Invitée à animer une table-ronde sur les expériences de chorégraphes et danseurs contemporains marocains, dans le cadre du Festival Moussem Cities à Bruxelles, Maria Daïf, directrice générale de la Fondation Touria et Abdelaziz Tazi et de l'Uzine, n'a pas été présente au rendez-vous. Dans une lettre ouverte, elle s'indigne contres les restrictions de visa imposées aux acteurs culturels de la région MENA, pourtant invités dans les pays où ils se voient refuser l'entrée. Les contraintes à avoir un visa ont-elles déjà constitué un barrage pour concrétiser des projets artistiques sur lesquels vous avez travaillé ? Depuis plusieurs années, nous assistons, nous acteurs et actrices culturel.le.s et artistes, à la fermeture des portes de la forteresse Schengen devant nous. Nous en discutons beaucoup et les histoires de mobilité contrainte sont monnaie courante. Nous sommes nombreux à être convaincus que la culture est ce qui nous permet de nous relier les uns aux autres, au-delà de nos différences. C'est ce qui nous rapproche. Les artistes sont des réconciliateurs. Les empêcher de voyager et de montrer leur travail, c'est leur ôter une liberté majeure, tout aussi importante que leur liberté d'expression. En refusant l'invitation du Festival Moussem Cities (du 2 au 28 février, ndlr), consacré cette année à Casablanca, je ne m'indigne pas uniquement contre le traitement qui m'a été fait au consulat belge. J'exprime un ras-le-bol général. A l'Uzine et à la Fondation Touria et Abdelaziz Tazi, nous délivrons des documents pour supporter les demandes de visas d'artistes formidables avec qui nous travaillons. Souvent, ce n'est pas suffisant. Dans votre lettre, vous écrivez que les artistes de la région MENA ont de moins en moins de mobilité à cause des visas. Pourriez-vous nous parler de cas d'artistes qui ont vécu cette situation et que vous avez pu côtoyer ? Pas plus tard que le mois de janvier dernier, quatre de nos danseurs hip-hop ont remporté une compétition à Casablanca. Elle les menait directement à Cannes, pour participer à une compétition internationale. Ils ont été invités par le Maire de la Ville de Cannes. Le visa leur a pourtant été refusé. Nous avons mis les mains et les pieds. Ils ont fini par l'avoir à la dernière minute et n'ont pas pu participer. L'organisateur de la compétition à Casablanca qui devait les accompagner, lui, n'a pas eu son visa. Pour le Festival Moussem Cities Casablanca, les durées accordées sont expresses. Des artistes reconnus qui ont fait le tour du monde ont eu droit à des visas de trois jours. Autant dire qu'ils vont à Bruxelles avec une épée de Damoclès sur la tête ! Aussi des journalistes de médias reconnus se sont vus refuser le visa pour couvrir l'événement. Il n'y a qu'à voir les réactions à mon courrier sur les réseaux sociaux. Les témoignages sont terribles. On parle de mépris, d'humiliation de la part des autorités consulaires à l'égard des artistes marocains et africains de manière générale. Ce n'est absolument pas exagéré. Les artistes de la région ont de moins de moins le droit d'aller montrer leur travail en Europe. Beaucoup de festivals européens consacrés à la création africaine, du Maghreb ou du Monde Arabe en souffrent aujourd'hui. La coopération artistique entre les deux rives de la Méditerranée se trouve ainsi en otage, malgré le discours sur l'urgence de créer des passerelles par ce biais. Voyez-vous, en tant qu'actrice culturelle, des solutions à cette problématique ? Les démarches pour les demandes de visa sont complètement kafkaïennes. Pourquoi me demander un historique de mes déclarations à la CNSS depuis 20 ans ? Pourquoi faire payer systématiquement 700 DH à chaque demande, sans compter les frais d'agence intermédiaire, les délais étant de plus en plus courts ? Pourquoi me demander des relevés bancaires avec le logo de ma banque en couleurs, ce qui est déjà arrivé ? Ces procédures tournent au ridicule et nous ne voulons plus mendier de visas pour répondre à des invitations en Europe dans un cadre culturel ou artistique. Nous voulons être reçus dans le respect de notre dignité. Tout ce que ce courrier signifiait et les manifestations de soutien qu'il a reçu disaient une seule chose : Nous ne voulons plus être tous et toutes considéré.e.s comme de potentiel.le.s immigré.e.s clandestin.e.s ou terroristes. Nous ne voulons plus entendre l'Europe nous répéter qu'elle veut travailler avec nous, alors qu'elle nous claque la porte au nez.