Le doctorant en sociologie Sylvain Beck, propose une théorie : les murs des écoles françaises au Maroc, en particulier Casablanca et Rabat expriment une frontière entre le «peuple», dehors, et les «bourgeois», à l'intérieur. Protéïforme, elle prend racine dans leur capacité à ouvrir sur l'enseignement supérieur en France. «L'enseignement francophone [représente] bel et bien un "passeport pour l'Europe"», estime Sylvain Beck, doctorant au laboratoire Groupe d'Etude des Méthodes de l'Analyse Sociologique de la Sorbonne, dans un article publié sur le site de Sciences Po Paris et intitulé «Un déplacement de frontière. Le cas des établissements scolaires français à Casablanca». Il regarde les murs hérissés de pics des écoles françaises au Maroc comme une nouvelle frontière, érigée par la France, et parallèle à celle maintenue, à l'intérieur de la France elle-même qui sépare les franco-français des populations étrangères ou d'origine étrangère. «Tout se passe comme si la France, en exportant son institution scolaire à Casablanca, reproduisait une distance sociale qui symbolise une frontière intérieure dans la ville», explique Sylvain Beck. Le chercheur a choisi le mot de frontière, parce qu'il voit dans ces écoles une façon pour la France de sélectionner ses futurs immigrés. «Cette frontière par l'enseignement scolaire ne forme-t-elle pas implicitement une "immigration choisie" ?», interroge l'auteur. Frontière symbolique Elles forment en effet les jeunes Marocains qui les ont intégrées à intégrer à leur tour les grandes écoles françaises «pour ensuite revenir au pays avec un réseau personnel et professionnel. C'est ainsi qu'au Maroc, de nombreux marchés sont remportés par la France face à la concurrence internationale : "c'est une sorte de mainmise réciproque dans l'échiquier mondial" selon la formule d'un fonctionnaire expatrié», reprend Sylvain Beck. Cette sélection consentie s'exprime par une frontière qui prend différentes formes. Elle est élitiste, puisque les enfants marocains doivent passer un test de compétence pour entrer dans les écoles françaises. Elle est économique, puisque les frais scolaires annuels s'élèvent à environ 25 000 dirhams par an. «D'après certains enseignants et parents d'élèves, la plupart des familles ont largement les moyens de financer ces frais de scolarité, néanmoins nombreuses sont celles qui "se saignent" pour supporter les augmentations annuelles», précise Sylvain Beck. Cercle vicieux Elle est symbolique et culturelle, car elle sert de vecteur à la réussite sociale des familles des élèves marocains qui parviennent à y entrer. «Cette frontière renvoie à la période coloniale et à la barrière linguistique. Elle n'est pas exclusive des écoles françaises puisque les écoles privées marocaines francophones ou bilingues sont prospères à Casablanca. Toutes bénéficient de la valeur prestigieuse de la francophonie et d'une libéralisation du système d'enseignement privé conjointement à une mauvaise réputation – pas toujours justifiée - de l'enseignement public», élargit le doctorant. Les lycées français rassemblent donc, dans l'imaginaire collectif, selon lui, la bourgeoisie par opposition au reste du peuple. «En face, il y a le lycée marocain. Quand nos gamins sortent, ils sont tout le temps en train de s'envoyer des injures et de se faire brancher...», raconte une enseignante dans un lycée français entendu par Sylvain Beck. La barrière physique des murs des écoles et des systèmes de sécurité sont renforcés sur la base de cette perception mutuelle. Il s'agit de se protéger du dehors. Les représentations restent les mêmes et se renforcent dans un cercle vicieux très difficile à rompre sans la prise de conscience par les enfants, les parents et les enseignants des deux écoles de la vacuité de cette frontière.