Odeur de poudre dans l'industrie du lait au Maroc ? Après le boycott ciblant Centrale Danone, Copag et son lait Jaouda sont la cible de plusieurs médias. Yabiladi a tenté de démêler les fils de cette polémique. L'information a fait l'effet d'une bombe. La semaine dernière, nos confrères de Médias 24 rendaient publiques des données «non-officielles» d'une étude réalisée par la filiale marocaine de Kantar Worldpanel, sur le secteur laitier au Maroc au lendemain de la campagne du boycott. Tout se passe la semaine du 1er mai lorsque la donne change pour un secteur dominé jusque-là par Centrale Danone. Avec une part de marché passant de 46,7% vers le 20 avril à 18,5% fin mai, la filiale marocaine du groupe français Danone cède la première place du podium du marché du lait à son éternel concurrent, Copag. Ce dernier, selon Kantar Worldpanel, serait le nouveau leader du secteur avec désormais plus de 33% du marché. Copag accusée d'utiliser du lait en poudre dans le lait frais L'enquête de Médias 24 va même jusqu'à s'interroger comment Copag a «pu adapter ses capacités de production pour répondre à la demande grandissante sur ses produits» en si peu de temps ? Des sources anonymes du secteur accusant la coopérative familiale d'utiliser de la poudre de lait alors que l'utilisation serait «formellement interdite pour produire du lait». «Nos sources laissent entendre, parfois assurent, que Copag a fortement eu recours à cette pratique pour augmenter sa production de lait», poursuit le média. Citant des chiffres «non officiels» en sa possession, Médias 24 affirme que «Copag a multiplié par 5 ses importations de poudre de lait, de 200 T durant le mois de février à 1.000 tonnes au cours du mois de mai». Une «preuve, s'il en faut selon nos sources, ''que cette poudre a servi uniquement pour le lait vu que la collecte de lait frais par Copag n'a pas augmenté contrairement à son importation de poudre de lait''», ajoute le site d'information. L'enquête de Kantar, les révélations de sources et propos recueillis auprès des professionnels du secteur laitier constituent donc les armes ayant permis de clouer au pilori la coopérative agricole de Taroudant. Nous avons tenté de remonter le fil des différentes révélations, non sans difficultés. Kantar Worldpanel se défend Contactée la semaine dernière, la direction de Kantar Worldpanel Maroc renvoie la balle au directeur du développement en charge de la zone Afrique et Moyen-Orient à Kantar Worldpanel, Idriss El Ganari. Contacté ce lundi, il exprime sa surprise quant à l'angle de l'enquête. «Quand j'ai vu l'article, j'ai été surpris car je ne savais pas que notre étude sera utilisée dans la presse», nous déclare-t-il. «L'article sur le boycott comprend une partie qui correspondant à nos conclusions quant au changement du leader du marché et des tendances du secteur laitier mais le reste de l'article vient du journaliste - c'est son point de vue et sa responsabilité- ce n'est pas Kantar Worldpanel», se défend-il d'emblée. Idriss El Ganari rappelle que Kantar, présent au Maroc officiellement depuis fin 2017, mesure la consommation des foyers marocains à travers un panel constitué de 1 500 foyers représentant un «mini-Maroc». «Le boycott intéresse beaucoup de gens mais comme pour toutes nos études, je suis contraint par contrat à la confidentialité. Je ne peux pas révéler le nom du ou des clients ayant acheté notre base de données concernant le secteur du lait», nous répond-t-il lorsqu'on lui pose la question sur la source ayant fuité ces données censées être vendues à de potentiels clients. Médias 24 insistant sur le fait qu'il s'agit de données «non-officielles» écarte l'éventualité que le média soit le client de Kantar en question. Or plusieurs documents disponibles sur internet montrent que Danone est l'un des principaux clients de Kantar à l'international, mais aussi au Maroc. Une proximité qui laisse planer le doute sur ce «client mystère» qui aurait acheté les données de l'étude de Kantar Worldpanel pour les faire fuiter dans les médias. D'autant plus que les responsables de Centrale Danone avaient déjà évoqué en creux des pratiques douteuses des concurrents qui utiliseraient des antibiotiques interdits retrouvés dans le lait. Copag accuse son concurrent principal Chez Copag la pillule remplie de poudre de lait a du mal à passer. Contacté vendredi dernier, Mohammed El Moustaghfir membre du Conseil administration Copag ne mâche pas ses mots quant à l'article de Medias 24. «C'est absurde, ça ne peut venir que de Centrale Laitière», nous lance-t-il. «Centrale a perdu sa place comme leader du marché, et elle est donc en train de taper sur Copag», ajoute-t-il. Mhammed Loultiti, contacté par Yabiladi à maintes reprises ne répondra pas à nos questions précises sur l'utilisation de la poudre de lait. Il tentera cependant une explication auprès de nos confrères de L'Economiste concernant la hausse de la production de lait sans augmentation de la collecte : «Pour faire face à l'importante demande de lait pasteurisé durant le Ramadan, la coopérative réserve 75% du lait collecté pour cet usage». «Aussi, quelques mois avant le Ramadan, Copag a fabriqué des stocks supplémentaires de lait UHT pour faire face au surplus de la demande. Pour ce faire, Copag diminue en parallèle la production des produits dérivés», détaille-t-il. Une source du secteur confirme à Yabiladi que les yaourts sont moins consommés pendant le Ramadan. A la question sur l'utilisation du lait en poudre, Mhammed Loultiti se contente d'affirmer que celui-ci est utilisé «exclusivement pour les produits dérivés». Quid de l'utilisation de poudre de lait ? Interpelé, l'Office national de sécurité sanitaire des produits alimentaires a publié un communiqué ce lundi, affirmant que «le lait et les produits laitiers fabriqués au niveau national font l'objet d'un contrôle rigoureux tout au long de la chaine de production, depuis l'élevage jusqu'aux points de vente». «Les produits laitiers importés subissent un contrôle systématique au niveau des postes d'inspection frontaliers, pour s'assurer de leur conformité sanitaire et de qualité, ainsi que de leur étiquetage», poursuit le communiqué. Celui-ci est conclu par plusieurs chiffres sur les contrôles effectués par l'ONSSA en 2017 et à fin mai 2018 dont «40 visites d'évaluation et 83 visites d'inspections des établissements laitiers» à fin mai 2018. Mais ce que l'ONSSA oublie de mentionner et que Médias 24 confirme indirectement, c'est l'utilisation de poudre de lait dans le secteur. Notre source du secteur laitier nous a affirmé que «la majorité des opérateurs du secteur laitier utilise la poudre de lait dans la préparation de ce qu'on appelle dans le langage du métier "le lait reconstitué", ce dernier vient comme complément durant la période de basse lactation». Cette pratique «tolérée» dans le secteur expliquerait le silence de Copag quant à nos questions précises sur l'utilisation de cette technique. De son côté, le ministère de l'Agriculture, de la pêche maritime, du développement rural et des eaux et forêts tente de rassurer en affirmant dans un communiqué que l'utilisation de la poudre de lait ou préparation laitière en poudre dans toutes sortes d'aliments «ne représente aucun enjeu sanitaire» contrairement à ce qui été annoncé par plusieurs médias à l'instar de Al Houriya Tv. Le communiqué note que le Maroc a fait le choix d'interdire complètement l'utilisation de la poudre de lait et des préparations laitières en poudre dans le lait frais pasteurisé, relevant que pour le lait UHT, elle n'est possible qu'en cas de dérogation basée sur des besoins spécifiques. Une interdiction en vertu de l'article 9 du décret n 2-00-425 du 7 décembre 2000 relatif au contrôle de la production et de la commercialisation du lait et produits laitiers. Le département d'Aziz Akhannouch précise toutefois que «la poudre de lait ou préparation laitière en poudre est commune et autorisée pour la préparation des dérivés laitiers, tels que les laits fermentés, yaourts, fromages et desserts lactés». L'ONSSA et le ministère de l'Agriculture espère ainsi éteindre le début d'incendie dans le secteur laitier assis sur un baril de poudre. En coulisse, les industriels n'hésitent pas à se tirer dessus mais se montrent moins bavards face aux questions sur les pratiques douteuses. Contactés par Yabiladi, Centrale Danone et Médias 24 n'ont pas donné suite à nos requêtes.