D'après mes informations, l'apprentissage de la jeune génération de médecins ne s'est pas amélioré. Il a même régressé à cause de la cupidité et de la vision étriquée de certains enseignants... Au début des années 2000, alors que j'étais jeune chef de clinique à l'Université Paris-VII, hôpital Lariboisière de l'Assistance publique, j'ai accompagné un de mes enseignants à un congrès de gynécologie dans la ville de Fès. J'y ai rencontré des camarades médecins et plus particulièrement un, le docteur Lahcen Falaq, que je n'avais pas revu depuis mon départ en France pour effectuer ma spécialité. Comme nous faisons tous les deux de la chirurgie gynécologique, nous avons commencé à discuter techniques et savoir-faire. Il m'a avoué sans complexe qu'à Rabat, la ville où il a effectué son apprentissage, la chirurgie par voie naturelle était interdite aux étudiants, sans parler des techniques de chirurgie laparoscopiques (moyen de faire des opérations en ne faisant que de très petites incisions, ndlr), moins invasives, faute de matériel. Aussitôt, il m'a proposé de venir à l'hôpital Ibn El Khatib alias Cocard, du nom du sergent-infirmier français Claude Cocard. Effectivement, trois mois plus tard, je suis venu opérer plusieurs patientes par voie naturelle. Une technique simple et reproductible, aux avantages multiples : Les femmes n'ont plus de cicatrice sur le ventre et reprennent rapidement leurs activités. De plus, les lits d'hôpitaux sont faiblement occupés et la consommation de médicaments est considèrablement réduite. Je n'ai fait que transmettre un savoir-faire qui m'a été inculqué par mes professeurs en France, surtout les techniques faciles à reproduire du Pr Henri-Jean Philippe, dont la rencontre a changé ma vie. Venir en aide aux patientes et transmettre ce que nous savons Dr. Lahcen Falaq ne se contentait pas d'apprendre des techniques qu'il ne connaissait pas. Il a fait tout son possible pour que ses amis venus de loin assistent et apprennent. C'est qu'au bout d'un moment, c'est moi qui les ai assistés et accompagnés afin que ceux qui le souhaitent puissent apprendre, progresser et avoir confiance en leurs gestes. Ensemble et sur plusieurs années, nous avons organisé, souvent sans aucun sponsor, des journées opératoires pour venir en aide aux patientes et surtout transmettre ce que nous savions. Ceci n'a rien d'extraordinaire. C'est l'essence même de la chirurgie en tant qu'art, mais c'est devenu hélas exceptionnel dans l'ère de la marchandisation de la médecine et du savoir. Ainsi, j'ai pu faire dans un petit bloc opératoire, et après dans d'autres structures, ce que les CHU ne m'ont jamais permis de faire. Ce n'est pas faute de demander à avoir accès aux étudiants, à plusieurs reprises. Quinze ans plus tard, alors que je suis beaucoup plus connu et que les moyens d'information sont plus jamais accessibles, j'ai souhaité reprendre cette activité d'enseignement auprès des jeunes générations. D'après mes informations, leur apprentissage ne s'est pas amélioré depuis le temps. Il a même régressé à cause de la cupidité et de la vision étriquée de certains enseignants. Comme j'ai commencé à participer à l'offre de soins à l'hôpital mère-enfants Pagnon de Meknès, je me suis mis d'accord avec les responsables de l'hôpital et la délégation de Santé pour organiser des ateliers, afin de transmettre un savoir-faire nécessaire aux gynécologues en cours de formation, sachant qu'ils n'en possèdent pas. Des politiques de santé publique non adaptées aux réalités Jusqu'à présent, le nombre de personnes qui assistent ne dépassent pas les 10% de ceux que je formais par le passé. J'avoue ne pas comprendre, d'autant que je sais d'après les dires de jeunes résidents en fin de cursus que leur formation est incomplète, voire dangereuse. En effet, j'ai eu en formation une résidente qui vient de réussir son examen théorique de spécialité, mais qui n'a effectué que trois ablations de l'utérus dans son cursus. On ne lui a jamais appris les méthodes chirurgicales de traitement des hémorragies post-accouchement ou de complications de césariennes. Cette jeune va être affectée dans peu de temps dans un hôpital lointain du Maroc profond et elle devra se confronter à des complications obstétricales importantes, puisqu'un certain nombre de femmes qui arriveront à son hôpital auront déjà essayé d'accoucher à domicile pour diverses raisons. Le gynécologue de garde devrait avoir un savoir-faire nécessaire pour la tirer d'affaire. Alors, si on envoie à cette population oubliée une jeune diplômée avec un manque d'expérience et une formation bancale, on ne peut s'attendre qu'à des catastrophes. Ensuite, la presse locale et la population qui entretiennent avec les structures de santé publique une relation de défiance, mettent à mal l'honneur du jeune médecin avant de le mettre devant les tribunaux. Bien évidemment, personne ne parlera des conditions de travail ni ceux de sa formation. Devant des politiques de santé publique non adaptées à la réalité du terrain, puis des enseignants qui gardent leur savoir-faire pour eux et ne transmettent que peu à leurs étudiants, les médecins en formation n'ont d'autre choix que de se prendre en charge et essayer de progresser pour acquérir un savoir-faire et une sérénité dans leur exercice. Ce qui leur permettra de rendre service à leurs patientes et travailler en toute quiétude. Concernant la santé des femmes, je vous tends la main, j'insiste pour la gratuité de mes formations, car un savoir qui permet de sauver des vies et de soulager des maux n'a pas de prix…