La bataille dure depuis au moins 2011 et elle a enfin payé. Depuis ce mois de juillet, les chibanis pourront revenir dans leurs pays d'origine s'ils le souhaitent, sans pour autant perdre leur droit à la sécurité sociale en tant que retraités en France. Un nouvel amendement entre en vigueur pour palier l'inégalité dont ont souffert ces anciens travailleurs par rapport à leurs homologues français. Lorsque des travailleurs immigrés en France, hors-communauté européenne et notamment marocains, arrivaient à l'âge de la retraite et qu'ils choisissent de quitter la France plus de six mois, ils étaient privés de leurs droits sociaux, y compris la sécurité sociale et la couverture médicale. Une discrimination qui a enfin changé. Ainsi, depuis quelques jours, ces chibanis peuvent enfin partir de France, sans être inquiétés sur leurs droits. La décision est entrée en vigueur le 1er juillet, en vertu d'un amendement ajouté à la Loi des finances, fin 2018, où le ministère français de la Santé s'est engagé à mettre fin à cette rupture d'égalité. Si le texte est désormais effectif, il est le fruit d'un long combat porté par plusieurs association, dont notamment Cap Sud MRE, avec le soutien des députés Olivier Véran, Fiona Lazaar et Mustapha Laabid. Désigné en 2017 rapporteur général de la commission des affaires sociales, chargé du projet de loi de financement de la Sécurité sociale, le premier obtient en novembre 2018 l'amélioration de la couverture santé pour les chibanis venus en France durant les Trente Glorieuses (1945 – 1975). Mais ce changement sur papier n'a pu être effectif sans les relances de l'association CAP Sud MRE. Son président, Salem Fkire rappelle à Yabiladi que deux notes de synthèse ont été remises à la ministre de la Santé, Agnès Buzin, afin de passer des paroles aux actes. «Un courrier du 9 juin 2019 de la ministre nous indique qu'une mauvaise interprétation de la loi était derrière ces usages, sauf que lorsque j'ai fait le testing en direction des caisses d'assurance maladie quant au traitement des chibanis, tous les agents de la sécurité sociale avaient la même analyse que nous, au niveau des textes de loi», nous explique-t-il. «Nous allons demander à madame la ministre de faire une circulaire pour informer ces agents-là sur leur fausse interprétation de la loi.» Une justice rendue aux retraités des Trente Glorieuses Pour mieux comprendre l'aboutissement de ce que CAP Sud MRE considère aujourd'hui comme «une victoire pour tous les travailleurs retraités immigrés», il faut remonter à 2011. Cette année-là, l'association s'est appuyée sur l'article 16 de la Constitution marocaine pour appeler à une intervention du royaume dans la régularisation de la situation de ses chibanis en France, «même si le problème reste franco-français». «Tous les partis politiques marocains que nous avons rencontrés étaient sensibles à la question. Néanmoins, ce sont les actions menées en 2015 par Abdelilah Benkirane, alors chef du gouvernement, en direction de son homologue Manuel Valls et François Hollande, président français à ce moment-là, lors de leurs visites respectives entre les deux pays, qui ont ouvert une première brèche», nous confie Salem Fkire. «Ces démarche ont été suivies de modifications de la loi, mais qui n'ont pas été satisfaisantes à cause de la mauvaise foi de certains politiques français sur la question des chibanis», déplore-t-il. Et de souligner avoir eu, par le passé, des promesses, notamment de la part du PS, mais «qui n'ont pas été tenues, tandis que les nombreux courriers à M. Valls sont restés lettre morte». «Nous tenons à préciser que le changement qui a abouti ne bénéficie pas seulement aux retraités Marocains mais à l'ensemble des anciens travailleurs immigrés, hors-communauté européenne», souligne Salem Fkire, se félicitant d'«un combat mené par une association de droit marocain mais qui a été porté au nom de l'ensemble des étrangers qui sont dans la situation injuste dénoncée par CAP Sud MRE». Le défi de la mise en œuvre du texte Vice-présidente du groupe parlementaire La république En Marche (LREM), Fiona Lazaar explique à Yabiladi avoir «travaillé depuis un an et demi avec plusieurs acteurs associatifs, notamment dans la circonscription d'Argenteuil Bezons» où elle est élue et qui se distingue par l'accueil d'un grand nombre de chibanis. «Nous avons remonté ce problème que j'ai moi-même connu au niveau de ma famille, au sein de laquelle des chibanis étaient obligés de faire des allers-retours tous les six mois afin de continuer à bénéficier de la sécurité sociale en France», nous raconte-t-elle. Issue du milieu associatif, la députée a été sollicitée par nombre d'associations, dont Cap Sud MRE. S'en suivent des réunions de travail et des courriers adressés aux ministres concernés et au gouvernement. «Avec Mustapha Laabid et Olivier Veran, nous avons porté le projet à bout de bras et il s'est concrétisé à travers plusieurs étapes pour aboutir dans la Loi de finances de la fin d'année à un amendement et à des engagements de la ministre. Depuis le début de l'année, je fais le suivi en relançant la ministre concernant la mise en œuvre de ce changement.» Fiona Lazaar «Entre la décision politique et les démarches administratives, la vitesse par laquelle les choses ont avancé sur cette question est singulièrement différente, en effet», nous précise de son côté Mustapha Laabid, député LREM et président du groupe amitié France-Maroc. «L'administration a mis beaucoup de temps et il a fallu écrire à plusieurs reprises aux politiques pour débloquer la situation sur le plan administratif». Contacté ce mercredi par Yabiladi, une membre du Centre national des retraités français de l'étranger (CNAREFE) a confirmé l'entrée en vigueur de cette mesure, précisant cependant que «les notes internes et les directives pour sa mise en œuvre ne sont pas encore parvenue aux différents services afin de fixer le traitement de l'ensemble des cas concernés». «Ce dont on parle, ce sont des retraités, donc des anciens salariés qui ont cotisé et qui ont donc des droits ; leur devoir était de contribuer à la fiscalité de la France et l'Etat leur doit les mêmes droits que tout autre travailleur en France, sans condition de nationalité», tient à souligner de son côté Salem Fkire.