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Maroc : Le consentement, tabou de la sexualité
Publié dans Yabiladi le 08 - 01 - 2020

Les normes sociales, culturelles et religieuses qui structurent la société marocaine favorisent l'émergence de «zones grises» qui brouillent la frontière entre le «oui» et le «non».
C'est une notion rarement évoquée dans le champ de la sexualité et des rapports hommes-femmes et, sous d'autres cieux, le titre d'un livre qui a secoué la rentrée littéraire hivernale en jetant un pavé dans le marre. Le consentement, d'après le dictionnaire Larousse, est l'«action de donner son accord à une action, à un projet ; acquiescement, approbation, assentiment».
Le consentement sexuel, quant à lui, désigne «l'accord qu'une personne donne à son partenaire au moment de participer à une activité sexuelle», pour reprendre la définition de l'organisme québécois Educaloi. «Le consentement, c'est simple : oui c'est oui, non c'est non», résume sans détour le site web MadmoiZelle.
Au Maroc pourtant, les normes sociales, culturelles et religieuses qui structurent la société favorisent l'émergence de «zones grises» qui brouillent la frontière entre le «oui» et le «non». En 2016, l'ONG Amnesty International s'inquiétait, dans une déclaration, du manque de garanties du projet de loi contre la violence à l'égard des femmes, par la suite adopté par le parlement en février 2018. Elle déplorait notamment que ce projet de loi «[continuait] à considérer le mariage, plutôt que le consentement, comme le critère central des relations sexuelles légales, en conservant l'interdiction des relations sexuelles entre adultes consentants hors mariage dans les articles 489, 490 et 491 du Code pénal». Des lacunes également dénoncées par les associations féministes.
«Qui ne dit mot consent» ?
De plus, le mariage des mineurs, qui peut être autorisé par un juge (entre 2011 et 2018, 85% des demandes introduites ont reçu une autorisation du juge), balaie toute notion de consentement. Si l'article 19 du Code marocain de la famille fixe l'âge du mariage à 18 ans, des dérogations sont effectivement possibles en vertu des articles 20 et 21, qui habilitent les juges à autoriser le mariage d'une personne mineure, avec ou sans le consentement de son tuteur légal. «Les articles 20 et 21 du Code de la famille ne font pas mention de la nécessité d'un véritable consentement au mariage de la part de la personne mineure, ce qui laisse une grande latitude au juge», déplorait Amnesty International.
«Le mariage des mineures est un viol physique, psychologique et une violation des droits de l'enfant. Une jeune fille mineure qui ne dispose pas encore de toutes ses capacités, n'a pas encore atteint l'âge de la maturité et ne jouit pas de sa pleine majorité, est considérée comme une enfant», rappelle auprès de notre rédaction Amina Lotfi, présidente de l'Association démocratique des femmes du Maroc (ADFM).
Pour la sociologue Sanaa El Aji, qui a enquêté notamment sur la sexualité des célibataires au Maroc, le manque de considération pour le consentement de l'autre «est encore une fois un problème d'éducation sexuelle». Elle s'en explique auprès de Yabiladi : «Le consentement est effectivement l'une des principales notions à intégrer dans l'éducation sexuelle ; les deux partenaires doivent être d'accord pour partager un rapport sexuel et pour le poursuivre. D'ailleurs, c'est un autre point qu'on ignore souvent, car une personne peut donner son consentement pour commencer un rapport sexuel et ne pas être consentante pour le poursuivre. Nous avons aussi grandi avec la maxime selon laquelle ''qui ne dit mot consent''. Le silence n'est pas synonyme de consentement. Ce dernier doit être exprimé clairement, de manière verbale ou non, avant et pendant le rapport sexuel.»
«Les femmes ont besoin d'apprendre que leur consentement a et doit avoir une valeur et que les hommes doivent apprendre qu'un rapport sexuel sain ne peut se faire qu'avec le consentement de leurs partenaires, sinon, c'est un viol, ou un viol conjugal quand il s'agit de leurs épouses. Que la femme puisse disposer de son corps, exprimer ou non son désir, réclamer son droit au plaisir sexuel et à l'orgasme, au choix de son partenaire, tout cela traduit des notions que beaucoup d'hommes (au Maroc et ailleurs) n'ont pas suffisamment bien intégré.»
Sous-estimer la responsabilité des auteurs de violences sexuelles
Pour la sociologue, les femmes peuvent elles aussi alimenter, inconsciemment, le flou qui entoure le consentement : «Certaines femmes aussi pensent qu'elles ont ''le devoir'', notamment vis-à-vis du mari, de toujours accepter ''le devoir conjugal''. Le fait même que, juridiquement, religieusement et socialement on utilise cette notion de ''devoir conjugal'' est problématique et traduit cette absence – socialement admise – du consentement.»
Et d'ajouter qu'il y aussi des erreurs communes sur le consentement. «Par exemple, dans des affaires de relations sexuelles avec des mineurs, certains parlent de consentement. Dans l'affaire Amina Filali par exemple, certains (dont des juristes) avaient parlé de relation consentante et non de viol. On ne peut parler de consentement quand il s'agit d'un-e mineur-e.» Pour rappel, l'affaire Amina Filali fait référence à cette adolescente de 16 ans originaire de Larache, près de Tanger qui, en 2012, s'était suicidée après avoir été forcée d'épouser son violeur.
Le traitement médiatique des violences sexuelles, crucial dans la représentation et la perception de ce genre d'affaires par l'opinion publique, s'inscrit parfois dans une sous-estimation de la responsabilité des auteurs et de la violence qui s'exerce. Dernier exemple en date : un article du site d'information Le360 relatant la condamnation, à cinq ans de réclusion criminelle, d'un homme pour des relations sexuelles avec sa nièce de 16 ans, dont elle est tombée enceinte. Des faits que la publication qualifie d'«amour incestueux», évoquant des «relations sexuelles consentantes». Autant dire que les médias ne sont pas en reste et qu'une sensibilisation au traitement de ce genre d'affaires ne serait pas de trop.


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