Dans «Mon père est femme de ménage» de Saphia Azzeddine, l'humour, noir, contribue à libérer les personnages de leur peine. Il s'agit là d'un petit roman, agréable à lire, et qui donne en même temps à réfléchir. Moyennant son personnage principal, Polo, Saphia Azzeddine fait le choix de toucher et d'interpeller son lecteur par un procédé infaillible : le rire. La pertinence des observations de Polo, ainsi que la manière dont il les manifeste, fait que le lecteur s'implique naturellement dans l'histoire du roman. C'est une histoire triste et banale. La famille de Polo endure un sort peu souhaitable : une mère paralysée, une sœur qui rate successivement ses chances dans la vie, et un père qui travaille dur pour gagner une misère. Polo pose un regard à la fois diverti, dépité et défensif sur cette famille ; il la sait à la dérive mais tente de la reconstruire en menant des discussions, aussi nunuches soient-elles. En outre, ce qu'il ressent pour son père est compliqué : il est bien conscient du fait que sa vie est fade et dure. Il l'aime pour tout le mal qu'il se donne. Cependant, il ne réussit guère à estimer quelqu'un qui gagne sa vie en faisant des ménages. Le poids des apparences Cela peut se comprendre : Polo est un adolescent, et à son âge, le paraître compte considérablement. Au fond, il sait que son père se saigne aux quatre veines pour lui donner un meilleur avenir, mais les apparences ont aussi leur grande importance ! Cette histoire pourrait, sans peine, verser dans le misérabilisme. Et pourtant, guidée par le regard du narrateur, l'écrivaine lui donne toute sa force. Le narrateur, très mûr par certains côtés, et immature par d'autres, accable le lecteur de remarques incongrues, et même si d'aucuns de ses jugements apparaissent un peu précipités et simplistes, on ne peut se priver de penser que son regard est, décidément, assez juste. Sauf que le regard un peu lourd de la société le travaille et crée chez lui une sorte d'amertume. Pour tenter de vaincre ce sentiment, il n'y a pas mieux que le rire. Evidemment, le lecteur se rend compte des diverses situations et discerne les larmes sous le rire. Rire de tout Le rire sauve tout. Le rire, en plus de dissimuler la peine, dévoile l'hypocrisie de certains adultes. C'est ce que révèle la scène où Polo se fait punir parce qu'il dit à un de ses camarades de classe «qu'il pue». On rit également à l'évocation d'une autre camarade de classe de Paul, celle à qui il demande son nom de famille. Mais là encore, une fois gratté le vernis du rire, on ne voit qu'une personne qui ne sait que répondre par la violence à ce qu'elle croit être des attaques. Dénonciation de la violence, de l'hypocrisie, de la discrimination sociale : telles sont les thématiques capitales auxquelles Saphia Azzeddine s'attaque, mais de façon humoristique. Cela fait qu'elles marquent plus que si on nous les avait dépeintes dans leur terrible platitude. De la sorte, le livre prend une allure originale.