Le référendum approche, et les Marocains doivent s'informer sur le contenu du projet de constitution proposé. Faisant suite à l'analyse des avancées qu'apporte le texte, publiée mercredi, le juriste marocain Jad Siri fait une série de critiques sur les dispositions institutionnelles prévues dans la constitution. Les pouvoirs exécutifs du roi qui restent importants, un gouvernement encore trop faible, un parlement dominé, une justice dont l'indépendance ne semble pas garantie : le régime politique marocain n'est pas prêt à se démocratiser, juge le juriste. Le progrès certain qu'offre le projet de constitution en matière d'énonciation des droits de l'Homme [voir première partie de la critique de la constitution, ndlr] ne doit pas cacher les insuffisances majeures en matière d'institutions et de fonctionnement politiques démocratiques. Un roi qui continue de gouverner et de disposer de pouvoirs exécutifs exorbitants Au terme du projet proposé, le roi règne mais gouverne aussi tout en bénéficiant d'une immunité totale puisque sa personne «est inviolable, et respect Lui est dû». Ainsi, manifestement, le roi a droit à un respect supérieur à celui dont ont droit les autres Marocains. Certes, auparavant sa personne était en plus «sacrée», faisant de lui un monarque de droit divin ! Le pouvoir du roi s'étend sur le gouvernement : s'il ne dispose plus de la liberté totale de choisir le chef du gouvernement, puisqu'il doit le choisir au sein du parti politique arrivé en tête aux élections législatives, il nomme les ministres qui lui sont proposés par le chef du gouvernement. Cela obligera ce dernier à négocier avec le roi le choix des ministres de son gouvernement, et ce sera particulièrement vrai avec le ministre de la défense, le ministre du culte, le ministre de l'intérieur, de la justice, des affaires étrangères et de l'économie. Cet ascendant du roi sur le gouvernement est d'autant plus réel qu'il peut discrétionnairement révoquer chacun des ministres sans l'accord du chef du gouvernement. Dès lors, une fois nommés, les ministres verront dans le roi leur chef puisque leur maintien en fonction dépendra de ce dernier, étant précisé que le chef du gouvernement ne pourra révoquer ses ministres sans l'accord du roi. Par ailleurs, le roi dispose du pouvoir exclusif en matière religieuse et en matière militaire puisque non seulement il «est Chef Suprême des Forces Armées Royales» mais en plus il «nomme (seul) aux emplois militaires ». Le pouvoir de nomination du roi s'étend aux autres domaines : sur proposition du chef du gouvernement, il nomme les walis et gouverneurs (préfets), les directeurs d'administrations chargées de la sécurité intérieure (c'est-à-dire la police, les renseignements généraux, le gendarmerie etc.), les ambassadeurs (étant précisé que c'est lui qui signe les traités internationaux et qui accrédite les ambassadeurs), le directeur de la banque centrale mais aussi les «responsables des établissements et entreprises stratégiques». Ce dernier point vise, concrètement, la caisse des dépôts marocaine puisqu'il s'agit d'un établissement stratégique, sans compter les grandes entreprises marocaines telle que l'OCP, la RAM, ou encore les directeurs des établissements de mise en œuvre de la politique du tourisme puisque ce secteur est, au Maroc, stratégique. Etant donné qu'il préside le conseil des ministres, le roi aura également son mot à dire notamment sur la loi de finance annuelle puisqu'avant d'être soumise au parlement, elle devra être délibérée d'abord en conseil des ministres. Par ailleurs, en matière de justice, la nomination des magistrats ne peut se faire sans son approbation, il préside le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire et dispose, de manière discrétionnaire, du droit de grâce. En substance, sont de son ressort exclusif ou quasi-exclusif, l'armée, la police, le champ religieux, et les affaires étrangères. Il a par ailleurs la haute main sur la magistrature ainsi qu'un droit de regard certain sur le champ économique ! En revanche, le projet proposé est muet sur la limitation de l'intervention du roi et de la famille royale dans l'économie. Prévoir un encadrement de cet interventionnisme aurait été de bon aloi. Au-delà du gouvernement et de l'administration, le roi va pouvoir également exercer son ascendant sur le parlement par deux leviers : il dispose de la faculté discrétionnaire de dissoudre le parlement et il peut, avant sa promulgation, demander la relecture d'une loi votée par le parlement. Rappelons que les parlementaires ne peuvent émettre une opinion qui «met en cause la forme monarchique de l'Etat, la religion musulmane ou qui constitue une atteinte au respect dû au Roi». Un exécutif et un gouvernement encore trop faible Face à un roi qui demeure puissant, le chef du gouvernement apparait faible et dépendant. Il est dépendant de la confiance que doit lui donner le parlement mais surtout il doit son maintien au Roi, puisque ce dernier peut le révoquer ou révoquer un ou plusieurs ministres individuellement. Le pouvoir de nomination du gouvernement est restreint puisque il dépend, pour de nombreux domaines, du roi ! Par ailleurs, son pouvoir de créer une norme juridique a été restreint car, le champ des questions qui relèvent de la loi a été étendu. Le conseil de gouvernement, présidé par le chef du gouvernement, est une nouvelle instance qui a une double fonction. D'une part préparer les questions qui relèvent du conseil des ministres, qui est présidé par le roi, et d'autre part, traiter les questions qui relèvent du gouvernement, c'est-à-dire les nominations qui ne relèvent pas du roi, les décrets d'application des lois, et les projets de lois à soumettre au parlement (sous réserve que certains doivent d'abord être validés par le conseil des ministres), décliner en politiques sectorielles la politique général et stratégique définie en conseil des ministres, puis enfin, prendre position sur des questions d'actualité notamment matière de droit de l'Homme. Enfin, si le projet de constitution lui donne le pouvoir de «superviser l'action des entreprises et des établissements publics» il aura du mal à exercer ce pouvoir sur les administrations, établissements et entreprises publics dont les directeurs seront nommés par le roi ! Un parlement dominé Si le domaine de la loi est étendu, ce qui renforce a priori le rôle du parlement, d'autres dispositions du projet viennent en partie «annuler» cette extension. Bien que concrètement la menace soit rare, il peut être dissout par le roi. Par ailleurs, la souveraineté du peuple qu'il représente pourra constamment être discutée par le roi qui pourra demander la relecture (comprendre la révision) de toute loi votée par lui. De même, il n'est pas maître de son ordre du jour qui lui est imposé par le gouvernement. Certes, il dispose de la faculté de censurer le gouvernement par la voie d'une motion de censure. Enfin, on ne peut que regretter le texte ne prévoit aucun contrôle de la part du parlement sur les nominations du roi ou du gouvernement. Une justice par vraiment indépendante Les dispositions relatives à la justice ne permettent pas de dire que celle-ci est véritablement indépendante ! S'il est affirmé que «le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif » et que «est proscrite toute intervention dans les affaires de la justice» et «que dans sa fonction judiciaire, le juge ne saurait recevoir d'injonction ou d'instruction, ni être soumis à une quelconque pression », d'autres dispositions relativisent ces déclarations! En effet, il est clairement indiqué que «les magistrats du parquet (..) doivent se conformer aux instructions écrites émanant de l'autorité hiérarchique», c'est-à-dire, concrètement, du gouvernement et du roi, puisque ce dernier approuve les nominations des magistrats et préside le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire lequel nomme les magistrats, gère «leur avancement, leur mise à la retraite et leur discipline», étant précisé qu'au moins la moitié des membres du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire devront leur place dans cette instance à leur nomination par le roi. Ainsi, un procureur sera tenu d'ouvrir une information ou de la clore s'il en reçoit l'instruction du gouvernement ou du roi. Une liberté de pensée, d'expression et de la presse incertaine Si le projet affirme que l'opposition parlementaire dispose de «la liberté d'opinion, d'expression et de réunion», que «sont garanties les libertés de pensée, d'opinion et d'expression sous toutes ses formes», que «la liberté de la presse ne peut être limitée par aucune forme de censure préalable » et que «tous ont le droit d'exprimer et de diffuser librement et dans les seules limites expressément prévues par la loi, les informations, les idées et les opinions», il n'en demeure pas moins que la loi peut limiter le droit à l'information, qu'il n'est pas possible d'émettre une opinion qui «remet en cause la forme monarchique de l'Etat, la religion musulmane ou qui constitue une atteinte au respect dû au roi» et qu'il conviendra de réformer le code de la presse qui prévoit des peines de prison lourdes concernant des délits de presse mineur. En outre, le texte ne garantit pas la protection des sources des journalistes. Ainsi, cette liberté d'expression et de la presse reste à confirmer ! Peut-on par exemple dire dorénavant, sans craindre la répression, qu'il n'est pas normal que le roi et la monarchie détiennent des sociétés qui interviennent massivement dans l'économie du pays ? Peut-on, sans craindre la répression, dire clairement son désaccord sur les nominations de certaines personnalités par le roi ? Peut-on écrire et dire qu'il faut réviser la constitution pour restreindre les pouvoirs du roi ? Droits humains dans un régime non-démocratique Sans nier certaines avancées non négligeables, notamment dans l'exposé des droits de l'Homme, il n'en demeure pas moins que compte tenu des pouvoirs dont il dispose, le roi règne mais gouverne aussi sans avoir à rendre de comptes, ce qui est contradictoire avec une démocratie où, par nature, celui qui dispose du pouvoir doit rendre compte de son pouvoir et doit être soumis à la critique et au contrôle ! On est loin du modèle Espagnol. Le problème que pose donc ce texte est le suivant : est-ce qu'une constitution qui énonce et veut promouvoir les droits de l'Homme (sous réserve qu'ils soient effectivement mis en œuvre) mais qui n'offre pas des institutions et un fonctionnement politique démocratique et qui n'offre pas une garantie absolue des droits de la presse et des médias, est une constitution démocratique ? Peut-on se contenter de ces avancées et remettre à plus tard, on ne sait pas quand, les réformes qui seront nécessaires pour enfin instaurer des institutions démocratiques. Dire non au texte proposé et prévoir l'établissement d'une constituante pour élaborer un nouveau texte d'ici la fin de l'automne est possible. Nous ne sommes pas à trois mois près ! La Tunisie est sur cette voie. Pour conclure définitivement, une dernière interrogation : pourquoi organiser un referendum aussi vite après la publication du projet (15 jours) si ce n'est pour éviter au maximum, tout débat sur le texte proposé ! Le processus démocratique commence mal !