L'enseignant-chercheur Faouzi Lakhdar-Ghazal et le juriste franco-marocain Moussa Elkhal abordent la question de la corruption au Maroc. Tout en démontrant que la corruption constitue un frein au développement humain, ils estiment que des efforts sont faits par une stratégie de lutte contre la corruption mais que celle-ci «gagnerait à être systémique en s'inscrivant dans une Initiative nationale pour la probité et la lutte contre la corruption». La corruption est le nom qui provient du verbe corrompre. Selon le dictionnaire Larousse, il provient du latin corrumpere, de rumpere, qui veut dire rompre. C'est «altérer ce qui est considéré comme juste, sain, correct», «pervertir quelqu'un, un groupe, altérer ce qu'il y a de sain et d'honnête en eux» ou «séduire quelqu'un par des présents ou des promesses, l'amener à agir contre sa conscience ou les devoirs de sa charge ; soudoyer, suborner : Tenter de corrompre un fonctionnaire pour obtenir un marché». Selon Transparency International, «la corruption est l'abus de pouvoir reçu en délégation à des fins privées». D'un point de vue juridique, c'est un acte pénalement répréhensible qui consiste, pour une personne détentrice d'une autorité publique ou privée, à obtenir une rétribution de quelque nature qu'elle soit pour accomplir une action relevant de sa fonction. On peut distinguer la corruption passive de la corruption active qui sont discernables et autonomes. La corruption est donc une composante intrinsèque de la nature humaine dans sa quête de richesse, de pouvoir et de puissance. Elle est depuis l'antiquité l'objet de préoccupations d'ordre philosophique, économique et politique et considérée par certains comme une fatalité. Elle a fait en particulier l'objet d'une théorisation dans le cadre d'une vision philosophique de la société et de l'Etat par Spinoza, un philosophe rationaliste du XVIIème siècle. La corruption, frein au développement économique Parmi les indicateurs du développement humain mis en place depuis le XXème siècle, l'indice de la corruption constitue un élément d'appréciation et de comparaison du développement des pays, publié chaque année depuis 1995 par Transparency international. On constate une relation inversement proportionnelle entre le niveau de développement humain et par conséquent de l'éducation et celui de la corruption (figure 1 et 2). Concernant le Maroc, l'indice de la perception de la corruption oscille depuis 2004 entre la 80e et la 89e place pour une 123e pour l'indice de développement humain. Figure 3 : indice corruption Maroc 2002-2017. / Ph. DR Les effets de la corruption sont multiples et entravent d'autant plus le développement humain qu'elle est systémique. D'un point de vue économique, plusieurs études ont démontré que la corruption est un frein au développement économique. Selon le dernier rapport du Forum économique mondial, l'index de compétitivité économique globale situe le Maroc à la 71e place sur un total de 137, et le facteur premier affectant les affaires est la corruption (figure 4). Figure 4 : Facteurs affectant les affaires. / Ph. Forum économique mondial Lorsque l'on examine le détail des indicateurs qui contribuent à l'index global de compétitivité, les classements présentent un large éventail avec les positions les plus défavorables pour l'enseignement, la formation, l'innovation, la santé et le marché du travail (figure 5). Figure 5 : classement des indicateurs composant l'index global de compétitivité. / Ph. DR Lorsque la corruption atteint le système éducatif, la situation devient alarmante car s'ajoute la corruption morale qui hypothèque l'avenir du pays, car le temps de l'éducation et de la formation est un temps long qui affecte tous les secteurs et touche tous les citoyens et donc le développement humain. A la corruption systémique, il est indispensable d'apporter une réponse systémique qui dépend avant tout d'une volonté politique. Celle-ci s'est traduite dès 2011 dans la Constitution qui a acté la création d'une instance dédiée à la prévention de la corruption. Des efforts sont aussi faits par une stratégie de lutte contre la corruption mais qui gagnerait à être systémique en s'inscrivant dans une Initiative nationale pour la probité et la lutte contre la corruption, qu'elle soit passive ou active. Education, prévention et répression Pour cela trois axes sont à privilégier. D'abord, un axe éducatif. Car aujourd'hui, des générations de marocains ont été élevées dans la corruption et on la trouve normale pour soi et inacceptable pour les autres. Il faut donc introduire dès l'enseignement primaire des programmes d'éducation civique qui incluent la dimension de corruption dans tous ses aspects. Organiser des colloques, des conférences, des débats radiophoniques et télévisuels non pas pour dénoncer la corruption mais pour éduquer aux conséquences néfastes de la corruption active et passive. Il faut privilégier aussi un axe préventif. En effet, toute disposition favorisant un risque de corruption doit être supprimée. En cela, le digital et le numérique apportent des solutions qui ont montré leur efficacité. Par exemple, en systématisant le paiement des amendes par internet et en supprimant le paiement en numéraire auprès des agents d'autorité (police, gendarmerie, administration). Enfin, il faut privilégier un axe répressif. L'application des sanctions prévues par la loi est inefficace en cas de corruption systémique car elle touche aux intérêts individuels. Il est donc nécessaire d'avoir une chaîne qui va de la justice jusqu'à la police et à la gendarmerie, en passant par l'administration. Pour cela, il faut un dispositif anticorruption constitué d'une chambre spéciale anti-corruption constitué de magistrats exemplaires et des brigades spéciales anti-corruption de police et de gendarmerie au niveau du Parquet. Il faut aussi rendre effective la déclaration obligatoire du patrimoine telle que figurant dans les missions de la Cour des Comptes depuis 2010 et appliquer les sanctions prévues. Garantir par l'Etat l'accès aux données pour tout citoyen et toute institution et association de lutte contre la corruption est une nécessité. L'Initiative nationale pour la probité et la lutte contre la corruption doit s'inscrire dans la durée avec la mise en place d'un Observatoire qui rendra un rapport annuel pour l'évaluation du dispositif et la mise en application des décisions.