Fin 2017, l'Espagne avait fait appel de sa condamnation par la Cour européenne des droits de l'homme pour deux expulsions à chaud de Melilla. Aujourd'hui, le gouvernement de Pedro Sanchez demande un délai supplémentaire pour revoir la position de l'Etat espagnol dans cette affaire. Le nouveau gouvernement socialiste espagnol va réexaminer la position de l'Espagne dans l'affaire des deux migrants ivoirien et malien expulsés vers le Maroc, le 13 août 2014, juste après être parvenus à franchir les trois barrières de la frontière de Melilla, a révélé El Pais jeudi 21 juin. Le 3 octobre 2017, l'Espagne avait été condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) à verser 10 000 euros de dommages et intérêts aux deux hommes pour les avoir expulsés hors de toute procédure légale. Le 13 août 2014, «les requérants (un Malien et un Ivoirien d'une trentaine d'années, ndlr) quittèrent le camp du mont Gourougou et tentèrent d'entrer en Espagne avec un groupe de migrants subsahariens par le poste-frontière de Melilla. (…) Les requérants et d'autres migrants escaladèrent la première clôture le matin. Ils disent avoir fait l'objet d'une attaque de jets de pierres de la part des autorités marocaines. Le premier requérant parvint à grimper jusqu'en haut de la troisième clôture et y resta jusqu'à l'après-midi, sans assistance médicale ou juridique», expose la CEDH dans son arrêt. «Le deuxième requérant dit avoir été touché par une pierre lors de son escalade de la première clôture et être tombé, mais être parvenu ensuite à franchir les deux premières clôtures. Pendant ce temps, les requérants auraient été témoins de violences commises contre des migrants subsahariens par les agents de la Guardia Civil espagnole et les forces de l'ordre marocaines. Vers 15 heures et vers 14 heures respectivement, le premier requérant et le deuxième requérant descendirent de la troisième clôture avec l'aide des forces de l'ordre espagnoles. Dès qu'ils eurent posé leurs pieds sur le sol, ils furent appréhendés par des membres de la Guardia Civil qui les menottèrent et les renvoyèrent vers le Maroc», ajoute-t-elle. Faire valoir les droits espagnol et européen Jusqu'à l'élection du nouveau gouvernement espagnol de Pedro Sanchez, le 1er juin 2018, l'Espagne soutenait que la Guardia Civil était dans son bon droit. Selon le protocole opératoire de surveillance des frontières de la Guardia Civil du 26 février 2014, qui a introduit l'expression «frontière opérationnelle», un migrant n'est véritablement entré en Espagne qu'une fois qu'il a réussi à franchir toutes les barrières. Or, dans le cas des deux hommes, ils ont été aidés à descendre de la troisième barrière et immédiatement menottés par la Guardia Civil. Selon l'Espagne de Mariano Rajoy, ils ne seraient jamais entrés sur le sol espagnol et donc ne peuvent pas bénéficier des droits qui s'y appliquent. La Cour européenne de justice a estimé au contraire qu'il n'était pas nécessaire que les migrants aient atteint le sol de l'Espagne stricto sensu pour faire valoir les droits espagnol et européen. «Dès l'instant où un Etat, par le biais de ses agents opérant hors de son territoire, exerce son contrôle et son autorité sur un individu, et par voie de conséquence sa juridiction, il pèse sur lui en vertu de l'article 1 une obligation de reconnaître à celui-ci les droits et libertés définis au titre I de la Convention qui concernent son cas», explique la Cour dans son arrêt. Dès lors, les agents de la Guardia Civil se devaient de respecter le droit espagnol et européen. L'article 4 du quatrième Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme prévoit justement que les «expulsions collectives sont interdites». «Le but [de cet article] est d'éviter que les Etats puissent éloigner un certain nombre d'étrangers sans examiner leur situation personnelle et, par conséquent, sans leur permettre d'exposer leurs arguments s'opposant à la mesure prise par l'autorité compétente», explique la Cour dans son arrêt. Or, c'est précisément ce qui s'est passé. Les deux hommes ne se sont pas vu notifier par écrit leur expulsion, n'ont pas pu s'exprimer et surtout n'ont pas pu déposer un recours suspensif contre la décision d'expulsion. Aucun de ces droits n'a été respecté et l'Espagne a donc été condamnée avant de faire appel. L'audience de cet appel était prévue pour le 4 juillet 2018, mais le nouveau gouvernement espagnol a envoyé une lettre, le 11 juin, pour demander un report, le temps d'examiner sa position sur cette affaire. Le même jour, Pedro Sanchez avait proposé d'accueillir les 600 migrants irréguliers rescapés de l'Aquarius après que l'Italie a refusé de les voir débarquer sur ses côtes. La concomitance des deux évènements laisse penser que l'Espagne pourrait renoncer à faire appel. Elle reconnaîtrait ainsi que les expulsions à chaud des migrants, très pratiquées sur les barrières de Ceuta et Melilla, sont illégales. Le gouvernement de Mariano Rajoy avait tenté de les légaliser grâce à un amendement opéré le 1er avril 2015 sur la loi organique relative aux droits et libertés des étrangers en Espagne et à leur intégration sociale, suite aux poursuites judiciaires lancées par plusieurs associations contre Ambrosio Martin Villasenor, le chef du commandement de la Guardia Civil à Melilla, à l'automne 2014, pour avoir outrepassé son mandat en procédant à des expulsions à chaud.