Enquêteurs, experts assermentés par la justice et police scientifique vont devoir pointer au chômage. Les médecins spécialisés en augmentation mammaire et les esthéticiennes/tatoueuses au henné, offrent leur service gratuitement… ou presque. Billet satirique. La série américaine True Detective a fait des émules au Maroc. On connaissait les certitudes des chauffeurs de taxis et gardiens de parking qui ont un avis sur tout, n'hésitant pas à dénouer les enquêtes les plus compliquées. Désormais, il faudra compter avec les esthéticiennes, les tatoueuses au henné, et les chirurgiens esthétiques spécialisés en 95-C. L'épisode «Les Experts : Oulad Ayad» se penche sur la sombre affaire d'un kidnapping et viol de la mineure prénommée Khadija. Alors que l'affaire est aux mains de la justice, une dermographiste (plus simplement une personne spécialisée en maquillage permanent : «stiticienne» comme on dit au Maroc) a décidé de faire œuvre utile en prenant un vol New York – Casablanca pour ensuite demander à son chauffeur de l'emmener fissa à Oulad Ayad, près de Fquih Ben Salah. Le verdict de la spécialiste en sourcils redessinés est sans appel : «Khadija est une menteuse, elle était tatouée bien avant son prétendu kidnapping».
«2 mois c'est im-pooo-sible !» Elle ira le crier aux médias (Barlamane et Hespress en tête) pour mettre en garde les citoyens qui se sont émus du drame vécu par Khadija. Linda Paradis - c'est le nom de la tatoueuse sans henné - semble plus inquiète de l'image du Maroc que du sort de cette jeune fille qu'elle traite avec un dédain sans nom. Docteur Tazi, spécialiste en silicone et collagène, ayant été pris de vitesse par une «stiticienne» qui aurait pu être sa cliente, a convoqué ChoufTV, lui aussi pris de vitesse dans l'opération démontage de l'affaire Khadija. La longue vidéo met en scène la journaliste de ChoufTV par le docteur qui se transforme donc en pseudo-journaliste. Les deux complices vont répondre à la question que personne au Maroc ne s'est posée : Pourquoi Dr Tazi ne s'est pas manifesté pour venir en aide à Khadija ? Magnifique manœuvre pour retirer le rôle principal du film à la jeune Khadija, et mettre Dr Tazi sous les projecteurs. Pour lui, l'explication est simple : le cas des tatouages n'est pas une urgence. En effet, même si ce n'est pas son domaine de spécialisation (collagène & silicone), il assure que le retrait des tatouages est simple via la technique du laser. Il s'inscrit donc en faux par rapport à la version de Linda Paradis. Comme personne ne lui a demandé son avis pour l'augmentation mammaire, Dr Tazi se risquera à faire de la voyance gynécologique. Khadija n'ayant pas été tombée enceinte en deux mois de «viols», il se permet donc de douter de la version de la jeune demoiselle. Vous l'aurez compris, entre Miami et Oulad Ayad, les experts ont beaucoup perdu de leur superbe. «Il sont où les bébés des viols ?» Le docteur Tazi finira par révéler son agacement à l'égard des aides venues de l'étranger «comme si au Maroc nous n'avions pas de chirurgiens, de spécialistes, etc.» Il ne faut pas profiter de l'affaire de la petite Khadija pour son bénéfice personnel et se faire de la publicité, explique celui qui n'a été mandaté par personne pour s'exprimer sur le cas médical de Khadija. Au-delà de l'aspect auto-promotion des experts en tatouage sans henné, avec la complicité de certains médias, il convient de s'interroger sur la synchronicité de ces sorties médiatiques. Comme deux cheveux sur une calvitie, nos deux blouses blanches aux lèvres pulpeuses semblent plus inquiets pour l'image du pays que par le sort de Khadija. Sont-ils en mission pour l'Office marocain du Tourisme afin de protéger la destination Oulad Ayad, célèbre pour ses kilomètres de plages de sable fin et ses monuments datant de «jahylya» ? Avec leurs capsules vidéos publicitaires, ils auront réussi à asséner leurs vérités auprès de centaines de milliers de Marocains. Drôle de situation où une affaire en cours d'instruction et impliquant une enfant mineure se voit polluer par l'avis d'«experts», qui ne sont ni témoins, ni mandatés par la justice, ni ayant l'expertise suffisante pour déterminer si oui ou non Khadija a été violée, kidnappée et «accessoirement» tatouée de force. Grossière manœuvre de diversion qui devrait normalement faire l'objet d'une mise au point par l'Ordre des médecins et celui des «stiticiennes». A défaut, émettons le souhait de voir ces deux sorties médiatiques indignes inscrites sur leur front comme du maquillage permanent.