Depuis 1992, date de sa signature, l'accord bilatéral de réadmission des étrangers est peu à peu tombé aux oubliettes. La société civile estime notamment qu'il ne permet pas de garantir les droits des migrants. Depuis le 23 août dernier, date à laquelle 116 migrants arrivés illégalement en Espagne ont été expulsés au Maroc, l'accord bilatéral cristallise toute l'attention des autorités des deux pays. Après l'assaut, la veille, des 116 Subsahariens à Ceuta, l'exécutif de Pedro Sánchez n'a pas tardé à dépoussiérer ce protocole de réadmission des migrants en situation administrative irrégulière : aussitôt arrivés, aussitôt expulsés. Il avait été signé le 13 février 1992 à Madrid, sous l'exécutif de Felipe González, rédigé dans une version espagnole et arabe. Il avait ensuite été paraphé par les ministres de l'Intérieur des deux pays, José Luis Corcuera et Driss Basri, en réponse à une entrée massive de 800 migrants à Melilla, «à une époque où les arrivées étaient bien moins nombreuses qu'aujourd'hui», souligne le journal en ligne El Diario. Il fut appliqué trois ans plus tard, lorsque le Maroc réadmit trois migrants expulsés, «pour répondre au souci commun de coordonner les efforts visant à mettre un terme au flux migratoire clandestin d'étrangers entre l'Espagne et le Maroc». Au total, il a été appliqué 114 fois, principalement à l'égard de ressortissants marocains. Quant aux Subsahariens, Rabat a plusieurs fois justifié ses refus successifs, arguant qu'«[elle] ne pouvait pas savoir si ces personnes étaient entrées en Espagne depuis le Maroc», condition requise par l'accord en cas de réadmission des migrants par le royaume. La société civile pas convaincue non plus C'est donc la première fois depuis 2005 que le Maroc réadmet sur son territoire des migrants de pays tiers seulement 24 heures après leur entrée en Espagne. En 1996, les autorités espagnoles avaient expulsé 45 personnes ; 25 en 1997 et seulement une en 1998. Preuve de son inefficacité, après les deux arrivées massives de migrants en 2005 à Ceuta et Melilla, les gouvernements espagnol et marocain ont décidé d'adopter «un accord exceptionnel et spécifique» pour procéder au retour des migrants subsahariens entrés illégalement en Espagne. Depuis, l'accord s'est perdu dans les limbes diplomatiques. Un cas pratique qui a révélé que le protocole entre les deux pays n'était pas réellement appliqué, estime Inmaculada González García, chercheuse espagnole en droit international, dans un rapport datant de 2006 intitulé «L'accord Espagne-Maroc sur la réadmission des migrants et son application problématique : les assauts de Ceuta et Melilla». La chercheuse note également que «parallèlement, les irrégularités commises par l'Espagne au cours de la procédure et l'abandon par le Maroc des migrants dans le désert des frontières sud, en a révélé l'application problématique de l'instrument bilatéral». Ce n'est pourtant pas faute de l'avoir réclamée : la dernière demande avait été émise en 2017 par l'Association civile Pro Guardia (APROGC). Elle s'est sans surprise soldée par un échec. La société civile pointe elle aussi les faiblesses de cet arsenal juridique. Amnesty International Espagne a demandé au ministère de l'Intérieur de cesser les expulsions expresses vers le Maroc. Son directeur, Esteban Beltrán, soutient que la rapidité avec laquelle ces expulsions sont menées «peut difficilement garantir l'accès à une procédure individualisée avec toutes les garanties et, par conséquent, à un avocat et à un interprète de qualité, ainsi qu'une identification adéquate des demandeurs d'asile potentiels, des mineurs étrangers non accompagnés ou des membres de collectifs ayant des besoins spécifiques, comme les personnes LGBTI».