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Primo-arrivants, secondes générations et troisième âge : La valse à mille temps de la migration marocaine [Magazine]
Publié dans Yabiladi le 03 - 04 - 2011

Thomas Lacroix est géographe et chercheur à l'Institut des Migrations Internationales (IMI) de l'Université d'Oxford. Pour ce focus, il donne un aperçu de ce que le Maroc représente pour les Marocains de France, dans toute leur diversité. Comment perçoivent-ils le Maroc ?
Au début tout était simple. La migration marocaine c'était, globalement, une région de départ (le Souss), une condition (de travailleur), un genre (masculin), une classe (ouvrière) et une perspective (le retour). Aujourd'hui, la communauté marocaine de France (si elle existe) est si polymorphe que même son dénombrement n'a plus que le sens que l'on veut bien lui donner. 700 000 personnes selon les autorités françaises, 1,1 million selon leurs homologues marocains : choisissez votre camp !
Chibanis : Entre la France et le Maroc, le choix du non choix
Trois grandes tendances ont marqué cette transformation : l'arrivée à l'âge de la retraite des acteurs de la grande vague migratoire des années 60 et 70, l'arrivée à l'âge adulte des enfants nés de cette première migration, et le regain, depuis la fin des années 90, de l'immigration sous la forme de jeunes urbains plus qualifiés que leurs prédécesseurs. Or, derrière cette transformation démographique et sociologique, c'est le rapport à la migration qui est redéfini. Qu'est-ce qu'être migrant (ou descendant de migrant) marocain aujourd'hui ? Sous quelles formes s'exprime l'attachement au pays d'origine ?
Pour les anciens, la perspective du retour a toujours habité le projet migratoire. Parmi ceux arrivés pendant les trente glorieuses, 9 sur 10 ont acquis une maison dans le pays d'origine. Ces chibanis ont constamment été partagés par à un choix à faire, entre décider d'opérer ce retour et s'installer définitivement dans le pays de résidence. En définitive, leur condition d'ouvrier les a poussés à faire le choix du non choix. Pris dans la nasse du quotidien, les travailleurs ont laissé leur séjour se pérenniser.
Or l'arrivée à l'âge de la retraite les place au pied du mur. L'envie de retour ne les a pas quittés, mais seule une minorité le fait vraiment. Pour certains, c'est trop tard. L'échec du parcours de vie, la perte des proches au Maroc, la rupture des attaches ou la maladie ont vidé le projet de son sens. Pour les autres, c'est une vie en trait d'union entre la France et le Maroc qui commence. Le retour s'explique par l'attachement au pays d'origine, la qualité de vie et le souhait de mourir au Maroc. Les allers-retours sont motivés par les enfants qui sont restés en France, la volonté de conserver une couverture sociale.
Nombreux sont ceux qui profitent de leur nouveau statut pour pratiquer une activité commerciale. Ils ramènent des produits au Maroc ou en France. Certains font le trajet une fois par mois. Les retraités partagent donc leur vie entre le pays de leur ascendance et celle de leur descendance. Mais plus fondamentalement, cette nouvelle mobilité est le signe que l'on conserve sa condition de migrant au-delà de sa condition de travailleur.
Les nouveaux migrants : Imaginer le Maroc moderne
Pour les nouveaux migrants marocains, les conditions de la migration ont radicalement changé. Ils sont étudiants ou diplômés. Ils ne suivent pas les chaînes migratoires villageoises tissées par leurs prédécesseurs et ne passeront pas leur vie dans la même usine. L'attachement au pays d'origine reste cependant aussi fort et s'exprime par l'envoi d'argent ou l'usage des nouveaux moyens de communication.
Comme leurs aînés, ce lien familial et la qualité de vie marocaine sous-tendent le projet de retour. Toutefois, selon une enquête menée par l'association Maroc Entrepreneurs*, on voit apparaître un motif plus politique dans le rapport au pays d'origine. Ces jeunes, ayant souvent grandi en milieu urbain, ont une conscience aiguë de la transformation sociale au Maroc. L'envie de participer au développement du pays, la possibilité de jouer un rôle ou, au moins, d'observer l'Histoire en marche, sont des éléments saillants qui informent ce Maroc imaginé des immigrés.
La dimension politique était également présente parmi les immigrés de la vague migratoire précédente, mais elle se cristallisait avant tout par rapport au régime politique, donnant lieu à des affrontements, souvent violents, entre partisans et opposants à la monarchie. Aujourd'hui, c'est la question de la modernité marocaine et de la forme qu'elle doit prendre qui intéresse ces nouveaux Marocains de l'étranger. La corruption, la condition de la femme, la pression familiale, la rigidité des mentalités sont les principaux obstacles à la réalisation du retour.
Les héritiers de la migration : S'installer au Maroc si la contestation actuelle porte ses fruits
Les enfants d'immigrés, quant à eux, jouent dans une catégorie à part. La migration, ils ne l'ont pas vécue, ils l'ont héritée. Le «retour», certains y pensent (35% tout de même selon une enquête de l'INSEA**), peu le font réellement. Le Maroc, espace des origines, est pour eux surtout un espace de vacances. Mais, quand ils pensent au retour, c'est pour des raisons différentes de celles des deux catégories précédentes. Les attaches familiales tiennent une place moindre. L'attrait de la qualité de vie marocaine, mais aussi le rejet ressenti de la société française, la stigmatisation des musulmans, sont des motifs qui sous-tendent l'idée de retour.
A l'instar de ce qui s'est produit pour les descendants d'Espagnols ou de Portugais, il est fort probable que le mouvement des départs s'accentue avec la modernisation du Maroc. L'ouverture du marché de l'emploi permettra sans doute à de nombreux jeunes de faire le saut. Après la révolution tunisienne et le débarquement des quelques milliers de Tunisiens à Lampedusa, les leaders européens n'ont pas manqué d'agiter le spectre de nouvelles hordes migratoires. C'est pourtant une migration de retour motivée par l'envie de prendre part à ce réveil maghrébin que cette révolution pourrait bien davantage générer. Qu'il prenne la forme d'une évolution ou d'une révolution, le changement social au Maroc produira la même chose.
Au-delà de leurs différences, ces trois groupes se retrouvent dans la participation à des projets à caractère philanthropique. Que ce soit sur la base de réseaux villageois traditionnels, sous la forme d'ONG humanitaires, ou d'associations religieuses ou professionnelles, jeunes et vieux trouvent dans le développement un moyen de reconstruire ce lien avec le Maroc et la marocanité. Ces initiatives prennent la forme de l'électrification du village d'origine, d'envoi d'ordinateurs à une école, de construction d'un orphelinat, d'envoi de vivres après une catastrophe naturelle...
Les motifs varient. Parmi les militants politiques et réfugiés, le développement est synonyme de promotion de la démocratie locale. Parmi les travailleurs immigrés et les retraités, le développement s'inscrit dans une relation coutumière (tiwizi) avec le village d'origine. Pour les jeunes, le développement est un engagement volontaire alors que celui des anciens était sollicité. Pour tous, agir en faveur d'un Maroc idéal c'est partir à la recherche d'une réconciliation avec soi-même.
* Maroc Entrepreneurs, 2006, Grande enquête Maroc Entrepreneurs sur le thème du «retour au Maroc», rapport interne, 91 p.
** Hamdouch M. et al. (2000) Les Marocains résidant à l'étranger, Rabat, INSEA.
Cet article a été publié dans le numéro 5 de Yabiladi Mag (mars 2011)


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