Après l'émotion et l'indignation suscitée par la mort d'Amina Filali (cf article), place à la colère au Maroc. La société civile, la presse et les députés du pays font une fixation sur l'article 475 et demande à ce qu'il soit supprimé. Mais pour la juriste Michèle Zirari-Devif, cet article de loi n'a jamais obligé la violée à épouser son bourreau. Elle accuse le juge d'avoir fait une mauvaise interprétation de la loi. Hier lundi 19 mars, sur son profil Facebook, Ahmed Réda Chami l'ancien ministre de l'Industrie et du Commerce a exprimé son émotion suite à la mort d'Amina Filali, la jeune fille de Larache qui s'est donnée la mort ne supportant pas d'être mariée à son violeur. «Il est urgent d'entamer une réflexion globale sur la question du viol, de la pédophilie, du mariage des mineurs et des peines encourues (…) pour protéger les victimes», a déclaré l'actuel député USFP à Fès invitant ainsi tous les partis politiques à réfléchir sur les articles de loi qui doivent être changés pour empêcher que le violeur n'échappe à la prison. Un article qui a 200 ans ! On ne peut nier que cet appel soit une bonne initiative de la part du député, même s'il ne propose pas de mesures concrètes, mais encore faut-il que les juges et magistrats comprennent la loi existante et la remettent dans son contexte. Pour la juriste Michèle Zirari-Devif et spécialiste du système pénal marocain, le problème réside dans l'interprétation des textes par les juges. «A Larache, si la loi avait été appliquée correctement le drame ne se serait pas produit !», lance-t-elle. «Contrairement à ce que la presse a affirmé, l'article 475 du code pénal ne prévoit absolument pas que le violeur ne peut-être poursuivi s'il épouse sa victime. Il interdit la séduction de mineurs [avec consentement de la mineure] et prévoit que lorsqu'une mineure a été séduite sans menace ou violence et qu'elle a épousé son séducteur, ce dernier ne peut-être poursuivi et condamné qu'à la condition que le tuteur demande l'annulation du mariage et que cette annulation soit prononcée. Cette disposition avait pour objectif, lors de sa rédaction, de laisser au mariage une chance de réussir, tout en respectant l'autorité des parents. Mais ce n'est pas du tout ce qui s'est passé dans l'affaire de Larache où le mariage est survenu après le viol et a été considéré comme supprimant l'infraction commis, ce que le droit ne prévoit nulle part» explique la juriste. Elle ajoute également que l'article 475 doit être tout simplement supprimé pour éviter des mauvaises interprétations. Elle insiste également sur le fait qu'il figurait déjà dans le code pénal français en 1810 et a été repris dans le code pénal marocain en 1963. Mais il n'existe plus aujourd'hui dans la loi française. Harmonisation des textes juridiques Mais il faut reconnaître qu'il est extrêmement difficile de s'y retrouver dans les lois marocaines avec d'un côté la Moudawana, le code de la famille entré en vigueur en 2004, censé protéger les enfants et de l'autre côté, le code pénal. Pour que le drame de la jeune Amina ne se reproduise plus, ne faut-il pas justement harmoniser la Moudawana et le code pénal ? C'est une nécessité selon Michèle Zirari-Devif. «La Moudawana tire ses sources du droit musulman de rite malékite. Le code pénal est inspiré par les législations européennes du 20ème siècle. Il est donc normal qu'il y ait parfois des difficultés à combiner les dispositions des deux codes mais ce n'est pas impossible.», explique-t-elle. «La Moudawana consacre un long article aux droits que les parents doivent garantir à leurs enfants (article 54). La protection apportée par la Moudawana est certes insuffisante sur certains points mais c'est surtout celle apportée par certaines familles et certains magistrats qui l'est.». Elle déplore également le manque cruel de structures sociales au Maroc censées protéger et accueillir les enfants victimes.