Au lendemain du suicide de Khalid Qaddar, un marin de Dakhla qui s'est immolé par le feu pour protester contre l'humiliation et l'injustice qui l'a frappé, l'ancien militant du Parti de l'Istiqlal et journaliste Khalid Jamaï s'adresse dans une lettre ouverte au roi Mohammed VI, l'exhortant d'intervenir et de répondre aux sollicitations de la veuve du défunt. Il rappelle aussi les responsabilités des ministres de l'Intérieur et de l'Agriculture et la pêche maritime. La lettre a été rédigée le 3 avril 2017 à Rabat et traduite de l'arabe par Ahmed Ben Seddik. Majesté, On peut lire dans le Saint Coran au début du chapitre 58, où Allah s'adresse à son Messager ainsi : «Au nom d'Allah, le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux. Allah a bien entendu la parole de celle qui discutait avec toi à propos de son époux et se plaignait à Allah. Et Allah entendait votre conversation, car Allah est Audient et Clairvoyant.» Et vous, avez-vous entendu la plainte de la veuve de Mr Khalid Qaddar, un marin de Dakhla qui s'est immolé par le feu pour mettre fin à ses jours en vue de protester contre l'humiliation et l'injustice qui l'a frappé ? Nous avons été nombreux à visionner sur Internet la vidéo de cette veuve en pleurs en train de crier à haute voix : «Je m'adresse en priorité au roi. Majesté, nous sommes sous l'oppression et nous souffrons dans ce pays. Mon mari a été privé de son travail et ils ont voulu qu'il fasse un faux témoignage et voilà qu'ils l'ont tué. Ce n'est pas raisonnable. Je vous supplie Majesté de nous sauver de ceux qui nous brûlent à petit feu. Je n'ai personne auprès de qui me plaindre et on ne vous informe pas de ces drames. Ils vous cachent les choses sérieuses. J'ai remis en mains propres le dossier au ministre de l'Intérieur lors du Forum Crans Montana. J'ai pleuré en face de lui, en lui expliquant que mon mari est innocent. Il a pris le dossier et m'a dit 'je vais voir ce problème et je vous appelle'. Je lui ai donné mon numéro de téléphone et une copie de ma carte d'identité nationale et à la fin il n'a rien fait. Au ministère, il n'y a pas de justice et au tribunal non plus. Tout ça est bien injuste et insupportable. Je vous supplie Majesté, sauvez-moi car personne ne veut me rendre justice. Je m'adresse à Allah et à vous, notre roi et nous ne connaissons personne d'autre que vous.» Vous avez maintenant entendu, Majesté, ses pleurs et mesuré sa douleur alors qu'elle s'adresse à vous et vous expose ce qui est arrivé à son mari, qui, pour attirer votre attention, n'a trouvé d'autre moyen que le feu et la mort ? Si Khalid Qaddar a choisi de mettre un terme à sa vie en face de la délégation de la Pêche maritime à Dakhla, c'est pour vous sensibiliser et sensibiliser l'opinion publique sur la responsabilité du ministre Aziz Akhannouch dans l'injustice qui l'a frappé. La veuve du défunt a révélé que son mari a subi des menaces et des pressions et a fait l'objet d'une tentative d'assassinat en vue de changer le rapport qu'il a soumis à la Marine royale marocaine au sujet de la noyade de son bateau car le contenu du rapport était de nature à priver la société propriétaire de toucher un remboursement de la part de la compagnie d'assurance. La veuve a accusé la Délégation de la Pêche maritime, qui fait partie du ministère d'Aziz Akhannouch et la société propriétaire du bateau où travaillait son défunt mari en tant que capitaine, d'être à l'origine de ces menaces. Elle a également mentionné que le bateau a été volontairement noyé par l'un des employés qui y travaillent. Majesté, Le marin défunt a écrit à M. Akhannouch à ce sujet pour l'informer des détails des faits ayant entouré la noyade du bateau qu'il pilotait et lui a demandé audience, mais ce ministre n'a donné aucune suite. Ce drame prouve que nous ne vivons pas dans un Etat avec des institutions mais un Etat de personnes soumis à des individus influents, qui constituent l'ossature de l'appareil du makhzen et ont intérêt à faire perdurer le statu quo. Nous sommes en présence d'une alliance entre le makhzen politique et administratif et le makhzen économique. Majesté, Vous avez déjà, dans un de vos discours à la nation, formulé des critiques à l'endroit de certains pans de l'Administration marocaine, qui n'exécutent pas vos instructions, et vous avez aussi pointé un doigt accusateur envers l'appareil de la justice qui baigne dans les soupçons de dysfonctionnements. Ce discours a été applaudi et salué par la majorité des citoyens qui y ont décelé une preuve d'audace et de volonté de corriger les situations malsaines de cette administration. Cependant, nous avons maintenant, jour après jour, la preuve que vos discours et vos instructions demeurent des paroles en l'air sans effet concret. Dans les rares cas où les responsables veulent faire semblant d'exécuter vos ordres, ils présentent au petit peuple des boucs émissaires, choisis parmi les petits fonctionnaires, en vue d'absorber la colère populaire. C'est ce qui est arrivé entre autres, dans les cas du jeune Mohcine Fikri à Al Hoceima et celui de la dame Mi Fatiha à Kénitra. Dans le cas de Fikri, vous avez présenté vos condoléances à sa famille et dépêché votre ministre de l'Intérieur pour les consoler et leur faire comprendre que vous êtes à leurs cotés dans cette épreuve, mais le ministre en charge de l'Agriculture et de la pêche maritime, Aziz Akhannouch ne s'est même pas donné la peine de se déplacer à Al Hoceima pour s'enquérir sur les lieux du drame des circonstances de l'affaire qui se trouve être au sein de son domaine de compétence. Il en est, par conséquent, le premier responsable politique et administratif. C'est lui qui devait rendre compte mais il ne l'a pas fait. Le voilà qui récidive dans le cas de la mort de Khalid Qaddar où il n'a pas pipé mot comme si de rien n'était et comme s'il disposait d'une immunité totale et entière, lui garantissant qu'il ne rendra jamais compte devant qui que ce soit. Ce qui est inacceptable dans cette affaire, c'est que Mr Akhennouch a bien reçu, selon la veuve du défunt, un dossier complet sur les circonstances dans lesquelles ce marin s'est trouvé et les dysfonctionnements graves qui affectent le secteur de la pêche maritime à Dakhla. Le ministre de l'Intérieur aurait reçu lui aussi un dossier similaire mais n'a pas jugé utile de bouger le moindre petit doigt. En conséquence, n'est-il pas raisonnable de considérer l'agissement de MM. Akhannouch et Hassad comme une sorte de non-assistance à personne en danger conformément à l'article 431 du code pénal ? En effet, ils ont sciemment ignoré les suppliques successives de cet homme, ses cris de douleur et son sentiment d'injustice qui ont fini par le pousser à mettre fin à sa vie pour protester contre le silence et l'indifférence de ces deux ministres. Majesté, Voici donc deux ministres de l'ancien gouvernement Benkirane, pris en flagrant délit de manquement à leur devoir. Par conséquent, est-il raisonnable qu'ils soient reconduits en tant que ministres dans le gouvernement El Othmani à venir avant qu'ils ne soient totalement blanchis de toute implication dans la négligence ayant conduit au suicide d'un citoyen ? Dans d'autres pays où la vie humaine est respectée, un ministre démissionne dès qu'il y a la moindre suspicion de manquement au devoir qui touche son domaine de compétence. Majesté, Ce qui est arrivé à ce marin Khalid Qaddar n'est pas un fait divers maroco-marocain mais un cadeau en or offert aux ennemis de notre intégrité territoriale qui vont l'instrumentaliser pour ternir l'image de notre pays et mettre en doute ses efforts pour développer son Sahara, pour y améliorer le respect des droits de l'homme et y garantir la justice sociale. Au moment où cette brave dame pleure à chaudes larmes et crie : «Majesté je vais vous harceler afin de vous remettre en mains propres ma plainte, pour que vous puissiez me rendre justice.» Nous n'avons pas vu le moindre leader de parti politique réagir à ce drame, exprimer une quelconque position ou exiger une enquête impartiale. Parce que ces individus sont trop occupés en ce moment par le partage du gâteau gouvernemental. Même le nouveau chef de gouvernement désigné a préféré le silence lâche propre à nos politiciens. Majesté, Cette dame s'est adressée à vous parce qu'elle est convaincue qu'il y a un contrat d'allégeance entre elle et vous en vertu duquel vous avez le devoir de faire régner la justice et parce qu'en vertu de l'article 42 de la Constitution, vous êtes le garant de ses droits. Comme vous le savez, lorsqu'après la mort du prophète, le premier calife Aboubakr Assidiq a été désigné chef du premier Etat islamique. Il a improvisé ce court discours : «Je suis donc désormais votre chef mais je ne prétends pas être le meilleur d'entre vous. Si j'agis bien aidez-moi, sinon corrigez-moi. L'honnêteté, c'est d'abord de dire la vérité alors que le mensonge est la plus grande trahison. Un citoyen parmi vous qui se sent faible ou démuni est fort pour moi jusqu'à ce que je lui rende justice et le puissant d'entre vous est faible pour moi jusqu'à ce que je l'empêche d'opprimer les autres.» La veuve de Khalid Qaddar et le peuple marocain comptent sur vous pour lui rendre justice et punir les responsables de ce drame. Avec mon profond respect.