré de 20 heures à 4h du matin, ce n'est qu'à 1h du matin que le dossier du code de la route a été abordé et encore... C'est le ministre qui a abordé le sujet ! - On ne badine pas dans la profession Les taxis ont carrément bloqué l'autoroute après que le ministre ait annoncé la fin de la grève. Ils ont barré l'accès à la gare de Oulad Ziane ! Dans les ports, ceux qui ont travaillé (12 camions ont été conduits, en désespoir de cause, par leurs propriétaires) ont reçu des menaces de mort ! Sans compter les casseurs qui se sont violemment attaqués à ceux qui voulaient travailler malgré la grève, et dont certains (une dizaine) ont été mis en prison. - Intérêt général et intérêts catégoriels Karim Ghallab partage la poire en deux. Pour lui, il faut défendre l'intérêt général, mais pas au détriment des intérêts catégoriels. Cependant les intérêts catégoriels ne doivent pas l'emporter sur intérêt général. Même raisonnement chez le Premier ministre qui a su, avec une telle philosophie, rassurer les grévistes... - Benchmark Dans le gouvernement Jettou, on affectionne le Benchmark. Le Premier ministre en avait demandé un pour le code de la presse... Il en a également été établi un autre pour le code de la route. La comparaison - le Benchmark donc - a été faite avec la France, la Tunisie, le Sénégal. Résultat : le Maroc se situe entre ces pays... - Corruption Le ministre reconnaît que la corruption gangrène le secteur. Cela, explique-t-il, a d'ailleurs été pris en compte dans tout ce qui a été entrepris pour réformer le code de la route. Lui-même n'hésite pas à envoyer devant la justice - et donc en prison - toute personne relevant de son département qui se rend coupable de corruption. La gendarmerie, ajoute-t-il, a radié une dizaine de ses éléments, l'année dernière, pour les mêmes raisons... Projet du code de la route : Ce que prévoient certains articles controversés Une véritable psychose a été créée autour du projet de loi 52-05 portant réforme du code de la route. Pourtant, nombreux sont ceux qui contestent le contenu de ce projet sans jamais l'avoir lu ni même vu. Certains exagèrent ses méfaits dans un but « syndicalocratique » évident. Le premier mai approche. D'autres, le diabolisent à des fins électoralistes non avouées. La campagne pour les législatives est pour bientôt. D'autres encore, usent et abusent d'un esprit corporatiste étriqué. Et la plupart joue aux moutons de Panurge. C'est à dire dénigre un projet que tout le monde dénigre. Comme toujours, c'est le bouche à oreille qui a le plus fonctionné pour « descendre en flammes » les nouvelles dispositions réglementaires proposées par le département du Transport et de l'Equipement. De ces dispositions, les critiques ne font ressortir que des peines d'emprisonnement lourdes, sans préciser dans quelles circonstances ces sanctions pourraient tomber. Ils ne relatent que les amendes de 1000, 2000, voire 7000 DH. Bien entendu, sans donner l'article déterminant ces « tarifications »... Dans la cacophonie ambiante, les arguments raisonnés font défaut. Et c'est la polémique, suivie de débrayages, qui prend le dessus. On en arrive même à oublier qu'il ne s'agit que d'un projet, toujours à l'étude au parlement, qui n'aura de sens que s'il est enrichi par les remarques des uns et les observations des autres. Voici quelques articles contestés qui donnent une idée de l'esprit du projet de loi et qui ne sont pas encore entrés en vigueur - les responsables du ministère ne cessent de le répéter - parce que pas encore entérinés par le parlement. - Permis à points - Article 22 Le permis de conduire est affecté d'un capital de points, qui est réduit de plein droit si le titulaire du permis de conduire a été condamné pour une infraction pour laquelle cette réduction est prévue ou a payé une amende transactionnelle et forfaitaire dans les cas prévus par la présente loi ou par les textes pris pour son application. Le permis de conduire est annulé lorsque le capital de points qui lui est affecté est épuisé. - Article 28 La réalité d'une infraction entraînant un retrait de points du capital du permis de conduire, est établie par le paiement d'une amende transactionnelle et forfaitaire ou par une décision judiciaire de condamnation ayant acquis la force de la chose jugée. Le contrevenant est informé que le paiement de l'amende équivaut reconnaissance de la réalité de l'infraction de l'infraction et entraîne de plein droit la réduction de son capital de points par le retrait des points correspondants à l'infraction reconnue. Le retrait des points affecte à la fois toutes les catégories du permis de conduire obtenues par le titulaire. - Article 29 Le nombre de points à retirer est fixé selon la gravité de l'infraction commise. - Article 110 Outre les cas prévus par la loi, la mise en fourrière est ordonnée immédiatement par l'officier de la police judiciaire, par l'agent verbalisateur ou par l'autorité judiciaire, dans les cas suivants : 1- Lorsque le véhicule est muni de fausses plaques d'immatriculation ; 2- Lorsqu'il y a usage frauduleux de certificat d'immatriculation ; 3- Lorsque le véhicule est dépourvu de plaques d'immatriculation ou d'inscription prévues par les textes en vigueur ; 4- Le défaut d'immatriculation des véhicules ; 5- Conduite d'un véhicule, dont la conduite nécessite l'obtention d'un permis de conduire, par un conducteur non titulaire du permis de conduire, lorsqu'il s'agit du propriétaire ou lorsque la conduite a eu lieu, sous ses ordres ou avec son autorisation, par une personne non titulaire du permis de conduire ; 6- Le défaut de satisfaction à l'obligation d'assurance ; 7- Conducteur qui, ayant causé ou occasionné un accident de la circulation routière, ne s'arrête pas et tente, soit en prenant la fuite, soit en modifiant l'état des lieux, soit par tout autre moyen, d'échapper à la responsabilité qu'il peut encourir ; 8- Le dépassement du poids total en charge autorisé de plus de 40% ; 9- Le refus d'obtempérer en cas d'entrave à la fermeture d'une barrière interdisant le passage pendant les périodes d'inondations, de gel ou de dégel, de neige ou d'ensablement ou de restriction de la circulation sur la voie publique ; 10- L'usage des feux spéciaux et signaux sonores réservés exclusivement aux véhicules des autorités de police, de gendarmerie, d'agents d'autorité ou de véhicules d'intervention urgente ; 11- Les véhicules dont le conducteur fait usage d'un instrument ou appareil antiradar ; 12- Les véhicules dont les dispositifs de limitation de vitesse ou de mesure de vitesse et de temps de conduite, ont été modifiés ; 13- Les véhicules en infraction aux dispositions relatives à l'homologation ; 14- Les véhicules ou remorques dont les caractéristiques techniques ont été modifiées et remis en circulation sans faire l'objet d'une homologation ; 15- Les véhicules gravement accidentés et remis en circulation après réparation sans faire l'objet d'une homologation ; 16- La mise en circulation d'un véhicule techniquement irréparable ; 17- La circulation d'un véhicule avec un faux certificat de contrôle technique ; 18- La mise en circulation d'un véhicule sur la chaussée causant un dommage à la voie publique ; 19- Le véhicule abandonné sur la voie publique ou sur ses dépendances ; La durée de mise en fourrière est fixée, le cas échéant, dans les cas susvisés, par l'autorité judiciaire. - Article 152 Toute personne qui conduit avec un faux permis de conduire un véhicule dont la conduite nécessité l'obtention d'un permis de conduire est punie d'un emprisonnement de 6 mois à 3 ans et d'une amende de 2.000 à 5.000 DH. Le contrevenant ne peut passer l'examen pour l'obtention d'un permis de conduire qu'à l'expiration d'un délai d'un an à cinq ans, à compter de la date du prononcé d'une décision ayant acquis la force de la chose jugée. - Article 167 Tout conducteur qui, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence, prévue par la présente loi ou par les textes pris pour son application, cause involontairement à autrui des blessures, des coups ou une maladie consécutifs à un accident de la circulation, entraînant une infirmité permanente est puni d'un emprisonnement de 6 mois à 4 ans et d'une amende de 2.000 à 10.000 DH. La peine est un emprisonnement de 6 mois à 5 ans et une amende de 8.000 à 30.000 DH, si le conducteur, au moment de l'accident : 1. est en état d'ivresse ou sous l'influence de l'alcool, ou sous l'influence de substances stupéfiantes ou sous l'effet de substances médicamenteuses contre-indiquées pour la conduite d'un véhicule ; 2. a commis un dépassement de la vitesse maximale autorisée égal ou supérieur à 50 km/h ; 3. n'est pas titulaire d'un permis de conduire ou de la catégorie requise pour la conduite du véhicule ; 4. conduit en violation d'une décision de retrait, de suspension ou d'annulation du permis de conduire ; 5. a commis l'une des infractions suivantes : a- le non respect de l'arrêt obligatoire imposé par un feu rouge de signalisation ; b- le non respect de l'arrêt obligatoire imposé par un panneau (Stop) ; c- le non respect du droit à la priorité ; d- le dépassement ou le croisement défectueux ; e- le franchissement d'une ligne continue dans le cas où cette manœuvre est interdite ; f- la vitesse est excessive par violation des signaux de ralentissement indiqués par les panneaux de danger ; g- le stationnement non réglementaire, de nuit, sans lumières en dehors d'une agglomération ; h- défaut de freins réglementaires des véhicules ; 6. sachant qu'il vient de causer ou d'occasionner un accident, ne s'est pas arrêté ou a modifié l'état des lieux et a tenté ainsi d'échapper à la responsabilité pénale ou civile qu'il peut encourir. Flashs Prix Les prix des fruits et légumes ont flambé durant la grève observée dans le secteur du transport. Certains produits (tomates, oignons) ont plus que doublé de prix. Transport alternatif A Casablanca, la grève a donné l'occasion aux carrioles et aux triporteurs de reprendre du service. Nombreux sont les employés de bureaux qui ont dû recourir à ce mode de transport pour se rendre à leur travail. Motos et auto-stop Certains motocyclistes ont profité de la grève pour transformer leur véhicule en taxis à deux roues. Ils ont surtout transporté des travailleuses et des travailleurs pressés d'arriver à l'heure au travail par n'importe quel moyen. Sabotage Durant la grève, cinq individus ont été interpellés à Casablanca et un autre à Khénifra pour entrave à la liberté du travail. Les personnes interpellées s'étaient livrées à des jets de pierres contre des autobus et des camions assurant normalement leur service. Surcharge des trains Les trains navettes rapides reliant Casablanca à Kenitra ont été surchargés de voyageurs pendant les jours de grève. Grève qui a coïncidé avec la période des vacances scolaires. Auto-stop L'auto-stop était l'ultime recours pour ceux qui n'ont trouvé aucun moyen de locomotion durant la grève. Les automobilistes dans un geste de solidarité s'arrêtaient pour aider certaines personnes en difficulté. Mais, visiblement, l'auto-stop marchait mieux pour les filles.