Les «Chibanis» et leurs droits, un combat qui n'est pas seulement mené en France. En effet, d'autres pays d'Europe à l'instar de l'Allemagne compte également leurs «Gastarbeiter» («travailleurs invités», ndlr). Les mêmes problématiques, les mêmes attentes, les mêmes doutes font partie de leur quotidien et tout comme leurs voisins en France, ces Marocains, entre autres, vivent des moments parfois difficiles. Témoignages. En Allemagne, les «Chibanis» sont plus communément baptisés les «Gastarbeiter», littéralement les «travailleurs invités». Et tout comme leurs compatriotes exilés en France, ils sont venus travailler pour finalement ne jamais repartir. C'est un fait indéniable, les migrants des années 1960-1980 vieillissent dans les pays d'Europe, et ce dans des conditions souvent déplorables, dans la précarité mais surtout dans l'isolement. Cette immigration qui avait pour but premier de pallier au manque de main d'oeuvre des pays européens fait face désormais au vieillissement de ces migrants. Mohamed Zaytouni, gérant d'une pizzeria à Kelsterbach, une petite ville près de Francfort-sur-le-Main (ouest Allemagne), les côtoie chaque jour : «Ce sont des personnes venues ici pour subvenir aux besoins de leur famille restée au Maroc ; mais une fois arrivées ici elles n'ont pas eu d'autres choix que de s'enraciner». Et ce Nadori d'origine d'ajouter : «Ces hommes sont tellement isolés du monde que venir juste boire un thé ici chez moi leur fait oublier les tourments du quotidien. Ma pizzeria est devenu un lieu de rencontres et de rendez-vous presque quotidien des 'Gastarbeiter'.» C'est d'ailleurs chez lui que vient parfois son ami Hassan Kouba accompagné de Lahcen Rchidi, un chibani, notamment durant le mois de Ramadan lors de la rupture du jeûne. Pour Hassan, l'Allemagne doit aussi être reconnaissante envers ces travailleurs qui ont tout quitté : «Cette génération a été accueillie les bras ouverts lorsqu'il y avait du travail salissant et éprouvant, et aujourd'hui ils sont mis sur la sellette, pourquoi tout le monde veut les enterrer ?» Lahcen Rchidi, un «Gastarbeiter» toujours en Allemagne Lahcen Rchidi, natif de la capitale spirituelle, Fès, a immigré très jeune en Allemagne. Aujourd'hui âgé de 62 ans, il est établi à Francfort depuis 40 ans. «Je suis arrivé ici parce que l'Allemagne offrait des contrats de travail. Depuis ce jour je suis ici», se souvient Lahcen. «Côté financier, je gagnais bien ma vie. Mon salaire me permettait de vivre et faire vivre ma famille. Ce n'était pas pharaonique mais ça me suffisait, c'était la sueur de mon front», se rémemore le Marocain. Hassan Kouba, témoigne, pour son ami, «c'était un changement total, il a changé de pays et de vie». Effectivement, arrivé dans les années 1970, Lahcen a dû s'acclimater avec sa nouvelle vie. Ce qui n'a pas toujours été facile, «depuis mon arrivée, je n'ai jamais changé de profession et ce, jusqu'à avoir pris ma retraite. Je travaillais pour une entreprise spécialisée en produits alimentaires», raconte le sexagénaire. Un quotidien intense puisque le travail à la chaîne l'a usé à la longue et ce en plus de la solitude qui le rongeait de jour en jour. Une solitude qu'il a su apprivoiser et avec laquelle il a appris à vivre : «Ca fait 40 ans que je vis seul et je continue de vivre seul ici sans mes enfants et sans ma femme. Mais après, la ghorba et la vie à l'étranger c'est ça. A un moment donné on finit par accepter.» Ce père de 4 enfants, aujourd'hui grand-père, ne regrettre pourtant rien de cette vie, avec un hommage pour sa femme qui l'a beaucoup aidé lors de son départ vers l'inconnu. Avec une voix émue, il nous déclare : «La séparation a bien été vécue par mes enfants, Dieu merci j'ai une femme vertueuse et c'est le plus important. Elle a su mener de front ce challenge, en mon absence ; elle était mère et père. Nous nous sommes toujours entraidés et c'est ce qui a fait notre force. Dieu merci, elle a beaucoup patienté mais nous avons réussi.» Au service des «Gastarbeiter» Un point noir récurrent quant à la question des chibanis, le manque de la famille restée au pays. Alors que peu d'infrastructures étaient au service des migrants à leur arrivée, beaucoup de choses ont changé aujourd'hui, et le retraité allemand persiste et signe : «L'Allemagne d'antan n'est plus la même. Maintenant quoiqu'il arrive le manque n'est plus aussi dur à supporter, notre communauté est tellement grande ici que se faire des amis et côtoyer de nouvelles personnes est beaucoup plus facile.» Et pour cause, auparavant associations et mosquées étaient inexistantes, à Francfort en l'occurrence, où aujourd'hui le Fessi d'origine se sent chez lui. «Je ne parlais pas un mot d'allemand, j'ai tout appris ici, je parle couramment maintenant», nous confie Lahcen. Il nous décrit notamment que l'apprentissage et la maitrise de la langue pouvait se faire au sein du lieu de travail, car les entreprises offraient des cours, pour se perfectionner en allemand, aux employés étrangers à l'époque. Dorénavant, le manque est moins amer pour le Marocain, puisque la diaspora est présente à Francfort : «on peut rencontrer des Gastarbeiter dans les mosquées et facilement faire des rencontres. C'est aussi un lieu où l'on peut apprendre le Coran et s'instruire sur la religion. Nous sommes une belle communauté, je ne suis pas seul dans cette situation et c'est ce qui nous aide à tenir.» «J'ai passé 40 ans de vie en solitaire mais à aucun moment je n'ai pensé rentrer ou prétendre que la vie ici ne me convenait plus. Chacun sa vie, on prend ce qu'on a et puis on accepte le destin», conclut optimiste Lahcen.