Une rencontre régionale des Mécanismes nationaux de prévention de la torture a eu lieu du 26 à 28 septembre 2017 à Rabat, alors que le Maroc n'a pas encore mis en place le sien. Le CNDH devrait intégrer prochainement la délicate mission de réaliser ces visites «surprise» dans les lieux de privation de liberté. Yabiladi tente de vous en dévoiler les enjeux. Trois ans après le dépôt des instruments de ratification du Protocole facultatif à la Convention internationale contre la torture, le mécanisme de prévention de la torture (MNP) du Maroc n'a toujours pas été mis en place. C'est donc le Conseil national des droits de l'homme (CNDH), dans ses anciennes fonctions, qui a accueilli du 26 à 28 septembre les MNP de la torture tunisien, mauritanien, italien et français dans le cadre d'une rencontre régionale dont le but était de discuter des pratiques de chacun et de la façon de démarrer la première année d'exercice, cruciale pour le MNP maghrébin et italien pour s'imposer face aux autorités. Adopté en 2002 et ratifié en 2014, le Protocole facultatif à la Convention internationale contre la torture exige des Etats qu'ils acceptent la visite du sous-comité de prévention de la torture (SPT) dans tous leurs lieux de détention et l'aide et les conseils qu'il pourra leur donner. «L'Etat s'engage également à désigner un organisme qui sera habilité à effectuer des visites inopinées dans tous les lieux de privation de liberté. Non seulement les prisons, mais également les commissariats et les postes de police où les risques de torture au Maroc, comme ailleurs, sont les plus élevés, ainsi que les lieux de rétention des étrangers en situation irrégulière, les hôpitaux psychiatriques, les lieux de protection de l'enfance…», détaille Barbara Bernath, cheffe des opérations de l'Association pour la prévention de la torture (APT). «La visite du SPT est prévue pour fin octobre au Maroc. C'est sans doute un peu tôt, alors que le mécanisme de prévention de la torture du Maroc n'est même pas encore officiellement désigné», regrette Barbara Bernath. Le Maroc, qui avait un an pour mettre en place son mécanisme de prévention de la torture selon le délai prévu par le Protocole, a ainsi presque deux ans de retard. «Dans la pratique, les Etats ont souvent besoin de beaucoup plus de temps», tempère la militante. Elargir le mandat du CNDH Le Maroc a pourtant choisi la facilité et l'efficacité en décidant de confier cette mission au CNDH, un organisme opérationnel depuis 2011 «dont le staff et les membres sont déjà rodés aux visites des lieux de détention», ajoute Houria Esslami, présidente du groupe de travail relations internationales, coopération et partenariat. Il doit cependant adopter une loi qui élargit le mandat du CNDH pour y inclure celui du Mécanisme de prévention de la torture, mais également du Mécanisme national de prévention des enfants et celui relatif à la protection des personnes en situation de handicap liés à la signature de deux autres protocoles. «Le projet de loi a été adopté par le conseil du gouvernement en mai dernier et a été présenté à la commission justice et législation de la Chambre des représentants. Il figure à présent sur l'agenda de la prochaine session parlementaire. Il devrait être adopté en octobre», détaille Houria Esslami. Après son adoption, encore faudra-t-il nommer les nouveaux membres du CNDH, nommés par le roi, le Parlement et le chef du gouvernement conformément à la nouvelle loi. Parmi eux seront ensuite choisis ceux qui appartiendront au MNP. Le mandat des membres actuels du CNDH, établi à 4 ans, s'est terminé en 2015 mais la nouvelle liste de ses membres n'a toujours pas été validée. «Si le CNDH a en charge ce mécanisme, il restera impuissant» Du côté des Nations unies, rien ne freine l'élargissement du mandat du CNDH à la prévention de la torture. «Selon le protocole facultatif, le MNP doit être indépendant, bénéficier des ressources adéquates et avoir accès à tous les lieux de privation de liberté, mais il n'y a pas de procédure de validation, de condition ou de vérification par les Nations unies. Il suffit de désigner un organisme pour abriter le MNP pour qu'il soit considéré comme tel par le sous-comité pour la prévention de la torture», explique Barbara Bernath. Dès lors, comment savoir si le CNDH respecte bien les conditions d'indépendance et d'accès aux lieux de privation de liberté ? «Je pense que le CNDH depuis 2011 a prouvé son indépendance de fait des rapports qu'il a publiés sur des sujets assez problématiques comme la situation des prisons. Etre indépendant, cela signifie pouvoir critiquer librement une situation et le CNDH le fait», estime la cheffe des opérations de l'Association pour la prévention de la torture. «Ce n'est pas parce que le CNDH a produit des rapports sur les prisons et qu'il est intervenu dans des cas de plaintes pour torture que ce soit être à lui d'accueillir ce mécanisme. Il n'est pas indépendant, or la question des tortures dépasse de loin les pouvoirs du parlement et du gouvernement. Si le CNDH a en charge ce mécanisme, il restera impuissant», estimait au contraire Khadija Riyadi, ex-présidente de l'Association marocaine des droits de l'homme (AMDH), au moment où le Maroc avait déposé ses instruments de ratification en 2014. «Il y aura nécessairement des réticences» Pour Houria Esslami, le CNDH est pourtant le mieux placé pour mener à bien cette mission grâce à son expérience. Il est déjà dans son mandat de recueillir les plaintes pour torture - parmi toutes celles dénonçant des violations des droits de l'homme - et d'enquêter. «Bien sûr, il est normal que le CNDH, dans ses nouvelles fonctions, rencontres des réticences et qu'il y ait au départ quelques tensions, reconnaît-elle, mais la situation s'améliorera progressivement avec la sensibilisation à notre mission. Aujourd'hui déjà, la relation du CNDH avec les agents d'autorités n'est plus du tout la même qu'il y a quelques années. Nos membres ont accès sans problème aux établissements pénitentiaires. Il y a aujourd'hui une collaboration qui a un impact très positif sur les droits des détenus.» Les mécanismes de prévention de la torture ont d'ailleurs un argument de poids pour convaincre le ministère de l'Intérieur de lui ouvrir toutes ses portes : ils ne sont pas dans une logique de confrontation mais de prévention. «Souvent, on arrive dans un pays où on nous dit : 'Ah, mais chez nous il n'y a pas de torture. C'est inutile !' On répond alors : 'tant mieux, mais il y a quand même un risque de torture donc de toute façon il faut faire de la prévention'. Dans ces conditions, les MNP peuvent se mettre en place dans tous les pays puisqu'il ne s'agit pas venir dénoncer des cas de tortures», explique Barbara Bernath. Ainsi, le recours et l'enquête après les plaintes pour torture qui sont déjà dans le mandat du CNDH sont-ils peut-être plus délicats à mettre en œuvre que la prévention. Un glissement du secret ? Il est cependant difficile, dans un pays comme le Maroc, ou l'appareil sécuritaire dépendant du ministère de l'Intérieur est extrêmement puissant et verrouillé, d'accepter les visites «inopinées» des membres du CNDH. «Attention, il faut rompre avec le mythe de la visite inopinée : son objectif n'est pas de surprendre un policier en fragrant délit de torture, mais d'en sortir avec une idée globale de ce qui se pratique dans les commissariats, par exemple, des mauvaises pratiques qui persistent et des choses à changer. Les recommandations relèveront plus de politiques publiques, engageront un budget, concerneront des conditions de travail, de détention ... Il s'agit de modifier les pratiques qui favorisent la maltraitance et la torture», explique Houria Esslami. «Le fondement du protocole de prévention contre la torture est très simple : mettre fin au secret. Puisque la torture a toujours des lieux secrets dans des lieux fermes, alors ouvrons-les, visitons-les», ajoute Barbara Bernath. Malheureusement, si le secret disparaît en principe entre les services de l'Etat et le CNDH, il persiste face aux citoyens. «Les rapports du CNDH suite à ses interventions ou ses enquêtes ne sont pas toujours publics. Le MNP et le CNDH ont des actions par nature assez confidentielles. Cela ne rentre pas dans leur capacité de rendre publique toutes les informations auxquelles ils ont accès», souligne Houria Esslami. Dans quelle mesure l'Etat acceptera-t-il alors de se soumettre aux recommandations structurelles du MNP si leurs constats sont maintenus secrets ? L'action du mécanisme de prévention de la torture du CNDH trouve également ses limites dans la loi. «Les lieux de privation de liberté que le MNP peut visiter sont limités dans certains cas prévus par la loi comme l'Etat d'urgence», relève Houria Esslami. Or, c'est justement «chaque fois qu'il est question de sécurité nationale qu'il y a une tendance à utiliser la torture dans les interrogatoires», a noté Juan Mendez, rapporteur spécial de l'ONU lors de la présentation de son rapport final sur la torture au Maroc en 2012. «Il est difficile de dire si c'est très répandu ou si c'est systématique, mais cela arrive assez souvent pour que le gouvernement marocain ne puisse l'ignorer», avait-il ajouté.