Une étude de l'Institut national d'études démographiques (INED) s'intéresse aux prénoms donnés en France aux personnes originaires d'Europe du sud et d'Afrique du Nord. Elle montre comment l'intégration s'est ressentie au niveau des appellations données d'une génération à l'autre. Parue ce mercredi, une étude de l'Institut national d'études démographiques (INED) montre l'évolution des prénoms que les parents d'origine arabo-musulmane et sud-européenne donnent à leurs enfants en France. Ce changement donne la place à des appellations plus courantes dans le pays, à consonnances étrangères moins prononcées. Ainsi, cette étude dans laquelle les chercheurs Baptiste Coulmont et Patrick Simon analysent les données de l'enquête «Trajectoires et Origines», indique que «la transmission des prénoms suit une logique culturelle, particulièrement chez les personnes de religion musulmane», mais qu'«un socle commun se dessine». En d'autres termes, plus longtemps ces familles vivent en France, moins les prénoms de leurs régions d'origine sont utilisés à travers les générations. Pour les chercheurs, il s'agit d'un indicateur d'intégration et d'ouverture à la culture du pays d'accueil. Par ailleurs, ils soulignent que «les enquêtes de testing ont bien montré l'impression négative que pouvaient produire des prénoms maghrébins, africains ou asiatiques sur des recruteurs, des agences immobilières ou des banques». De ce fait, «l'attribution d'un prénom "majoritaire" assurerait une invisibilité partielle des descendants d'immigrés et pourrait les protéger de certaines discriminations». Mohamed n'est plus le prénom principal de la troisième génération L'étude explique qu'arrivés en France, «les immigrés du Maghreb ont des prénoms très éloignés de ceux de la population majoritaire (Mohamed, Fatiha). La part des prénoms arabo-musulmans est supérieure à 90%». A la génération suivante, «encore près des deux tiers des enfants d'immigrés reçoivent un prénom arabo-musulman, mais leur registre culturel est plus ambigu (Nadia, Myriam)». A partir de 2008, les prénoms des petits-enfants deviennent «plus proches de ceux que la population majoritaire donne à ses enfants». «Là aussi, on remarque, comme pour les petits-enfants des Européens du Sud, le choix croissant de prénoms appartenant au registre des prénoms maintenant considérés comme communs (Inès, Sarah)», indiquent les chercheurs. Ce changement rejoint ainsi celui observé chez les familles du sud de l'Europe, mais à une vitesse différente. «Une partie de cette différence tient à la proximité des prénoms latins et français, et une autre à l'abandon plus fréquent des prénoms spécifiques par les couples mixtes», explique l'étude, indiquant que «les descendants dont les parents étaient en couple mixte, quelles que soient leurs origines, ont moins souvent un prénom spécifique». De plus, cette différence s'explique par le fait que les descendants des originaires du sud de l'Europe ont grandi dans une famille mixte dans 56% des cas, contre 32% chez les enfants d'origine maghrébine. La différence de perte progressive des prénoms connotés est également liée à l'immigration qui, en provenance du Maghreb continue, alors que les flux intra-européens se sont amoindris au fil des années. Par ailleurs, cette différence va également de pair avec l'importance qu'occupe la religion dans le milieu familial. «Alors que des parents sans religion choisissent dans 7% des cas un prénom arabo-musulman pour leur enfant, ce sont 63% de ceux à forte religiosité (qui considèrent la religion comme très importante dans leur vie) qui le font ; ce n'est que dans ce cas que l'on constate une rétention culturelle à la troisième génération», écrivent les chercheurs. Yanis, Thomas, Sarah et Laura en tête podium L'étude de l'INED indique que si Mohamed et Fatima sont les prénoms principaux de la première génération ayant migré en France, Karim et Mehdi deviennent des prénoms de plus en plus utilisés chez les enfants des ressortissants maghrébins. Chez ceux issus du sud de l'Europe, on retrouve Jean et Marie. Cependant, les petits enfants portent des prénoms qui restent connotés à leurs origines, mais qui deviennent moins marqués. Ainsi, les petits-enfants originaires d'Afrique du Nord s'appellent plus souvent Yanis, Nicolas, Mehdi, Sarah, Inès et Lina. Ceux dont les parents sont issus du sud de l'Europe s'appellent de plus en plus Thomas, Lucas, Enzo, Laura, Léa et Camille. «La question du registre culturel des prénoms donnés aux enfants est un sujet très sensible», fait remarquer le journal La Croix qui a relayé l'étude, rappelant que «le polémiste Eric Zemmour l'a encore prouvé récemment en fustigeant les immigrés qui ne choisissent pas des prénoms français, y voyant le signe d'un refus d'intégration». Dans ce contexte, le média note que l'étude de l'INED a déconstruit certains clichés, notamment ceux repris par Eric Zemmour. «Ce qu'il dit est vrai pour la première génération, pas pour celles qui suivent, souligne le démographe Patrick Simon, cité par la même source. Et même dans le choix de prénoms arabo-musulmans, on observe une diversification, un effort d'invention tout en restant dans un même registre culturel. Par exemple le choix de Yanis plutôt que Mohamed». Pour Patrick Simon, il s'agit ici d'«une vision passéiste qui ne correspond pas à la réalité d'une société pluriculturelle».