Le Hirak du Rif n'est pas sans rappeler le soulèvement de 1958. Les revendications portées par les manifestants au lendemain de l'indépendance sont toujours d'actualité. Il y a presque 59 ans, le Rif vivait un Hirak d'un autre genre ; le premier sous l'indépendance et le premier affrontement armé entre la population locale et le pouvoir central. Le soulèvement, qui a duré 157 jours, du 7 octobre 1958 au 13 mars 1959, s'est terminé dans un bain de sang. Deux ans après la fin du protectorat espagnol, les Rifains ne supportaient plus l'autoritarisme du Parti de l'Istiqlal, un véritable Etat dans l'Etat. Les responsables du PI voulaient forcer les Rifains à accepter le fait accompli. Une chape de plomb politique qui s'est ensuite aggravée par la décision des autorités françaises - alors en pleine guerre contre les résistants algériens (21 janvier au 28 mai 1958) - de fermer les frontières avec le Maroc. Une mesure qui a laissé sur le carreau des milliers d'ouvriers rifains habitués à travailler dans les fermes des Français, notamment à Oran, où les salaires étaient plus conséquents par rapport à ceux en vigueur au Maroc ou à Ceuta et Melilla. La pression politique exercée par les membres de l'Istiqlal, qui virait souvent en actes de violence ciblant particulièrement les militants du Parti de la démocratie et de l'indépendance (PDI) de Mohamed Hassan Ouazzani, le grand ami d'El Khattabi, et la détérioration des conditions économiques ont accéléré le soulèvement. Les habitants s'en sont alors pris aux locaux du PI et les ont incendiés. Les revendications de 1958 toujours d'actualité en 2017 Avant que les choses ne dégénèrent, l'heure était plutôt au dialogue avec Rabat. Une délégation composée de Rachid El Khattabi (le frère du héros de la bataille d'Anoual), Mohamed Sellam Amezian et Abdessadek Echarrat avait été envoyée pour présenter à Mohammed V un document de 18 revendications, dans lesquelles les volets social politique se côtoyaient. En voici quelques exemples : «formation d'un gouvernement d'union nationale» ; «dissolution des partis politiques» ; «nomination des fonctionnaires civils issus des habitants locaux» ; «libération de tous les détenus» ; «retour de Mohamed Ben Abdelkrim El Khattabi» ; «nomination de magistrats compétents» ; «restructuration du ministère de la Justice» ; «intégration du Rif dans le programme agricole» ; «mise en place d'un programme ambitieux contre le chômage» ; «octroi des bourses aux étudiants rifains» ; «construction d'écoles dans les villages» ; «inauguration d'un lycée à Al Hoceima ou d'une grande école» et «accélération de l'arabisation de l'enseignement dans tout le Maroc». Cinquante-neuf ans après les événements dramatiques de 1958, beaucoup de revendications portées par la délégation rifaine sont toujours d'actualité. Une commission royale après la fin des affrontements armés La médiation de la délégation rifaine s'est conclue sur un échec et d'autres velléités belliqueuses ont pris le dessus sur le dialogue. L'affrontement était alors inévitable. Les quelques armes entre les mains des rebelles n'ont pas fait le poids face à la force de frappe des Forces armées royales conduites par Moulay Hassan, encore prince héritier à l'époque, et le colonel Oufkir. Une fois que les armes se sont tues, Mohammed V a désigné une commission royale présidée par son directeur de cabinet Abderrahmane Anggay, natif de Tanger, pour établir un rapport sur les causes exactes à l'origine du mouvement de contestation. Après une tournée dans le Rif et de multiples réunions avec les habitants, ladite commission a innocenté la population de l'accusation de séparatisme et affirmer le caractère social des revendications. Des conclusions qui, apparemment, n'auraient pas plu à quelques parties. Abderrahmane Anggay trouva la mort dans un étrange accident de circulation sur la route menant vers Tanger.