Les cas d'une jeune élève et d'une trentenaire, ayant récemment mis fin à leur vie par pendaison dans la province de Chefchaouen ravive les craintes exprimées par certains quant à l'existence d'un fléau sociétal. Associatif, responsable de la Santé et spécialiste reviennent pour Yabiladi sur les différents aspects liés au suicide dans cette ville de la région Tanger-Tétouan-Al Hoceima. Ces dernières semaines, plusieurs actualités faisant état de cas de suicide enregistrés à Chefchaouen et sa province ont attristé l'opinion publique nationale. Dimanche, une jeune élève a mis fin à ses jours par pendaison à Douar Tfouzal, dans la commune rurale Bab Taza. Samedi, une trentenaire a fait appel à ce même moyen pour se suicider, laissant derrière sa petite famille. Deux drames qui ont poussé l'Observatoire du Nord pour les droits de l'Homme (ONDH) à tirer la sonnette d'alarme quant aux chiffres «alarmants» de suicides. L'association évoque 8 cas enregistrés en l'espace d'un mois et demi seulement. Le chiffre avoisine 50 cas depuis le 1er janvier 2018, poursuit l'ONG citée par plusieurs médias. «Un chiffre très élevé» pour cette province Mohamed Ben Aissa, président de l'ONDH, rappelle que son association coordonne avec plusieurs acteurs associatifs au niveau de cette province. «La majorité des cas ont été enregistré dans le monde rural alors que le chiffre varie entre 38 et 45 cas de suicides par an depuis 2016», nous déclare-t-il, pointant «un chiffre très élevé compte tenu de la nature de la province et le nombre d'habitants». Evoquant un fléau social, Mohamed Ben Aissa dit que les experts de l'association ont «établi un lien entre les changements économiques et sociaux qu'a connus cette province et ces cas de suicide», rappelant que certains habitants de la région vivaient de la culture du cannabis et que leur situation économique s'est détériorée au fil des années. «La situation économique a d'abord engendré une migration vers les villes voisines. Nous constatons aussi une hausse des cas de divorce, de dépendances aux drogues, de maladies psychologiques et psychiatriques en plus des cas de suicide.» Mohamed Ben Aissa Contactée par Yabiladi, la délégation provinciale du ministère de la Santé, qui n'a pas été en mesure de nous fournir de chiffres exacts, insiste sur la nécessité de disposer d'études sur le terrain avant de se prononcer sur le suicide comme fléau. «Nous ne pouvons pas parler d'une hausse de cas de suicides en l'absence d'études, notamment sociologiques. Il faut justement une étude approfondie pour connaître le nombre de cas annuels et comparer à l'échelle nationale», nous confie ce mardi le docteur Sanae Cherkaoui, déléguée provinciale par intérim à Chefchaouen. Une situation économique et sociale déplorable Notre interlocutrice évoque le rôle du service psychiatrique de l'hôpital provincial de Chefchaouen. «Le service psychiatrique peut couvrir toute la province, mais avec le nombre additionnel de personnes malades venus de Ouazzane, la capacité peut naturellement être impactée», fait-elle savoir. «Nous parvenons toutefois à hospitaliser toutes les personnes venues des deux provinces et nous référons rarement des patients vers d'autres hôpitaux régionaux», ajoute docteur Sanae Cherkaoui. Mohamed Hassoun, directeur de l'hôpital psychiatrique de Tanger, a travaillé pendant 12 ans dans la province de Chefchaouen. Contacté par Yabiladi, il rappelle que «Chefchaouen est une petite ville, avec une population calme et un peu conservatrice». «Le suicide en tant que fléau a donc plus d'impact qu'une grande ville comme Tanger ou Casablanca puisqu'un cas de suicide, un vol ou un simple crime peut presque passer inaperçu dans ces deux villes, contrairement à Chefchaouen», nous explique-t-il. Le psychiatre rappelle aussi que cette zone «connait un taux de chômage dans les rangs des jeunes qui reste très élevés dans une province où le rural représente 90% avec un taux d'abandon scolaire tout aussi alarmant». «Une majorité de jeunes veulent immigrer, se sentent marginalisés et exclus. Et avec les réseaux sociaux, ils comparent entre leur environnement et d'autres villes, ce qui les rend quotidiennement désespéré et déçus.» Mohamed Hassoun Prévention auprès de la population pour lutter contre le suicide Tout en rappelant qu'«à la campagne, il y a un important nombre de personnes souffrant de troubles mentaux possiblement dues aux mariages consanguins ou encore à des troubles de la thyroïde», notre interlocuteur reconnait aussi que «la réalité économique et sociale de la ville ont un impact sur la population qui peut conduire au suicide». Côté prévention, surtout dans le rang des jeunes, Mohamed Ben Aissa déplore l'absence d'initiatives visant la province. «Je pense que les établissements scolaires doivent prendre l'initiative pour sensibiliser», suggère-t-il, soulignant au passage l'«extrême pauvreté» de la population locale, qui fait que les citoyens n'ont pas les moyens de quitter leur douar pour aller consulter. Mohamed Hassoun déplore, quant à lui, la «quasi absence de moyens de divertissement, comme les maisons de jeunes, les salles de cinéma» dans les villages de la province. Il rejoint aussi le président de l'ONDH pour insister sur le rôle de la sensibilisation dans les villages. «On ne peut pas attendre à ce que les personnes habitant des douars se déplacent en ville pour se faire ausculter», nous déclare-t-il.