Depuis sa création, le 23 avril dernier, le mouvement Sahraouis pour la Paix se veut une alternative crédible au Polisario. Dans une interview accordée à Yabiladi, son secrétaire général, Hach Ahmed Baricalla, explique la génèse de cette nouvelle alternative au Polisario, trois années après le lancement de l'Initiative sahraouie pour le changement. INTERVIEW. Pourquoi la création de Sahraouis pour la Paix (SpP)? Le Mouvement sahraoui pour la paix est un cadre politique qui vient de voir le jour animé de l'ambition de réunir tous les Sahraouis qui n'ont jamais cru en le Polisario et ceux, la majorité, qui ont cessé d'y croire à cause des erreurs et des outrages de sa direction. C'est une initiative politique dans laquelle nous unissons nos voix et nos énergies afin de permettre à notre peuple de sortir de ce tunnel dans lequel il se trouve depuis presque 50 ans. La création du SpP intervient à un moment historique où le Polisario, l'organisation dans laquelle nous avons milité depuis plusieurs décennies, est politiquement épuisé, en pleine retraite diplomatique, sans initiative et otage d'un discours obsolète. Techniquement, le Front est dans une situation de capitulation non-déclarée. Dans ce contexte, il fallait donc l'émergence d'une autre force politique sahraouie pour porter les revendications sahraouies afin d'éviter de subir le même sort que d'autres organisations qui n'ont pas su s'adapter et ont disparu sans préavis, telles les Moudjahidines Khalg (Iran), les Républicains espagnols, l'organisation basque ETA ou encore l'Armée zapatiste de libération nationale (Mexique). Ce mouvement aura-t-il plus de chance que l'Initiative sahraouie pour le changement ? L'Initiative sahraouie pour le changement était une tentative pacifique visant à résoudre les problèmes internes du Polisario et influencer ses décisions. La tentative a échoué en raison de l'absence de démocratie interne, éclipsée par la "Assabiya" tribale et une culture totalitaire dominante. Depuis presque trois ans, nous avons essayé d'ouvrir un dialogue pour corriger le déficit démocratique du Polisario dans son statut de parti unique. Nous avons cru qu'avec le temps et les vents qui soufflent depuis le printemps arabe, le Polisario s'ouvrirait aux sensibilités et aux courants politiques. Tous ces espoirs se sont révélés vains. Pire, ils nous ont fermé les portes en réprimant violemment nos militants. Après le XVe Congrès du Polisario (tenu en décembre 2019 à Tifariti, ndlr) nous avons perdu tout espoir de changement : rien n'a changé, toujours le même leadership, la même politique et les mêmes méthodes. Entre-temps, des témoignages horribles des survivants de Rachid et d'autres prisons secrètes ont été révélés, impliquant de hauts fonctionnaires du Front. Aussi nous avons considéré que l'ISC en tant que courant interne avait atteint sa limite. Un grand groupe de nos militants a jugé nécessaire d'aborder une phase plus active et plus intense de notre engagement politique et nous avons convenu de créer une force politique indépendante. C'est un fait sans précédent. Pour la première fois, une force politique émerge des entrailles du Polisario. C'est aussi la fin du mythe du Front Polisario comme représentant unique et légitime des Sahraouis. Il ne suffit plus de dire qu'en 1975 un rapport d'une commission de l'ONU a reconnu que le Polisario est la force politique majoritaire. Une reconnaissance qui n'a plus aucune valeur en 2020. A partir de maintenant, ils doivent se soumettre au verdict des urnes pour arracher la représentativité de l'ensemble des Sahraouis et pas seulement des réfugiés de Tindouf. La création de Sahraouis pour la Paix est un fait nouveau pour l'opinion sahraouie. Au cours de ces trois semaines, le nombre de personnes ayant rejoint le SpP, à l'extérieur et à l'intérieur du territoire, est remarquable. Notre principale force est notre capacité à unir les Sahraouis installés des deux côtés du mur (de sécurité) et notre ambition de les représenter tous sans exclusion ni discrimination d'aucune. Par exemple pour notre organisation, il n'y a pas de division entre "patriotes" et "traîtres", entre citoyens et militants. Nous avons enterré ces critères presque fascistes sur lesquels se basent les commissaires politiques du Polisario pour classer les gens entre partisans et opposants. Les Sahraouis se retrouvent aussi dans notre discours modéré et pragmatique qui sous-tend notre stratégie politique et les approches pour la solution du problème. Certains accusent les membres de votre mouvement d'être des agents du Maroc ? C'est un argument grossier qui en soi est insultant pour l'intelligence du peuple. C'est la panacée que le Polisario prescrit pour résoudre ses problèmes internes. Elle a été utilisée contre de nombreux dirigeants du Polisario. C'est cette accusation fallacieuse qui a conduit le Polisario à commettre de nombreuses erreurs, tels les crimes de la prison Rachid ou les événements de 1988. Ce que nous avons fait est aussi simple que de quitter un parti politique qui n'admet pas d'opinion contraire pour en créer un autre. Il n'y a rien d'extraordinaire dans une société démocratique. Le problème réside dans l'inadaptation du Polisario. De par sa nature, le Front est allergique à toute opposition et dissidence interne parce qu'il a été constitué dans une époque antérieure à la chute du mur de Berlin. C'est pourquoi la moitié de ses dirigeants ont fini par gonfler les rangs de l'armée de "traîtres". Certains sahraouis vous reprochent d'avoir oublié dans votre premier communiqué de mentionner le droit à «l'autodétermination du peuple sahraoui» Quelle est votre réponse ? Le document fondateur fait explicitement référence à l'autodétermination. De toute évidence, le manifeste n'est pas une thèse, mais une déclaration où les principes et directives générales du mouvement. Pour résoudre le problème, une feuille de route est proposée en vue de rompre avec l'immobilisme et sortir de «la théorie des jeux» élaborée par le mathématicien américain Forbes Nash. Nous aspirons à exercer une influence positive et apporter notre contribution à pour sortir le processus de l'impasse. Le seul souci qui nous anime, plus que la confrontation avec le Polisario, est de contribuer à une solution de paix. C'est notre raison d'être en tant que mouvement. Nous recherchons la solution et la paix comme l'assoiffé qui cherche de l'eau dans le désert. C'est une chance pour le peuple sahraoui. Après un demi-siècle de guerre, d'exil, de difficultés et de murs, il a droit à une période de tranquillité. La paix brise les murs militaire, rouvre les frontières et réunit les familles divisées et bien sûr apportera la prospérité et le bien-être au peuple sahraoui. C'est aussi la fin de l'exil, l'exercice et la pleine jouissance des ses droits. Je pense qu'il est temps pour que le sort du peuple sahraoui change. Comment la population des camps de Tindouf a accueilli la création de Sahraouis pour la paix ? D'une manière générale, l'accueil a été satisfaisant. Nous avons reçu un nombre important de demandes d'adhésion. Toutefois, il est à noter une certaine crainte de représailles. J'ai encore en mémoire les atrocités subies par Fadel Breica et d'autres militants de l'ISC. Depuis l'apparition de SpP, l'ensemble de l'appareil politique et de propagande du Polisario a initié une campagne pour tenter de discréditer la création de notre mouvement et contrer notre discours dans les camps de réfugiés. Presque tous les dirigeants ont déjà défilé à la radio et à la télévision pour lancer des diatribes contre le SpP. Ils ont décrété l'état d'alerte générale contre SpP et oublié la pandémie du Coronavirus.