Encouragés par une organisation active, des sympathisants du Premier ministre ukrainien Viktor Ianoukovitch se montrent prêts à poursuivre durant des semaines leur mouvement de protestation pour faire tomber son adversaire, le président pro-occidental Viktor Iouchtchenko. Billets de banque et bouteilles d'eau en main, des centaines de partisans de Ianoukovitch font la navette entre les régions russophones d'Ukraine et Kiev pour soutenir celui qu'avait humilié Iouchtchenko durant la "révolution orange" de 2004. Des milliers d'entre eux ont dressé des camps de toile (en grande partie inoccupés) sur la place de l'Indépendance et devant la présidence, dans le centre de Kiev. Défilant au milieu d'innombrables drapeaux bleus, ils se sont donné de nouveaux slogans, notamment "Pour la stabilité". La "contre-révolution bleue" tarde néanmoins à voir le jour. "Nous sommes ici pour nous battre en faveur de l'unité de l'Ukraine (...), pour dire au président Iouchtchenko que sa politique ne fonctionne pas et que nous voulons un meilleur niveau de vie", déclarait Mykola Makarenko, retraité de la ville de Tchernihiv (nord), l'une des plus pauvres du pays. "Ianoukovitch peut arranger les choses. Nous ne voulons pas de crises du sucre, du pétrole, de la viande", ajoute Makarenko devant une tente de la place de l'Indépendance. "Je resterai ici jusqu'au bout, peut-être des mois", ajoute-t-il sans se soucier d'un mot d'ordre de suspension des manifestations pour les Pâques orthodoxes. Ses sentiments sont ceux de nombreux Ukrainiens, parmi lesquels Iouchtchenko a fait des déçus depuis la révolution de la fin 2004. Des centaines de milliers de personnes étaient alors descendues dans les rues pour le propulser au pouvoir et renverser le pro-russe Ianoukovitch après un scrutin frauduleux. Le président pro-occidental a dissous l'assemblée lundi et fixé au 27 mai des élections anticipées, ce qui est interprété comme une ultime tentative pour réaffirmer son autorité. LE PARLEMENT RUSSE APPUIE IANOUKOVITCH Ianoukovitch, qui a renforcé son emprise sur le parlement en débauchant des membres de l'équipe présidentielle, a refusé de participer aux élections, provoquant ainsi une épreuve de force qui paralyse le pays. A Moscou, la Douma d'Etat, chambre basse du parlement russe, a pris fait et cause pour Ianoukovitch vendredi dans son opposition au décret de Iouchtchenko et aux élections. "Les députés de la Douma d'Etat partagent l'appréciation de la chambre ukrainienne (...) selon laquelle (le décret) contrevient à la constitution ukrainienne", dit une résolution adopté à l'unanimité par la chambre basse russe. "(Ils) expriment donc de fortes objections aux tentatives pour régler la crise en dissolvant un parlement légitimement élu." Le parlement ukrainien a par ailleurs exhorté le pape Benoît XVI à empêcher le clergé catholique de s'ingérer dans la politique du pays en soutenant le président Iouchtchenko. De hauts dignitaires religieux, dont le cardinal catholique Loubomir Housar et le chef d'une des trois églises orthodoxes ukrainiennes, ont salué jeudi le décret de Iouchtchenko. "Il est à espérer que l'Eglise apostolique romaine restera au-dessus des batailles politiques", indiquent les députés dans un appel approuvé à la majorité et cité par des médias. Sur la place de Kiev, beaucoup de personnes semblaient profiter d'une journée dans la capitale et des bonnes choses offertes gracieusement. "Je ne suis pas venue à Kiev depuis l'école. Nous sommes allés au (monastère) de Pecherska Lavra, avons vu le parlement et nous sommes promenés. C'est une belle ville", confiait Oksana, qui travaille dans un établissement scolaire d'Odessa. "Je ne suis pas contre le président. Mais le parlement avait entrepris des choses quand il l'a dissous. Je veux qu'il entende ma voix." Parmi ceux qui pique-niquaient sur l'herbe, une femme a subrepticement distribué des billets d'un montant équivalant à 10 dollars. D'autres faisaient la queue pour obtenir des bouteilles d'eau ou flânaient dans la rue principale de Kiev (Khrechtchatyk) en sirotant une bière. "Je vais rester ici cinq heures et rentrerai chez moi", déclarait Sacha, 18 ans. Compte-t-il revenir samedi ? "Non, c'est Pâques, je dois rester à la maison. Je ne sais pas quand je reviendrai."