Jamila Atif est une journaliste accomplie, une figure de la télévision arabe qui n'a pas cessé de multiplier les expériences professionnelles dans différents pays du monde. La Marocaine a un parcours qui en ferait rêver plus d'un, quand bien même il fut jalonné d'épreuves. Trente minutes de conversation avec Jamila Atif suffisent à faire émerger plusieurs épithètes : cette journaliste globetrotter est une femme courageuse, une battante qui n'a pas peur de croiser le fer avec l'inconnu et de se dépasser. Rien ne prédestinait pourtant cette native de Salé à une carrière internationale de présentatrice télé. Le destin en a décidé autrement. Jamila Atif a parcouru le monde, a vécu ici et là, pour quelques mois ou quelques années. En juillet dernier, elle a reçu le prix de la «reine des journalistes arabes» au festival international d'El Ismaïlia de la presse et des créatrices arabes. Une consécration et une reconnaissance pour une carrière pleine de défis. C'est pourtant bien au Maroc que Jamila Atif connaît sa première expérience professionnelle en tant que journaliste. «J'ai fait mes débuts à la RTM (Société nationale de radiodiffusion et de télévision, ndlr) à Rabat. C'était par pur hasard. Je n'avais pas fait d'études de journalisme, ni de communication. J'étais une pure scientifique, avec des études en sciences spécialité biologie et géologie», raconte à Yabiladi la femme originaire d'Azilal. C'est sans compter le marché du travail, particulièrement rude pour les diplômés de sa branche. Elle ne désespère pas et se lance dans une formation pour être opérationnelle et touche-à-tout. Chaque jour, Jamila Atif vérifie les offres d'emploi sur le journal. «Un jour, je tombe sur une offre dont les critères me correspondent parfaitement : je parle français, anglais et arabe. Je me rends au cabinet de consultants pour passer mon entretien», se souvient-elle. Surprise, l'entreprise recherche pour la première chaîne nationale «des nouvelles figures» pour la télévision. «Je n'avais jamais pensé travailler un jour dans le domaine de la télé», assure la reporter. Les recruteurs lui posent une question à laquelle elle ne s'attendait pas : «Pouvez-vous nous lire ce texte en arabe devant la caméra ?» Prise de court, Jamila Atif rétorque qu'elle a fait toutes ses études en français, mais son interlocuteur l'encourage tout de même à lire le texte. «Quand j'ai lu le texte, ils ont été épatés. Ils trouvaient que j'avais une très belle voix, une élocution parfaite et une prononciation maitrisée. J'étais très surprise de ce que j'entendais. Je ne pensais pas avoir ces atouts», s'exclame la présentatrice. L'expérience au sein de la SNRT lui apprend les bases du métier. Petit à petit, elle commence à faire des reportages, couvrir des événements puis à présenter un programme qui avait pour thème la géologie. «J'ai appris l'alphabet du journalisme lors de cette expérience. C'était ça ma vraie école.» Ph. Facebook De l'Iran à la Russie, du Liban à Dubaï Une offre d'emploi de présentatrice télé se profile à Téhéran en 2003. Malgré la peur de s'expatrier dans un pays très lointain et son appréhension du choc culturel, la journaliste relève le défi. Elle ne fait pas plus d'une année dans ce pays d'Asie de l'Ouest. «Ça ne me convenait pas du tout, ça a été une expérience difficile. J'avais beaucoup de mal avec la langue (le farsi, ndlr). La culture était totalement à l'opposé de ce que je suis. Il fallait mettre un foulard, quelque soit ta religion. J'avais des collègues chrétiennes et juives qui se pliaient aussi à cette règle», explique Jamila Atif. Et d'ajouter : «Toutefois, la culture d'Iran est très riche et historique.» La Marocaine plie ses bagages pour se rendre à Dubai, où elle entame une expérience rapide au sein de Dubai TV, puis se marie. Présentatrice du journal en prime-time En 2006, la vie de la journaliste prend un nouveau tournant. Jamila Atif et son mari s'expatrient en Russie, à Moscou. Elle y décroche un poste de rêve : présentatrice télé dans la plage horaire la plus regardée à RT (anciennement Russia Today). Sa carrière est à son apogée, et sa vie personnelle aussi, puisqu'elle a un enfant à Moscou. Six ans durant, Jamila Atif devient le visage du prime-time. «Toutes les conditions étaient réunies pour être la meilleure. J'étais épanouie à l'écran sur cette chaîne. J'avais réalisé mon ambition en tant que journaliste», souffle-t-elle. Fidèle à elle-même, Jamila Atif aspire à de nouveaux défis et ne veux pas tomber dans la routine. «Le meilleur journaliste est celui qui cherche de nouveaux horizons. Quand tu restes plus de quatre ans dans le même pays, les idées de sujets s'essoufflent. Une fois installé dans un nouveau pays, tu te retrouves empli d'une énergie nouvelle pour attaquer», déclare-t-elle. «J'étais cataloguée comme la Marocaine sunnite malékite» En 2011, la Marocaine se lance dans une nouvelle aventure, direction Beyrouth pour rejoindre l'équipe d'Al Mayadine, un média qui venait d'être lancé. Jamila Atif était loin de se douter que cette expérience allait entacher sa carrière et qu'elle allait vivre des moments très difficiles. «Après avoir travaillé avec des Russes, l'expérience avec les Arabes a été complètement différente, chacun étant catalogué selon sa religion. En Russie, la religion c'est personnel, personne ne viole l'intimité de l'autre, les libertés sont respectées. Ils ne te jugent pas pour ça. Durant mon expérience à Al Mayadine, j'étais cataloguée comme la Marocaine sunnite malékite. Je travaillais pour une chaîne chiite, donc mon avenir était limité dans le média. Je suis partie au bout de trois mois», raconte-t-elle avec une pointe de regret. Jamila Atif lors de sa consécration en juillet dernier en Egypte. / Ph. Facebook Malheureusement, son passage éclair au Liban l'a reléguée au rang de sympathisante et pro-Bachar Al Assad et cataloguée avec les chiites. «J'ai essayé d'effacer cette image. Je suis une journaliste qui travaille, mon opinion je la garde pour moi, je ne fais que suivre la ligne éditoriale de là où je travaille», dit la présentatrice télé. Jamila Atif retrouve sa gloire au sein d'Orient News, qui est un média anti-Bachar Al Assad. Elle s'occupe de deux programmes importants et regagne l'estime et le respect de ses pairs. Elle décide ensuite de s'envoler pour Le Caire pour y effectuer une nouvelle expérience, mais ne dépasse pas deux mois. Depuis 2016, la journaliste est installée à Dubai et a une vie qui la comble. «Je transmets mon expérience au sein de l'université américaine de Dubai et aide à former les futurs journalistes de cet établissement. Et depuis cette année, je suis la directrice éditoriale d'un nouveau magazine, Dubai Al Yaoum. Je me sens plus épanouie», se réjouit-elle. Jamila Atif n'en oublie pas son pays natal : le Maroc reste pour elle sa bouffée d'oxygène. «Si j'avais le choix, je rentrerais au Maroc», déclare-t-elle. «Tout me manque dans le royaume, au quotidien. Ce n'est pas évident d'être loin de chez soi, d'être dans un pays étranger. Il faut travailler dix fois plus pour avoir sa place.»