Après l'Istiqlal (Abdellatif Maâzouz), place au PJD. Yabiladi.com donne la parole au parti islamiste, considéré comme l'une des formations favorites pour les législatives anticipées du 25 novembre. Lahcen Daoudi, chef de son groupe parlementaire, revient sur le programme du PJD, et sur les alliances possibles à l'issue du scrutin. Sans oublier bien sûr la question des MRE. Entretien. Yabiladi.com : En tant que parti de l'opposition, quel bilan faites-vous de l'exercice du gouvernement sortant ? Lahcen Daoudi : Je pense que ce bilan se voit dans la rue ! Autant au niveau démocratique, économique et social, la contestation est là. Les gens contestent la gestion du pays et son résultat. C'est un fait avéré. Au niveau du parlement, il suffit de comparer la déclaration officielle du gouvernement à ce qui a été fait. La patate chaude continue de passer d'une main à l'autre, à savoir les grandes réformes que nécessite le Maroc. Un pays ne peut pas avancer sans réformes. Malheureusement ce gouvernement a une approche spécifique des réformes : quand ça rapporte des voix, on y va, sinon c'est non. On ne peut pas construire un pays qu'avec des réformes populaires. Prenez l'exemple des pays européens, comme en France, l'Espagne… ils prennent des mesures dans la douleur mais pour le salut public. Au Maroc, avec le problème de la Caisse de compensation et celle des retraites, du déficit de la balance commerciale et des paiements, on entre dans un bourbier, l'économie risque de s'enliser. Sans parler des réserves en devises qui n'excèdent plus 5 mois, au lieu de 11 il y a quelques temps. Ce qui veut dire que le FMI risque bientôt d'être obligé d'intervenir pour secourir le pays. Le Maroc entre dans une zone de turbulence, la corruption gangrène l'économie, les investisseurs boudent de plus en plus le pays, le tourisme ne rapporte pas autant… On est en retard partout. Ce gouvernement n'était pas à la hauteur des défis. Malheureusement on reconduit toujours les mêmes têtes qui vont continuer à conjuguer le verbe «faire» au futur et jamais au présent ou au passé ! Le PJD a annoncé son programme politique, quels sont les projets les plus importants que vous comptez mettre en œuvre pour placer le pays dans une trajectoire différente de celle que vous venez de décrire ? Un programme électoral c'est un package. Il y a des décisions qui peuvent chambouler un pays. Nous comptons sur un sursaut du Marocain au niveau éthique et dans la lutte contre la corruption. Cela dit, il faut valoriser le travail manuel et bien le rémunérer. Les niches permettant de mobiliser de l'argent ne manquent pas. En plus de l'impôt agricole, les logements et terrains vacants ainsi que les produits de luxe seront surtaxés. D'un autre côté, il faut favoriser les PME et PMI en baissant l'Impôt sur les sociétés. Tout le monde doit contribuer à l'effort national, mais en fonction des capacités contributives. Car actuellement on tue les petits (revenus) à travers les impôts indirects. Le thé, un produit de base, c'est 14% de TVA alors que l'alcool consommé à l'hôtel est à seulement 10%. Nous comptons également relever le SMIG à 3000 dirhams sur cinq ans, ce qui est faisable à mon avis. Encourager les gens à consommer local, car plus on est riche plus on a tendance à consommer étranger. Les riches doivent être solidaires avec les moins nantis. Quelqu'un qui se paie un véhicule à 2 ou 3 millions de dirhams ne devrait pas avoir du mal à payer une vignette à 30 ou 40 000 dirhams. La stabilité du pays dépend de ces réformes. Il faut dégager de l'argent pour financer au moins 50% du budget. Les investisseurs étrangers sont les bienvenus car certains projets requièrent forcément leur contribution. Comment comptez-vous régler le problème du chômage ? Là aussi, c'est tout un package ! Il faut commencer par la formation. Le jeune marocain ne doit pas tomber dans la rue. Cette formation doit être de qualité et moderne, en plus de répondre aux besoins du marché. C'est un challenge et cela nécessite du temps. Si nous réussissons ce pari, nous pourrons même satisfaire la demande de main d'oeuvre qualifiée de certains pays comme la Libye. Nous devons aussi orienter la formation touristique vers l'économie résidentielle. Je tiens à attirer plus d'un million de retraités pour qu'ils viennent vivre au Maroc. Si chacun dépense 2000 euros par mois, nous en serons à 24 milliards par an ! Ennahda est désormais au pouvoir dans cette Tunisie, en plus de l'AKP en Turquie. L'Occident a peur de la montée des partis «islamistes». Quels seront vos rapports avec les pays occidentaux si vous dirigez le gouvernement marocain ? Je pense que l'Occident a changé mais il y a des esprits qui n'ont pas changé. Ils ont encore l'esprit de croisade, avec leurs nombreux clichés sur l'Islam et les Arabes. Le Maroc est un pays ouvert, qui s'est inscrit dans la mondialisation. Il faut laisser de côté la politique et préparer le terrain à l'investisseur qui ne cherche qu'à faire des profits. Mais certaines de vos politiques notamment concernant les mœurs, peuvent effrayer les touristes et autres investisseurs occidentaux ? Vous savez, au Canada, l'alcool est consommé mais n'est pas exhibé. Donnez-moi les lois canadiennes, je suis preneur ! Celui qui veut boire, qu'il boive, mais pas en public. Le Maroc a choisi d'attirer 20 millions de touristes et s'inscrit dans la mondialisation. Seulement, on est attaché à nos valeurs islamiques et il faut qu'on les respecte. Le champ politique marocain est en pleine reconfiguration. Que pensez-vous du G8 ? Ce n'est pas le G8, mais le B8. Le G8 gère le monde, mais là c'est la bande des 8. Comme la bande des quatre en Chine. On parle d'une possible alliance entre le PJD et l'Istiqlal pour former un gouvernement… Ni l'un ni l'autre ne peut avoir la majorité. Le PJD fait cavalier seul. Il pourra donc jouer le rôle d'arbitre. Une alliance avec la Koutla, c'est possible, mais pas avec le B8 tant qu'il y a le PAM dedans. Concernant les MRE, on sent que le PJD a une position relativement ouverte sur la question. Une femme MRE figure en 2e position sur la liste nationale. Mais le vote des MRE sera tout de même le grand absent de ces législatives… Malheureusement ce gouvernement veut l'argent des émigrés mais on ne veut pas les voix des émigrés. C'est facile à résumer ! J'ai interpelé le ministre (de l'Intérieur, ndlr) sur la question, en rappelant que les immigrés tunisiens votent pour leurs députés, ainsi que les Algériens et les Français à l'étranger. C'était le seul moyen de garder les liens avec ces nouvelles générations dont certains ne parlent même pas nos langues. C'est une erreur monumentale. A la base, il y a eu peut-être des calculs électoralistes. On a eu peur que ce vote ne pèse en faveur de certains partis. On ne peut pas sacrifier la patrie, la citoyenneté sous l'autel des élections ! Qu'est ce que le PJD prévoit d'accomplir pour cette importante composante de la communauté marocaine ? D'abord l'encadrement linguistique et religieux. La demande est très forte à ce niveau. Il faut que leurs enfants gardent l'identité marocaine et en soient fiers. Nous avons également proposé un code d'investissement spécifique aux Marocains résidant à l'étranger et bien sûr tous les services consulaires dont ils ont besoin. Il faut aussi l'assistance juridique et surtout lutter contre la corruption dont ils sont victimes. Nous voulons que le citoyen marocain à l'étranger s'émancipe dans sa culture, mais aussi dans celle de son pays d'accueil.