Depuis quelques jours que l'affaire a refait surface, les soupçons de corruption et de malversations en échange de diplômes universitaires à Tétouan ne sont pas près d'être mis au grand jour. Pour cause, les détenteurs d'informations à ce sujet demandent des garanties de sécurité afin d'enregistrer leurs déclarations à la police. A Tétouan, l'Université Abdelmalek Essaadi est une nouvelle fois au cœur de la polémique. Après des affaires de harcèlement sexuel en échange de notes pour des étudiantes de l'établissement, vient celle de la corruption et des malversations contre «l'achat» de masters, de doctorats ou encore de postes administratifs. Le dépôt d'une plainte à ce sujet indique en effet qu'il ne s'agit pas d'un cas isolé, mais de «l'œuvre d'un réseau véritablement organisé au niveau des différentes échelles pédagogiques de cette institution», nous explique Omar Benajiba, avocat au barreau de Tanger. Contacté par Yabiladi, il nous confie en effet avoir reçu nombre de dossiers attestant de l'ampleur de ces usages au sein de l'université. «J'en ai reçu un certain nombre et nous sommes encore en train de rassembler des informations», tranche Me Benajiba. Selon lui, «la situation est telle que c'est presque impossible d'être admis en cycle de master ou de doctorat sans verser de pot-de-vin et ce n'est pas un pourcentage faible, ou en tout cas moins que celui des cas ayant accédé par mérite». «Les étudiants sont obligés soit de payer, soit d'avoir un bon piston à l'intérieur de l'université, soit pour les étudiantes de céder à des avances sexuelles.» Omar Benajiba, avocat au barreau de Tanger Une commission externe appelée à enquêter Invoquant des raisons de transparence, l'avocat appelle à ce qu'une enquête soit «menée par une commission externe à la région». En effet, il s'inquiète que «si l'on compte sur les organes et les compétences locales entre l'axe Tanger-Tétouan, il y ait de fortes chances que les investigations n'aillent pas très loin, puisque les personnes susceptibles de superviser ce travail ont elles-mêmes été diplômées de cette université, ce qui risque tôt ou tard d'étouffer l'affaire». Dans le même sens, Omar Benajiba appelle le ministère public à réagir «en enclenchant une procédure judiciaire afin de démêler le vrai du faux». D'ailleurs, Omar Benajiba décrit «des étudiants obligés d'adhérer à ces usages pour s'assurer un diplôme». «Nombre de victimes et de témoins qui m'ont contacté en apportant des éléments de preuves peuvent donner des déclarations à la police au sujet de ces affaires, mais avant de sortir de leur silence, ils demandent à avoir des garanties sur leur sécurité physique et morale.» Omar Benajiba, avocat au barreau de Tanger En effet, «le dossier est encore ouvert au niveau de la police judiciaire, qui devra donc recueillir des déclarations mais après la mise en place de mesures de protection des personnes prêtes à parler», conformément aux dispositions pénales relatives à la protection des victimes et des témoins. En d'autres termes pour faire avancer les investigations, l'avocat appelle à la mise en œuvre de la loi n° 37-10 modifiant et complétant la loi n° 22-01 relative à la procédure pénale en matière de protection des victimes, des témoins, des experts et des dénonciateurs en ce qui concerne les infractions de corruption, de détournement, de trafic d'influence et autres. Pour cause «les victimes et les témoins font face à une véritable ''bande organisée'' à grande échelle», selon Me Benajiba. Parmi les mis suspects figurent notamment un fonctionnaire, actuellement en état d'arrestation, en plus de deux autres soumis à une surveillance judiciaire, sur la base d'une plainte déposées par deux femmes. L'université ne sort pas de son silence Alors que l'université concernée se mure dans le silence sans réagir officiellement aux révélations, les plaignantes soutiennent qu'un ordonnateur adjoint à l'Ecole nationale de commerce et de gestion (ENCG) serait mis en cause dans l'émission d'un chèque sans provision et escroquerie, après leur avoir promis des postes d'ordonnatrices adjointes. Pour Omar Benajiba, «toute cette université doit être auditée et faire l'objet d'investigations, vu la situation de corruption qui y règne, à quelques exceptions près de certaines compétences». L'avocat va même à penser que «plusieurs enseignants, administrateurs et même anciens doyens doivent être au moins entendus et interrogés par la police». Selon des informations précédemment rapportée par le quotidien arabophone Assabah, les pots-de-vin avancés ont varié, selon la nature du service demandé, entre 30 000 et 300 000 dirhams. Ils auraient servi à l'emploi dans les administrations relevant de l'université, à l'inscription aux cycles supérieurs ou encore à l'augmentation de notes pour permettre l'accès à certaines filières d'enseignement.