Alors que le gouvernement s'apprête lancer à son programme intégré d'appui et de financement des entreprises, la question du financement est, jusque-là, mise sous le feu des projecteurs. Pour plusieurs économistes marocains, ce point est important, mais reste «insuffisant» pour assurer aux TPE marocaines la prospérité à laquelle elles aspirent. Hier, le secteur bancaire marocain a annoncé qu'il va plafonner à 2% le taux d'intérêt qui sera appliqué aux bénéficiaires du programme intégré d'appui et de financement des entreprises, ce qui représente le plus bas taux jamais appliqué au Maroc. Un communiqué conjoint du ministre de l'Economie, des finances et de la réforme de l'administration, au Wali de Bank Al-Maghrib et au président du Groupement professionnel des banques du Maroc (GPBM) a expliqué que le secteur bancaire répond ainsi aux vœux du roi Mohammed VI émis lors de l'audience qui leur a été accordée lundi à Rabat. Le programme intégré d'appui et de financement des entreprises, présenté au roi et qui doit entrer en vigueur dans les prochains jours, comprend plusieurs mesures, dont un fonds d'appui au financement de l'entreprenariat, ainsi que des conventions pour les garanties, que doive signer la Caisse centrale de garantie (CCG) avec les banques et des mesures incitatives et engageantes des Conseils régionaux d'investissement (CRI). Mais sur ce plan destiné à encourager l'entreprenariat des jeunes, plane le spectre de plusieurs autres stratégies destinées aux jeunes entrepreneurs, qui n'ont pas réussi à remplir leurs objectifs. «D'un point de vue global et en partant de l'historique de ce qui a été fait pour les jeunes entrepreneurs, cela a été d'abord un échec», nous rappelle l'économiste Azeddine Akesbi, contacté ce jeudi par Yabiladi. Pour lui, le problème ne se limitait pas à la question du financement. «Le financement peut être important. Actuellement, n'importe quel jeune entrepreneur a besoin de local, d'équipement, d'approcher le marché… La question du financement est donc fondamentale», reconnaît-il. Mais il rappelle qu'il «arrive souvent que les jeunes entrepreneurs n'ont pas suffisamment d'expérience dans la gestion de l'entreprise et du projet, n'ont peut-être pas la connaissance du marché et de ses complications et surtout, ils se confrontent à des problèmes majeurs de rigidité de l'administration». Se pencher d'abord sur les problèmes structurels de l'économie marocaine Pour l'économiste, «ce sont des problèmes structurels et il ne suffit pas d'accorder un financement pour qu'ils s'évaporent». «De plus, il faut ajouter à cela un autre problème plus profond et plus structurel, qui dépasse les jeunes entrepreneurs et les TPE : nous sommes dans une économie de rente, de corruption et d'accès au marché par le biais du clientélisme», regrette-t-il. «Les obstacles de l'économie de rente ne permettent pas malheureusement de réussir. Il y a donc plusieurs problèmes structurels à dépasser, comme ceux de la formation, de pratique et d'expérience et les problèmes liés à la gestion administrative. De plus, même des entreprises bien installées souffrent énormément, car une bonne partie de la commande publique est captée par une partie de ceux qui contrôlent l'Etat.» Azeddine Akesbi L'économiste Mohamed Chiguer pense aussi que cette mesure n'est pas suffisante. «Les TPE et PME représentent 78% du tissu économique du pays. Est-ce que l'économie nationale est capable, à travers ce financement, de se dynamiser ? Cela m'étonne, car l'économie marocaine est à mettre au pluriel, étant composite. Sans faire attention, nous pouvons encourager plus l'informel que le formel», met-il en garde. Notre interlocuteur dit aussi penser qu'au-delà du financement, il faut des «projets et des idées», bien que le «vrai problème réside ailleurs». «C'est bien de s'intéresser à la question du financement, mais le vrai problème concerne plutôt comment on peut accompagner, redynamiser et restructurer l'économie nationale et une fois ces questions réglées et avec ce que nous sommes en train de faire, cela peut donner de bons résultats», prévoit-il. Mohamed Chiguer nous rappelle que des expériences ont démontré que le financement n'est pas seulement un problème mais une conséquence. «Il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs, mais procéder à une analyse approfondie et objective, pour voir les faiblesses de l'économie nationale et agir à ce niveau-là», suggère-t-il. «Le vrai problème n'est pas le financement. Il est lié à l'économie elle-même, à sa structure, à l'attentisme des investisseurs, à la confiance. De plus, il ne faut pas croire qu'avec cela, nous pouvons lutter contre le chômage car entrepreneuriat est avant tout une vocation.» Mohamed Chiguer Apprendre des expériences précédentes et prévoir une batterie de mesures Mais le professeur universitaire d'économie, Mohamed Lahbous, dit croire que les expériences précédentes dans ce sens doivent servir de leçon. «Nous ne pouvons pas dire que les précédentes expériences n'ont pas réussi. Elles ont réussi partiellement mais pas totalement ; il y a des réussites et des faillites», rappelle-t-il avant d'expliquer que «ce sont des expériences par lesquelles passent tous les pays en voie de développement». «Les problèmes auxquels ils ont fait face, il faut les surmonter», propose-t-il, en insistant sur le fait que «le financement reste l'ossature centrale». Toutefois, il met en exergue l'importance du «métier». «S'il n'y a pas de métier, il n'y a ni projet ni entreprise. Il faut développer la capacité de prendre l'initiative et il faut des compétences, surtout d'organisation et de gestion», explique-t-il. Pour sa part, l'économiste Taib Aisse pense aussi que le financement est «nécessaire, important et primordial mais pas suffisant». Il rappelle «le problème du foncier qu'il faut régler», «l'accès au marché qu'il faut sécuriser» ainsi que «l'accès à la commande publique qu'il faut garantir notamment dans chaque région». «Il faut aussi aider ces entreprises à l'exportation et leur garantir l'accès aux marchés internationaux, avec notamment un accompagnement de l'Etat avec la logistique», propose-t-il. D'ailleurs, il insiste aussi sur les «mécanismes d'accompagnement, du coaching, de la simplification des procédures» qu'il faut prévoir. «Il faut également revoir la fiscalité pour qu'elle s'adapte aux TPE. Il y a des efforts qui ont été fait, avec le barème progressif de l'IS [impôt sur les sociétés, ndlr], mais il faut encore continuer», conclut-il.