Pendant des décennies, les relations entre les dirigeants du Maroc et de la Libye ne furent pas au beau fixe. Tantôt sous tension, tantôt rompus, ces rapports diplomatiques en dents de scie remontent au règne de Mohammed V et d'Idriss Ie El-Senussi. Il fut souvent rappelé que les relations entre le Maroc et la Libye étaient au point mort depuis l'accession du colonel Mouammar Kadhafi au pouvoir suite au coup d'Etat de 1969. Cependant, les brouilles diplomatiques remontaient à bien avant. Elles se produisirent même sous le souverain déchu Idriss Ier El-Senussi (1951 – 1969) et son homologue marocain, Mohammed Ben Youssef, sultan de 1927 à 1957 puis roi de 1957 à 1961. Dans leur temps, les deux dirigeants en arrivèrent à la rupture totale et la France y joua un rôle. En effet, «les prémices de ces tensions se ressentirent avant même l'indépendance du Maroc», écrivait le journaliste Talha Jibril dans son ouvrage «Le roi et le colonel». Dans un entretien inclus dans le livre, l'ancien Premier ministre de 1960 à 1963 sous la dynastie El-Senussi, Mohammed Osman al-Saïd, indiqua d'ailleurs qu'«un refroidissement des liens entre les deux pays se ressentait déjà en 1956 et persista jusqu'à [sa] désignation à la tête de l'exécutif libyen». Le traquenard français Selon l'ancien responsable, «ce froid était dû à des circonstances entourant une visite d'Idriss El-Senussi au Maroc en 1953, année durant laquelle le sultan fut exilé par la France». «Cette année-là, Idriss Ier était souffrant, ce qui le mena à se rendre en Suisse pour se faire soigner. A la fin de son séjour, il se déplaça en France, en Espagne, puis au Maroc.» Décédé en 2007 après de longues années d'exil au Maroc, Mohammed Osman al-Saïd déclara au journaliste que «le souverain libyen avait été victime d'un traquenard français». «Le dirigeant voulait se recueillir sur la tombe de Moulay Idriss Ier sur les hauteurs de Zerhoun, puis sur celle d'Idriss II à Fès, puisqu'il descendait d'eux et qu'il ne s'était jamais rendu sur les lieux auparavant. Sauf que le Protectorat français avait organisé volontairement le séjour d'Ibn Arafa, intronisé au cours de l'exil de Mohammed Ben Youssef, dans le même hôtel que le roi libyen. Les deux hommes se rencontrèrent donc contre le gré d'Idris El-Senussi, qui ne fut consulté en aucun cas à cet effet.» Mohammed Osman al-Saïd interviewé par Talha Jibril Al-Saïd confia à Talha Jibril qu'El-Senussi lui «assura plus tard n'avoir abordé aucune question à caractère politique avec Ibn Arafa». «En revanche, plusieurs médias français publièrent des photos de cette rencontre, ce qui parvint au sultan exilé et provoqua sa stupéfaction», confia-t-il encore. Et d'ajouter : «Il était certainement surpris et consterné, mais il n'avait guère connaissance des coulisses de cette entrevue, à travers laquelle les Français voulaient mettre le roi Idriss face à un dilemme. Les choses restèrent ainsi, jusqu'au retour du souverain marocain de l'exil et l'indépendance du pays. Après quoi, son homologue libyen lui envoya un courrier de félicitations qu'il ignora pendant deux mois, ce qui jeta un froid.» Après l'indépendance, Mohammed V resta longtemps contrarié par la rencontre entre Ibn Arafa et le souverain libyen. Quant à ce dernier, il demeura dans l'embarras lorsque le roi du Maroc ignora sa correspondance. L'ouvrage du journaliste indiqua également que le gouvernement libyen réitérait les prises de contact avec le Maroc, à travers l'ambassade de France avant la désignation d'un représentant marocain, mais rien n'y fit. Un apaisement des relations En 1958 et après moultes médiations, Mohammed V accepta de nommer un représentant à Tripoli. Malgré le fait d'être encore loin de la diplomatie, Horma Ould Babana fut choisi pour cette mission. Ce leader tribal décédé en 1979 était un fervent défenseur de l'union de la Mauritanie comme partie intégrante du Maroc. Mais sa promotion au poste de diplomate fut perçue par plusieurs chercheurs comme une formalité, plutôt qu'une réelle responsabilité. De con côté, la Libye désigna Mansour Guedara comme son représentant au Maroc. Ancien ministre des Finances, il était connu pour sa fibre nationaliste, mais sa nomination ne fit également office que de formalité. Ainsi, les deux ambassades n'interagissaient presque pas, jusqu'au décès du roi Mohammed V en 1961. Dans une tentative d'apaiser les relations, le souverain libyen envoya une délégation au Maroc pour prendre part à ces funérailles nationales. Pourtant, cette démarche ne réchauffa pas l'atmosphère, et ce coup de froid perdura jusqu'à la fin juillet 1962. Cette année-là et sur son chemin pour Le Caire où il devait participer à un sommet panafricain, le roi Hassan II (1961 – 1999) décida de faire escale à Tripoli. Il fut accueilli chaleureusement par son homologue, qui était accompagné par Mohammed Osman al-Saïd, puis il fut conduit au palais. Sur la route, les deux chefs d'Etat tissèrent des rapports plus cordiaux, qui facilitèrent plus tard la visite du Premier ministre libyen à Rabat. La succession de ces faits contribua à mettre fin – momentanément – aux hostilités sur le plan diplomatique. Retour à la case départ Si les relations bilatérales reprirent doucement, cette cessation fut de courte durée. Lorsque Mohammed Osman al-Saïd fut démis de ses fonctions à la primature en 1963, les liens s'étiolèrent de nouveau. La Libye montra de moins en moins son intérêt à fructifier ses rapports avec le Maroc. De son côté, Hassan II ne faisait plus de cette relation une priorité, au regard de la situation politique interne compliquée et de la montée de l'opposition, qui accéléra l'annonce d'un état d'urgence en 1965. L'enlisement continua, surtout après la déposition d'Idriss Ier de Libye et l'arrivée au pouvoir du colonel Mouammar Kadhafi. Son soutien au Front Polisario confirma la rupture diplomatique entre les deux pays.