Dans le livre «Et tout ça devrait faire d'excellents Français», l'adjointe au maire de Dreux, affiliée Les Républicains, Naïma M'Faddel et le politologue et spécialiste de l'islam Olivier Roy dialoguent sur l'intégration des musulmans français dans les quartiers dits «difficiles». Interview. Vous êtes adjointe au maire de Dreux (Centre-Val de Loire) chargée de l'action sociale et de la santé. Votre livre est une analyse sociale de l'islam politique dans les quartiers difficiles. De quoi est-il question précisément ? Ce n'est pas exactement une analyse sociale sur l'islam politique mais plutôt un état des lieux sur la politique de la ville. Ce dispositif concerne les quartiers dits «sensibles» et qui concentrent une forte population issue de l'immigration et majoritairement musulmane. De facto on en vient à aborder la question de l'islam. La question de la politique de la ville est mon champ de travail depuis 25 ans sur différentes villes emblématiques telles que Dreux, Trappes et aujourd'hui Mantes-la-Jolie en tant que déléguée du préfet des Yvelines. Par ailleurs, avant cette délégation à l'action sociale et à la santé, j'ai été en charge de la politique de la ville à Dreux pendant deux ans. J'ai ainsi pu expérimenter la difficulté de porter la déclinaison de ce dispositif au niveau local en tant que femme politique. Comment vous êtes-vous politisée ? Le début de notre livre commence par le récit de mon enfance. Cette période a été fondatrice dans mon parcours et mes engagements associatifs, professionnels et d'élue. Je m'en souviens en tout cas avec nostalgie, sinon comme d'un âge d'or pour les immigrés, du moins comme d'une période heureuse de ma vie d'enfant puis de jeune fille d'origine marocaine, aimant l'école, la culture, les libertés, les fêtes françaises de ces années d'après 68, l'amitié des amies «françaises», les occasions multiples de rencontre avec la «France doux pays de [mon] enfance» - sans reniement de mes origines, sans crise d'identité apparente, disons-le : en vivant même une «identité heureuse». Fut-elle une exception ? Non, car ce sentiment d'une période «heureuse» est partagé par beaucoup d'immigrés (du Maghreb, Portugais, Espagnols, Italiens, etc.) et de Français de ma génération. Les premiers retours sur les réseaux sociaux à propos de notre livre évoquent le même sentiment vis-à-vis de cette époque. Et puis mes parents - musulmans «pratiquants» - furent des gens exceptionnels de sagesse, d'ouverture, de tolérance. On peut dire que par la suite je me suis lancée dans la quête de cette «période heureuse» où nous n'avions pas besoin d'appel à projet pour «favoriser le vivre ensemble». Où la «laïcité» faisait sens pour chacun d'entre nous. Et puis j'ai connu à Dreux l'avènement du Front national qui a été une période très difficile dont je parle dans le livre Qu'est-ce qui vous a poussé à écrire ce livre ? Quel message souhaitez-vous véhiculer à quelques jours de l'élection présidentielle ? L'envie d'écrire fait suite à mes craintes face à l'état de délitement des liens entre les Français, à cette lente désintégration sociale qui nous mène, si rien n'est fait, dans une impasse sans nom. La confrontation entre Olivier Roy, islamologue de renommée mondiale et moi-même, qui suis impliquée professionnellement depuis plus de 25 ans dans ce qu'il est convenu d'appeler les «quartiers difficiles» n'est pas due au hasard. Olivier Roy et moi confrontons souvent nos points de vue sur l'intégration, l'islam en France et dans le monde. C'est à partir des années 1980 que tout se gâte. La crise économique a été bien évidemment un facteur important. Dreux a payé un lourd tribut à la désindustrialisation avec la fermeture des usines et de leurs sous-traitants. Dans les années 80, le regroupement familial a été important. Les quartiers ont changé avec l'arrivée de nouvelle population immigrée et le départ des habitants de souche française et ensuite européenne. En même temps, on a minoré le rôle des structures importantes qui permettaient des «espaces communs» tels que pour Dreux, «feu» le centre culturel du Lièvre d'or, un équipement culturel dont la programmation rivalisait avec les structures nationales. Peu à peu s'est installé un «séparatisme» social qui s'est doublé d'un séparatisme culturel. La politique de la ville, dont l'intervention est en fonction des zonages qu'elle applique aux quartiers, est venue conforter ce séparatisme et cet entre-soi. Les politiques, par la mise en place «d'interventions spécifiques», ont aussi joué un rôle «d'assignation à résidence», «d'assignation à un état social» et d'autogestion. Invitée par @NadiaBeyInfo #voixdefemmes pour parler #EtToutÇaDevraitFaireDexcellentsFrançais #quartiersPopulaires pic.twitter.com/VMPB8ON4wC — Naima M'Faddel (@naimamfaddel) 20 avril 2017 La «politique de la ville» est en fait un euphémisme pour parler de «la politique des quartiers défavorisés». Elle s'est mise en place progressivement et avait pour objectif de faire face à une aggravation de la crise dans les zones urbaines dites défavorisées. Officiellement, le but était clair : traiter les effets comme les causes de la dégradation de la vie des quartiers. Elle a certes amélioré l'aménagement urbain et le cadre de vie, mais les populations qui y résident sont confrontées à des difficultés sociales et économiques croissantes, malgré les subventions importantes allouées aux collectivités. Bien qu'animé par la volonté de bien faire et de réduire les injustices, on a créé de toutes pièces des exclusions nouvelles par un mécanisme aussi insidieux que pervers ! Une exclusion par stigmatisation est apparue dans les quartiers classés «politique de la ville», et aussi une ségrégation par l'exclusion pour des populations pauvres qui n'y habitent pas... Les villes concernées se replient sur un entre-soi qui s'étend à l'insu des habitants, mais finit par s'installer dans leur tête. Petit à petit, certains quartiers deviennent des «quartiers d'immigrés» où l'on vit avec le sentiment d'être à part. Une fois ces espaces communautaires confortés, comment parler ensuite de «vivre ensemble» et de cohésion sociale - nationale, de surcroît ? Le système actuel de zonage créé un «nous» et un «eux» qui ne peut que mettre en péril la cohésion républicaine. Le message principal que je souhaiterai envoyé est le suivant : je dirai au futur président qu'il est temps de rompre avec cette politique menée dans les quartiers depuis plus de 30 ans, qui est un échec et a couté des milliards. Qu'il faut supprimer le zonage par une politique qui, même pavée de bonnes intentions, les enferment, a entraîné un entre-soi, une stigmatisation et une dérive de relégation des populations. Il faut favoriser l'individualisation des rapports sociaux. Mettre fin dans les villes aux activités qui séparent les habitants en fonction du secteur d'habitation. Je suis pour des espaces communs qui permettent de vivre réellement ensemble. Je lui dirai que le patriotisme n'est pas ringard et qu'aujourd'hui il doit devenir notre priorité. Je l'inviterai à lire notre livre qui liste d'autres propositions pour une France apaisée et unie. D'ailleurs, le livre a été envoyé à tous les candidats. Qu'est-ce qui fait de bons Français alors ? Pour moi il n'y a pas de mauvais français. Les habitants des quartiers populaires aiment leur pays et demandent plus de République. Il faut se poser les questions suivantes : qu'est-ce que doit faire la République et que ne doivent plus faire les politiques pour que tous les citoyens se sentent des Français à part entière, pour que tous les citoyens vivent réellement ensemble, pour que tous les citoyens vivent pleinement la devise républicaine : liberté, égalité, fraternité !