Un rédacteur en chef turc d'origine arménienne, Hrant Dink, condamné l'an dernier pour atteinte à l'identité turque, a été abattu vendredi à Istanbul devant les locaux de son hebdomadaire, Agos, a rapporté la télévision turque NTV. NTV a précisé que Dink, journaliste controversé qui s'était souvent attiré la colère des nationalistes turcs, avait été tué de trois balles dans la tête et le cou par un inconnu vers 13h00 GMT, alors qu'il sortait des bureaux d'Agos, dans le centre d'Istanbul. Le Premier ministre turc Tayyip Erdogan a réagi en dénonçant une attaque contre la paix et la stabilité de la Turquie. Il a déclaré lors d'une conférence de presse convoquée en toute hâte que deux hommes avaient été arrêtés dans le cadre de l'enquête sur le meurtre de Dink. Les deux suspects ont ensuite été relâchés, selon NTV. A Paris, le ministre français des Affaires étrangères Philippe Douste-Blazy a fait part de sa "très grande émotion" et rendu hommage à "un grand défenseur des droits de l'homme (...) convaincu de l'importance du dialogue turco-arménien". "Je salue la détermination des autorités turques à faire toute la lumière sur cet acte aussi lâche qu'odieux", a-t-il ajouté dans un communiqué. Le principal indice de la Bourse turque a chuté à l'annonce du meurtre. Muharrem Gotuzok, propriétaire d'un restaurant proche du journal, a dit que l'agresseur, âgé d'une vingtaine d'années, portait des jeans avait crié avant de prendre la fuite: "Je tire sur le non-musulman". "Hrant était la cible parfaite pour ceux qui veulent entraver la démocratisation de la Turquie et son accession à l'Union européenne", a déclaré à Reuters un journaliste d'Agos, Aydin Engin. "Cette balle a été tirée contre la Turquie (...), une image a été créée d'une Turquie où les citoyens d'origine arménienne ne sont pas en sécurité", a renchéri Taha Akyol, rédacteur en chef de CNN Türk. Le ministère turc des Affaires étrangères a publié un communiqué affirmant qu'il "condamne avec force et maudit cette attaque abominable". Sur place, des manifestants scandaient "le gouvernement meurtrier paiera" et "tous ensemble contre le fascisme". A Strasbourg, Terry Davis, secrétaire général du Conseil de l'Europe, a condamné "un crime haineux" contre un homme dont les "écrits étaient empreints d'un sincère esprit de réconciliation". Le Conseil de coordination des organisations arméniennes de France a annoncé l'organisation d'un rassemblement en mémoire de Dink devant l'ambassade de Turquie à Paris, samedi à 12h. ARTICLE CONTROVERSE DU CODE PENAL L'an dernier, une cour d'appel turque avait confirmé la condamnation de Dink à six mois de prison avec sursis pour un article évoquant la pureté ethnique arménienne, vierge de tout sang turc. Le tribunal avait estimé que ces propos allaient à l'encontre de l'Article 301 du code pénal turc révisé, qui autorise les poursuites d'auteurs ou d'universitaires pour insultes à l'identité turque. Dink avait alors dit à Reuters: "Il se peut que j'en paie le prix mais la démocratie turque y gagnera, je l'espère." Ce verdict a été vivement critiqué par l'Union européenne, à laquelle la Turquie aspire à adhérer. Des poursuites contre des auteurs évoquant le génocide arménien par les Ottomans pendant la Première Guerre mondiale se sont fondées sur cet Article. Après l'adoption par le Parlement français d'une loi interdisant de mettre en doute le génocide arménien, dont la Turquie dément l'existence, Dink avait affirmé qu'il serait prêt à aller en prison en France pour défendre la liberté d'expression. Le gouvernement a promis de réviser le très controversé Article 301 du code pénal, une révision réclamée à plusieurs reprises par l'Union européenne. "Je ne quitterai pas ce pays. Si je partais, j'aurais le sentiment de laisser seuls les gens qui luttent pour la démocratie dans ce pays. Ce serait les trahir. Je ne pourrais jamais faire cela", déclarait Dink en juillet dernier dans une interview à Reuters. Cet attentat risque de faire monter les tensions politiques en Turquie où toute la classe politique courtise les nationalistes en prévision de l'élection présidentielle de mai et des législatives qui doivent se tenir d'ici novembre. Les milieux laïcs redoutent que le parti AK au pouvoir, qui puise ses racines dans l'islam, fasse élire le Premier ministre Erdogan à la présidence. Les laïcs, en particulier l'armée, très puissante en Turquie, redoutent que, s'il est élu président, Erdogan tente de réduire la séparation entre la religion et l'Etat.