Né à Brooklyn et éternel amoureux du Maroc, le pianiste et compositeur américain Randy Weston élit domicile à Rabat et à Tanger dès la fin des années 1960. Il fut un adepte de la musique gnaoua, qu'il fusionna avec ses compositions, tel un retour aux sources du jazz. Passionné de jazz, il fut tellement déterminé à redécouvrir les origines africaines de cette musique qu'il quitta sa ville natale, Brooklyn, pour élire domicile au Maroc. Décédé le 1er septembre 2018, le pianiste Randy Weston marqua ce monde d'une empreinte musicale éternelle, grâce à laquelle il permit aux contemporains de remonter les sources africaines du jazz. Né le 6 avril 1926 d'une mère originaire du continent africain, le compositeur fut rapidement fasciné par le jazz. Il décida de faire ses propres compositions en se rapprochant davantage des sonorités africaines, les mêmes desquelles est né le jazz, s'apparentant à la musique gnaoua. Promouvoir l'échange culturel Tout commença dans les années 1960, lorsque Randy Weston débuta une tournée africaine, avec le soutien du gouvernement américain. Dans une interview accordée en mai 1972 au magazine new yorkais Black Enterprise (86 pages, Vol. 2, No. 10), le jazzman déclara avoir visité le Maroc une première fois en avril 1967, dans le cadre de cette tournée de trois mois l'ayant mené dans plus de quinze pays du continent. Initialement lancée pour aider les musiciens afro-américains à promouvoir les échanges musicaux et culturels avec l'Afrique, cette rencontre constitua un déclic pour Randy Weston. Randy Weston fut un passionné de jazz avant de devenir un virtuose / Ph. DR. En effet, le maestro se retrouva tellement dans son continent d'origine qu'il décida d'y élire domicile pendant longtemps, de la fin des années 1960 à la moitié des années 1970. «Nos sens furent considérablement stimulés par la diversité et la richesse de l'Afrique et de son peuple… Nous avons trouvé davantage d'énergie pour jouer devant le public marocain, qui était formidable», déclara-t-il encore à la même source. Une célébrité au Maroc A l'issue de cette tournée africaine, Randy Weston retourna à Brooklyn, au moment où il devenait de plus en plus célèbre au Maroc. Dans le royaume, un nouveau public commença à le découvrir et il décida alors de s'installer plus longuement dans le pays. Enseignante en performance studies à l'Université de New York, Deborah Kapchan souligne dans son ouvrage «Traveling Spirit Masters: Moroccan Gnawa Trance and Music in the Global Marketplace» (Wesleyan University Press, Oct 26, 2007) que Randy Weston retourna en effet au Maroc, attiré par un «public très réactif». «Les Marocains ont tellement apprécié les prestations de Weston qu'à son retour aux Etats-Unis, il reçu immédiatement une invitation pour revenir au Maroc», rappela par ailleurs la chercheuse. L'entretien accordé au Black Enterprise par le compositeur revient là-dessus justement, rappelant que «les Marocains ont absolument tenu à ce qu'[il] revienne, ce qui se concrétisa plus tard en 1967 à l'occasion d'une tournée au Maroc et en Tunisie». «J'ai décidé de me laisser attirer par la chaleur humaine et l'hospitalité des Marocains, la beauté du pays, la musique locale intéressante que j'entendais partout autour de moi et ce sentiment d'avoir réellement la possibilité de semer les graines de l'échange musical afro-américain sur un sol africain.» Randy Weston Au Maroc, Randy Weston travailla avec nombre de maîtres gnaoua / Ph. DR. Ce projet se concrétisa plus rapidement, lorsque le virtuose de jazz s'installa à Rabat puis à Tanger pendant cinq ans, comme rappelé récemment par le New York Times. Dans le pays, Randy Weston multiplia rapidement les collaboration artistiques avec des maîtres de la musique gnaoua et s'intéressa même à l'apprentissage du guembri, instrument central dans toutes les compositions de gnaoua. Le père fondateur du Festival de jazz à Tanger Dans la citadelle, Randy Weston créa un club privé appelé African Rhythms Club, «avec l'aide de [ses] amis marocains, dont Abdeslam Akaâboune, ainsi que d'autres également issus d'Afrique, d'Europe, des Caraïbes et des Etats-Unis». Là-bas, il donna chaque soir des concerts avec son fils Azzedin, de septembre à avril de l'année d'après. En décrivant ce lieu pour le moins magique, le magazine The Rolling Stones évoqua «une opulente salle à l'étage, au-dessus du Cinéma Mauritania, du côté de l'avenue du Prince héritier». «Le club de Weston est sombre et enfumé. Beaucoup de ses habitués restent discrets… Pour y accéder, il faut monter des marches orange ornées de masques noirs qui se ressemblent et de motifs tribaux abstraits.» Rolling Stones Magazine Le lieu ouvrait ses portes à 23h pour accueillir des mélomanes parmi les habitants locaux et les expatriés, jusqu'au petit matin. «La musique résonnait devant un parterre de gens dansant sur les derniers tubes de James Brown, des compositions de jazz portant l'empreinte particulière de Weston, ou encore la musique populaire marocaine», écrivait encore Rolling Stones. Au-dessus du mythique Cinéma Mauritania, Randy Weston créa un club musical qui devint rapidement incontournable / Ph. DR. Plus qu'un simple espace de rencontres et de danse ayant fait partie de la vie nocturne tangéroise, l'African Rhythms Club servit également de scène de promotion pour les soirées de gnaoua, dites «lila», devenant ainsi un espace incontournable pour les maîtres locaux de cette musique séculaire. Fusionnés au piano de Randy Weston, ces rythmes devenaient hypnotisants, attirant à chaque fois un public plus important en nombre. Devenu un lieu incontournable dans la vie artistique et musicale en si peu de temps, l'African Rhythms Club constitua une pierre fondatrice du premier Festival de Jazz à Tanger, selon Deborah Kapchan. Celle-ci rappela que dans le milieu des années 1970, Randy Weston rentra à Brooklyn mais se rendit annuellement dans la ville du Détroit pour participer à ce rendez-vous musical. Un pont culturel entre l'Afrique et l'Amérique En 1973, ce séjour porta ses fruits, puisque l'inspiration musicale qu'il apporta à Randy Weston permit à ce dernier d'être nominé aux Grammy Awards dans la catégorie jazz, pour son album «Tanjah». Et le New York Times de rappeler qu'en 1995, le maestro fut de nouveau nominé au même prix grâce à l'album «The Splendid Master Gnawa Musicians of Morocco». Ce chef-d'œuvre inclut la contribution de onze maîtres marocains de la musique gnaoua, que le compositeur américain a rencontrés lors de son séjour au royaume. Sa reconnaissance fut marquée au Maroc également avec sa décoration, en mai 2011, aux côtés du mâallem Abdellah El Gourd. A l'occasion de la quatrième édition du Festival World Nomads à New York, les deux hommes reçurent le wissam du mérite national de l'ordre d'officier de la part de Mohamed Karmoune, alors consul général du Maroc dans la ville. A l'âge de 92 ans, l'ambassadeur de la musique afro-américaine décéda, léguant un héritage musical ayant permis à nombre de professionnels de faire évoluer leurs recherches aux origines du jazz, en lien avec la musique gnaoua.