Une étude publiée début décembre montre que les Algériens et les Marocains de France s'engagent quasiment autant les uns que les autres dans la sphère publique de leur pays d'origine, mais les Algériens choisissent la voie politique, tandis que les Marocains ont optés pour l'associatif, faute d'obtenir droit de vote et éligibilité au Parlement marocain. «Pour les Marocains en France, l'engagement associatif pour le développement ne peut être un substitut de long terme à la pleine citoyenneté », estime Thomas Lacroix, chercheur au laboratoire Migrinter du CNRS à l'Université de Poitiers, et Guillaume Leroux, doctorant. Les deux chercheurs ont comparé les engagements publics (politiques au sens large) des Marocains et des Algériens de France dans leurs pays d'origine, dans un article intitulé «The forms and determinants of public transnationalism : a North African comparison», rendu public lors d'une conférence à l'université Sapienza de Rome, les 9 et 10 décembre. Les relations qu'entretiennent les Marocains et les Algériens avec leur pays d'origine sont en tous points semblables dans les premiers temps de leur émigration. 70% des Marocains et 75% des Algériens restent liés à leur pays d'origine après leur émigration. Un chiffre dans la moyenne des autres groupes d'immigrants en France. «Le contexte français assimilationniste ne semble pas affecter ces liens », ont constaté les deux chercheurs. Transnationalisme privé puis public Avec le temps, les liens privés, familiaux, qu'entretenaient les immigrés dans leur pays d'origine s'affaiblissent et se transforment en engagement public, en particulier chez les Algériens. Plus de la moitié des migrants marocains et algériens sont connectés à la sphère publique par la politique, les médias ou par les associations. «Encore une fois, les chiffres sont dans la fourchette de ce qui est observé chez les migrants en général (60%)», ont-ils mesuré. Si la politique du pays d'accueil influe peu sur les pratiques transnationales des deux groupes, celle des pays d'origine est au contraire déterminante. Les Algériens et les Marocains vont donc se distinguer fortement dans la façon d'exprimer leur engagement public dans leur pays d'origine. «Les Algériens sont beaucoup plus susceptibles de participer au transnationalisme politique (40% des Algériens en France)» que les Marocains (20%). Association pour le développement au Maroc «Les Marocains sont beaucoup plus susceptibles de s'engager dans des actions associatives que les Algériens. […] Aujourd'hui, la moitié des associations créées par des immigrés marocains vivant en France sont des associations de développement», atteste Thomas Lacroix. Les politiques marocaines de développement locale ont fait appel aux ressources et aux compétences des MRE, tandis que l'Europe insistait sur le co-développement. Le contexte marocain était d'autant plus favorable à l'engagement des MRE dans l'associatif que l'engagement politique - qui revient au-devant de l'actualité à l'approche des législatives de 2016 – ne leur a jamais vraiment été ouvert. Après expérience ratée de députation entre 1984 et 1992, les autorités marocaines ont toujours refusées de mettre en place un vote dans les pays de résidence et des représentants au Parlement pour la diaspora, au contraire de l'Algérie. Les Algériens de France ont des députés «En Algérie les politiques d'ajustement ont été beaucoup plus limitées dans leur portée et les relations avec les Algériens à l'étranger n'a jamais été à la tête de l'agenda gouvernemental», et la société civile algérienne a été gravement affaibli par 10 ans de guerre civile, expliquent Thomas Lacroix et Guillaume Leroux. Par contre, l'Algérie a offert le droit de vote et l'éligibilité à sa diaspora depuis longtemps de telle sorte qu'ils sont devenus le vecteur principal de l'engagement public des Algériens de France. «Pour les Marocains, le taux d'abandon des pratiques transnationales est plus fort avec le temps, remarque Thomas Lacroix. Les pratiques privées mais aussi associatives dépendent des liens personnels maintenus en France et au Maroc. Or ces liens sont ceux qui s'effacent avec le temps, les décès ou les ruptures familiales. Le rapport à l'Etat via la citoyenneté est lui plus durable dans la mesure où il dépend moins de ces relations sociales.» Pour le chercheur, si le Maroc n'offre pas rapidement droit de vote direct et éligibilité aux MRE, la communauté se détachera très probablement de plus en plus de son pays d'origine.