Plasticienne franco-marocaine vivant à Paris avant de passer derrière la caméra, Randa Maroufi a projeté son quatrième court-métrage, «Bab Sebta», en France, dans le cadre du Festival international de cinéma de Marseille, tenu du 9 au 15 juillet. Elle confie à Yabiladi son intérêt de monter le visage humain des acteurs du commerce sur cette frontière. Qu'est-ce qui vous a poussée à travailler sur cette thématique ? Ce projet est né de la résidence d'artistes Trankat, en 2015 à Tétouan. Invitée par sa directrice, Bérénice Saliou, j'ai été amenée à faire un travail de recherche. Etant plasticienne à la base, je n'ai pas tout de suite pensé que cela prendrait la forme d'un film. J'ai souhaité en tout cas travailler sur le territoire de Sebta qui est assez complexe, où l'on ressent des tensions. C'est aussi à partir d'une histoire familiale que j'ai pensé ce projet, puisque mon père était inspecteur des douanes jusqu'à la fin des années 1990. Plusieurs membres de ma famille travaillent dans l'import-export, le port de Tanger au temps où il a été un port de passage et de commerce avant sa conversion en port de plaisance. De plus, un passage par le poste-frontière était obligatoire une fois par an au moins, pour l'achat de réserves alimentaires… Tout cela fait que je suis familière à ce milieu-là. Lorsque j'ai été invitée à cette résidence artistique, j'ai tout de suite souhaité faire un travail en lien avec la complexité de ce territoire. Sur les lieux, j'ai fait un premier repérage en effectuant des aller-retour à pieds, durant trois semaines, qui m'ont permis de faire un travail d'observation et d'immersion. Après concertation avec la directrice de résidence, j'ai décidé d'en faire un film, mais qui n'a pas été tourné sur place. Avez-vous dû dépasser des contraintes de tournage ? Au-delà des autorisations, cela ne m'intéressait pas de proposer un format de reportage avec un traitement frontal. Plus qu'une contrainte donc, le film n'a pas été tourné à Bab Sebta mais dans un studio à Azla. L'idée est vraiment de décontextualiser cet environnement pour me concentrer sur la figure humaine, à savoir les personnes qui travaillent sur place, que ce soient les autorités ou les contrebandiers. L'idée est donc d'extraire ces personnes-là pour les placer dans un studio, qui est dans un espace clos, mais où elles seront amenées à jouer leur propre rôle. Comment avez-vous procédé dans votre choix des personnages Le choix a été effectué sans casting, à la seule condition que les acteurs choisis soient réellement des personnes qui travaillent au niveau du poste-frontière. L'espace où le tournage a été effectué est une ancienne usine de mortadelle à Azla. Ensuite, nous avons ouvert le casting davantage aux habitants locaux, afin de les intégrer à un projet qui s'est préparé dans leur région. Des figurants ont été choisis parmi eux, tandis que les contrebandiers ont joué leur propre rôle. Pour les agents d'autorité, nous avions besoin d'acteurs marocains et espagnols. Etait-il facile pour vous de faire participer des contrebandiers à jouer leur propre rôle et à sortir de l'anonymat ? Il n'a pas été difficile de faire jouer les contrebandier leur propre rôle même s'ils évoluent dans un secteur informel. Pour la question des risques que cela pouvait représenter sur eux, le plus risqué est le travail qu'ils font réellement à la frontière, d'autant plus qu'ici, nous sommes dans un travail de fiction. Randa Maroufi - Barney Production Dès le départ, j'ai créé des liens d'amitié avec eux en leur expliquant que nous allions travailler ensemble, que c'était une collaboration dans un cadre professionnel où ils ont été rémunérés. Les personnes étaient très motivées parce que la question les intéressait et cela les a beaucoup amusés de jouer leur propre rôle dans un espace clos. Ils ont vécu cette expérience comme une véritable partie de plaisir car il n'y a pas eu d'enjeu derrière. Dans le travail en amont que vous avez fait avec eux, vous avez prévu des séances de formation au jeu d'acteurs ou avez-vous laissé libre-court à leur spontanéité au cours du tournage ? J'ai recueilli des interviews pendant les repérages. La scène de tournage faisait à peu près 50m², à peu près comme celle d'un théâtre, avec deux caméras. La seule chose que j'ai demandé aux acteurs est de ne pas sortir du cadre. Je leur ai donné des situations et les ai laissés les interpréter, intervenant rarement pour contrôler certains détails techniques ou demander de refaire une scène en boucle. Vous donnez une dimension universelle à votre récit au temps où l'on parle plus que jamais de frontière. Quel est votre point de vue sur ces situations vécues près de ces clôtures, présentes au Maroc et même ailleurs ? J'ai un regard qui n'est pas frontal et décontextualiser pour moi est véritablement leur redonner plus leur valeur humaine en faisant le focus sur des visages, des mais, des expressions, plutôt qu'une architecture au milieu de laquelle ils se trouvent quotidiennement. Cette architecture peut se trouver au Maroc, comme ailleurs au niveau d'autres frontières. J'ai choisi donc de faire un portrait capitaliste de cette ville avec ses micro-sociétés, qui peuvent s'appliquer à d'autres Etats qui sont finalement dépassés par la question de Bab Sebta et des frontières en général. Randa Maroufi - Barney Production C'est le fait d'un combat ou de gestion d'intérêts entre deux Etats. Ses acteurs, qu'ils soient des agents d'autorités ou des contrebandiers vivant de toutes les façons des activités au niveau du poste-frontière, dessinent ce paysage autour duquel des questions politiques persistent de part et d'autre. En dehors du film et à partir de votre histoire personnelle, pensez-vous que ce circuit d'activités est viable ou y voyez-vous une forme d'exploitation ? Que ce soit dans le contexte de Sebta ou ailleurs, nous vivons tous une forme d'exploitation, dans des dimensions variantes. L'idée dans le film encore une fois n'est pas de traiter la question de manière frontale. Tout le monde vit une souffrance à sa manière au niveau du poste-frontière, que ce soient les commerçants ou les douaniers d'ailleurs et je n'ai pas souhaité prendre partie dans ces rapports de pouvoir où je serais là à blanchir les uns ou les autres. C'est un problème plus politique et plus général que cela. Après, tout ce qui se passe sur une frontière prête à l'incertitude, on peut parfois être en règle mais être habité par une peur, comme cela m'est déjà arrivé. Cela me nourrit. Avez-vous des projets futurs qui restent liés à la question ? Je travaille toujours sur le même projet mais sous d'autres formes. J'effectue un travail de sérigraphie accompagnées d'archives sonores pour Bab Sebta, mais c'est un projet qui s'étalera sur trois ans.