Officiellement, les relations diplomatiques n'existent plus entre le Maroc et Israël depuis 2000, mais en toile de fond, une coopération militaire et économique existe bel et bien. En plus de celle-ci, nombre d'activistes pointent du doigt les échanges culturels comme un aspect de l'art-washing apartheid. Près de 149 millions de dollars. C'est le montant des échanges commerciaux entre Rabat et Tel Aviv, de 2014 à 2017, selon un rapport du Bureau central israélien des statistiques (CBS). En 2017 seulement, Israël a enregistré 37 millions de dollars à travers ses activités d'échange économique avec le Maroc, plaçant ce dernier parmi les quatre principaux partenaires économiques d'Israël en Afrique. En effet, un article de Middle East Eye a fait état de gros investissements israéliens dans le royaume, à l'image de celui de Netafim, entreprise de technologie agricole connue pour ses systèmes d'irrigation au goutte-à-goutte, ayant créé officiellement une filiale au Maroc pour 2,9 millions de dollars en 2017. «L'investissement de Netafim est l'exemple le plus visible des liens économiques de longue date et "secrets" entre Israël et le Maroc», explique le média. Selon la même source, la société se serait implantée dans le pays depuis 1994 sous un nom différent, à travers sa succursale Regafim. Face à la mobilisation des associations anti-normalisation, différents gouvernements marocains auraient démenti l'existence de ces liens, qui restent traçables à travers le mouvement Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) Maroc. Une normalisation culturelle peu visible Les militants anti-normalisation pointent du doigt des échanges culturels, voire académiques, qui s'ajoutent aux échanges économiques et à une coopération militaire entre le Maroc et Israël. Derniers épisodes en date, le Moroccan academic and cultural boycott of Israël (MACBI), membre de BDS Maroc, a alerté sur la programmation de trois opus marocains dans le cadre de la dernière édition du Festival international du film de Haïfa (du 22 septembre au 1er octobre). Après une campagne, l'un des trois films, «Apatride» de Narjiss Nejjar, a été retiré de la programmation, à la demande de sa réalisatrice. Second fait récent, le MACBI a alerté sur la participation du Maroc dans l'organisation de l'Eurovision, susceptible de se tenir en Israël en 2019. Sion Assidon, activiste BDS, confirme à Yabiladi la présence marocaine «à travers au moins une chaîne» faisant partie de Société nationale de la radio et de la télévision (SNRT). «Avec le Liban – également parmi les organisateurs – le Maroc a la possibilité d'intervenir pour empêcher que l'événement de se tienne en Israël», nous explique-t-il en évoquant une bataille acharnée sur cette question au sein de l'Eurovision. Over 2500 signatures in three hours, calling on public broadcasters and participants to #BoycottEurovision2019. Sign and share to let @Eurovision organizers @EBU_HQ know that apartheid and occupation are nothing to celebrate.https://t.co/6iGfJC8h2k — PACBI (@PACBI) November 2, 2018 «Nous avons écrit dans ce sens à la chaîne pour qu'elle agisse. Même si nous n'avons pas reçu de réponse, nous comptons continuer nos démarches pour faire entendre ce message, qui est celui du peuple palestinien», ajoute le militant qui fait état d'«une large mobilisation internationale à travers le mouvement BDS et le réseau PACBI (Palestinian Campaign for the Academic and Cultural Boycott of Israel, ndlr)». Des activités de normalisation introduites au Maroc Signataire de l'appel de MACBI et membre du mouvement BDS, Anis Balfrej explique pour sa part que la normalisation artistique avec Israël est ancrée au Maroc, bien au-delà de ces événements. «Le mouvement culturel israélien au Maroc est présent à travers la musique et les arts, car Israël tente de s'introduire par ce biais, compte tenu du nombre de juifs d'origine marocaine vivant là-bas», nous confie-t-il. Un réseau que «le régime sioniste utilise pour favoriser ses contacts avec ses homologues marocains», ajoute le militant. Celui-ci explique qu'il s'agit là d'«une soft-power qui s'opère à travers la venue d'orchestres musicaux, ou encore la participation dans les moussems comme celui de Ouazzane». Autant d'occasions qui «permettent à certains criminels de guerre d'être présent au Maroc, de manière sûre mais discrète, pour entreprendre des actions de normalisation avec Israël», nous rappelle-t-il. «Ce sont des personnes qui ont du sang palestinien sur les mains, des réservistes, d'anciens soldats qui ont participé à des opérations militaires et qui doivent être poursuivis», ajoute Anis Balafrej. Ainsi, ce dernier souligne qu'«il ne s'agit pas de "faciliter la paix", mais de profiter de ces événements culturels pour encercler le peuple palestinien». A la question de saisir les pouvoir publics sur cette coopération artistique, Sion Assidon souligne que le MACBI s'est adressé au ministre de la Culture sur la présence de certains artistes au dernier Festival des Andalousies atlantiques, tenu à Essaouira du 25 au 28 octobre, en vain. «Lorsqu'il s'agit de personnes ayant commis des crimes de guerre, sur la base de faits avérés, c'est à la justice de s'en saisir en émettant des mandats d'arrêt», affirme de son côté Anis Balafrej. Rappelant que cette normalisation se fait également dans le domaine sportif, les deux militants soulignent que des compétitions sportives de judo, tenues l'année dernière à Marrakech, ont connu la participation d'athlètes israéliens. «Il y a même eu des manifestations dans la rue, mais les autorités locales n'ont pas réagi», souligne Sion Assidon. «En général, ces personnes ne s'annoncent pas et les Israéliens ne communiquent pas officiellement sur leur présence au Maroc. Nous restons donc vigilants et faisons nos recherches à chaque annonce d'activité.» Sion Assidon, activiste BDS Maroc Le domaine de l'enseignement et de la recherche n'échapperait par à cette normalisation, selon Sion Assidon, qui alerte les universitaires dans ce sens. «Il semblerait que les Israéliens essayent d'attirer des étudiants marocains en les soudoyant par des bourses, mais cela nécessite une investigation approfondie, pour laquelle nous avons aujourd'hui quelques témoignages», conclut-il.