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Soulèvement du Rif (1958) : Lorsqu'Abdelkrim Khattabi a demandé le soutien de Gamal Abdel Nasser
Publié dans Yabiladi le 19 - 04 - 2018

Le soulèvement du Rif a duré 157 jours, entre le 7 octobre 1958 et le 13 mars 1959. Abdelkrim Khattabi, leader de la résistance rifaine avant son exil en Egypte, avait appelé l'ancien président égyptien Gamal Abdel Nasser à soutenir la population.
Deux ans après l'indépendance du Maroc, la situation dans la région du Rif était tendue et les habitants en colère, surtout face à l'attitude des autorités locales envers eux. Les citoyens avaient décidé de manifester et de mener une grève dans les montagnes. Ils avaient incendié les locaux du parti de l'Istiqlal, pour attirer l'attention du Makhzen sur le ras-le-bol des habitants de la région.
La situation évolua rapidement, puisque les manifestations étaient armées, sous le commandement de Mohamed Sellam Hajj Ameziane. Le 7 octobre 1958, fut alors émise «une charte de révolution», qui contenait des revendications, dont le départ des forces étrangères sans condition puisque leur présence était contradictoire aux principes de l'indépendance et de la liberté, ainsi que le retour de l'émir el-Khattabi et de sa famille au pays. La population demandait aussi la dissolution des partis politiques, le travail à l'unité nationale, la libération des prisonniers politiques ou enlevés, ainsi que le changement du gouvernement actuel pour mettre en place un gouvernement populaire.
Ces revendications représentaient clairement les espoirs de Mohamed Abdelkrim el-Khattabi, exilé en Egypte. Les leaders de ce soulèvement ne cachaient pas l'encouragement et le soutien de ce dernier à leur mouvement.
Abdelkrim Khattabi, leader de la révolution rifaine. / Ph. DR
Le leader du soulèvement rifain, Mohamed Sellam Hajj Ameziane, est né en 1925 à Ait Boukhalef et décédé le 9 septembre 1995 aux Pays-Bas. Zaki Moubarak a écrit un livre intitulé «Mohammed V et le fils d'Abdelkrim el-Khattabi», où il décrit cette période dans la région du Rif et mentionne le leader : «C'était un soulèvement populaire contre l'occupation étrangère et ses alliés dans les partis politiques qui s'est transformé en révolution populaire contre les forces de l'occupation et des partis qui travaillaient pour cette dernière. Le soulèvement et la révolution étaient guidés par des personnes qui croyaient dur comme fer au mesures nationales sur le terrain et non les partis, les pistons, les correspondances et les publications. C'est la façon de travailler de l'occupant avec les partis politiques marocains. Nous refusons d'agir ainsi.»
«La révolution a été initiée par des hommes, des collègues, des frères, des petits-fils et des élèves d'Abdelkrim el-Khattabi à Beni Ouriaghel, chef-lieu de la guerre menée dans les années 1920 : Ce sont eux les responsables de ce mouvement révolutionnaire. J'ai eu l'honneur d'être à sa tête suite, par la volonté des Moujahidines, malgré mon refus et mon insistance à n'être qu'un soldat sur le terrain.»
Abdelkrim el-Khattabi mobilise le soutien
Malgré la distance, l'émir Mohamed Ibn Abdelkrim el-Khattabi suivait de très près les détails de l'évolution des événements dans le Rif. Zaki Moubarak a révélé dans son livre que le 2 avril 1959, el-Khattabi avait reçu une lettre d'un de ses hommes au Maroc, Ghali Toud, où ce dernier écrivait :
«Les Rifains demandent l'indépendance totale et le départ de tous les soldats du pays. Ils souhaitent aider l'Algérie à chasser les Français (…) L'organisation [des Rifains] est exemplaire, mais ils ont besoin d'armes. Celles qui ont été prises de chez l'armée des colons et des partis ne suffisent pas pour gagner. L'ennemi [le pouvoir central au Maroc, ndlr] sait que si les Rifains réussissent à avoir des armes dans les mains, la suite des événements serait catastrophique pour tous les ennemis.»
Une lettre à Gamal Abdel Nasser, président égyptien
A travers tous les rapports qu'Abdelkrim el-Khattabi recevait de différentes personnes, l'émir émettait ses communiqués, ses déclarations et ses appels aux Rifains pour clarifier le but de cette révolution, ainsi que ses enjeux. Au même moment, il tentait de renforcer les liens avec les autorités égyptiennes pour les convaincre de soutenir le mouvement, qui, selon le point de vue d'Abdelkrim el-Khattabi, «va s'étendre à tous les recoins du Maroc. Les autorités espagnoles soutiennent [ce mouvement] pour éliminer l'occupation française qui essaie de prendre sa place. [Abdelkrim el-Khattabi] est en contact avec les responsables espagnols pour étendre le soulèvement et avoir une aide urgente, vu le peu de soutien».
Quelques semaines seulement après le début du soulèvement du Rif, el-Khattabi a envoyé une lettre au président égyptien Gamal Abdel Nasser, expliquant les raisons de ce mouvement et ces ambitions. Il demandait notamment son soutien en écrivant :
«Encore une fois, une révolution populaire est née sous le commandement de Mohamed Ameziane, pas seulement contre l'occupation, mais contre ses acteurs en premier lieu. Voici les visées de cette révolution qui va aboutir si Dieu le veut, avec le soutien des leaders de la liberté arabe:
- Le départ définitif des forces étrangères du Maroc ;
- L'application de la stratégie de libération pour ouvrir la porte à la bataille contre les forces de l'occupation dans la région. Le but est de libérer également la Tunisie et l'Algérie ;
- L'éradication du système corrompu qui a sali l'histoire.»
Abdelkrim el-Khattabi conclut sa lettre en écrivant : «Je n'ai aucun doute que votre excellence trouvera des solutions et aura des propositions face à cette situation. Je suis sûr que vous guiderez le peuple arabe vers l'espoir.»
Du côté du gouvernement marocain
Abdelkrim el-Khattabi et les leaders du soulèvement rifain voyaient le fait de se débarrasser des restes de l'occupation comme un devoir. Du côté du gouvernement marocain, représenté par Mohammed V et le prince héritier, futur Hassan II, les choses n'étaient pas vues du même de la même manière. Pour eux, la colère du peuple rifain est une menace à la stabilité du royaume fraîchement indépendant.
Dans le livre «La mémoire d'un roi : Entretiens avec Eric Laurent» publié en 1993 (Edition Plon), Hassan II déclarait :
«Certaines régions du royaume ont connu une rébellion intellectuelle ainsi que de l'instabilité politique. Par exemple, dans le Rif qui était sous occupation espagnole, les citoyens avaient le sentiment d'être marginalisés dans le royaume. Ils n'acceptaient pas la domination du parti de l'Istiqlal (…) Sellam Hajj Ameziane a profité de la gronde des tribus.»
Le journal Al Alam du parti de l'Istiqlal avait publié une enquête sur les évolutions et les causes de cette «fitna», parue dans la troisième édition du magazine «Wijhat Nadar», où les points de vues des leaders et des responsables ont été diffusés. Selon le magazine, «ils étaient à la recherche d'un cadre acceptable et des raisons qui justifieraient leur mouvement chaotique et le rendraient légitime (…) Ils avaient même donné l'appellation «Front rifain» à ce mouvement rebelle».
Le roi Mohammed V avait demandé aux révolutionnaires de descendre des montagnes et de déposer les armes. Mais les habitants de la région n'ont pas abdiqué. Le 16 juin 1958, les forces militaires ont pris d'assaut l'aéroport d'Al Hoceïma, qui était sous le contrôle des Rifains. Certains d'entre eux ont ouvert le feu sur l'avion du prince héritier avant son atterrissage. En colère, il a appelé ses hommes à appuyer une riposte armée. Le gouvernement d'Abdellah Ibrahim, qui avait au début de la compréhension pour les revendications des révolutionnaires, a fini par approuver une intervention militaire dans le Rif.
En février 1959, les Rifains continuaient de résister. Des avions militaires menés par des Français ont commencé à bombarder la zone pour que des forces armées puissent entrer dans la région. L'association mémoire du Rif avait écrit dans une de ses publications :
«L'armée était sauvage. Les événements ont pris une tournure dramatique. Les avions français ont bombardé des souks et des maisons. Les soldats ont incendié les récoltes agricoles et détruit des maisons et d'autres possessions. Ils ont violé des femmes, même enceintes et ont laissé derrière eux des milliers de blessés et d'handicapés. Ils ont arrêté des milliers et ont éloigné des centaines.»
Abdelkrim el-Khattabi rappelait, dans une de ses lettres, que «le nombre de prisonniers suite à l'intifada du Rif a atteint 8 42,0 dont 110 femmes. 5 431 d'entre eux ont été libérés, dont 95 femmes, tandis que 323 ont été condamnés. Les 2 664 restants sont restés sans condamnation ni remise en liberté. 542 ont été exilés en Espagne, en Italie, en Allemagne et en Algérie…»
L'anthropologue américain David Montgomery Hart, qui s'intéressait à la région du Rif dans son livre «Ait Ouriaghel du Rif marocain», avait écrit que «suite à la répression, les rebelles sont descendus malgré eux des montagnes et sont revenus dans leurs maisons, dépités et en colère. C'est le même sentiment qu'ont eu leur pères et leurs grand-pères quand Abdelkrim avait abandonné».
Abdelkrim Khattabi rencontre le roi Mohammed V au Caire, en Egypte. / Ph. DR
Mohammed V rencontre Khattabi
Un an suite à cette répression qui a ébranlé le système marocain, le roi Mohammed V a visité le monde arabe pour aller à la rencontre des leaders de ces Etats, en premier lieu Gamal Abdel Nasser, le président égyptien.
Une fois au Caire, le souverain a saisi l'occasion pour rencontrer l'émir Abdelkrim el-Khattabi, le 16 janvier 1960. Ce dernier a campé sur ses positions, malgré la répression du soulèvement du Rif. Il a délivré au roi un mémorandum où il écrivait :
«Nous souhaitons que les discussions avec son excellence le président frère Gamal Abdel Nasser et les présidents des pays arabes ont pu aboutir à de nouvelles pistes pour dissoudre toutes les forces étrangères au Maroc, sans condition. Ainsi que concernant l'affaire de l'Algérie pour reconnaître son indépendance totale et le départ des Français de ce territoire (…) La position du Maroc est celle de l'intermédiaire avec la France, puisque le royaume n'est pas du côté des opposants mais des alliés.»
Suite à cette rencontre, Abdelkrim el-Khattabi a déclaré à un journal égyptien, cité par le livre «Mohammed V et le fils d'Abdelkrim el-Khattabi» : «Son altesse royale a affirmé qu'il allait prendre les dispositions nécessaires pour le départ des forces françaises et espagnoles du Maroc d'ici la fin de l'année.»


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