J'accuse! Très loin de moi l'idée de me prendre pour l'auteur de la célèbre adresse. Seulement, être Noir au Maroc aujourd'hui c'est prendre conscience que cette acception du terme est devenue comme un destin commun. Que l'on vive à Douala ou dans la région de Doukkala, au Togo ou à Fogo, nul ne peut ignorer la détestable situation des migrants subsahariens. Ils sont devenus, et je pèse mes mots sur une balance pour quintaux, les Roms du Maghreb et les Dreyfus sacrifiés sur l'autel des bienséances diplomatiques "sans aucune forme de procès". Ces femmes et ces hommes ont quitté leur patrie, c'est le déshonneur de leur nation qui n'a pas pu les retenir et leur offrir la dignité derrière laquelle ils courent. Ils ont choisi le Maroc, en lorgnant plus loin peut-être, ce devrait être l'honneur du royaume chérifien. Hélas, les dérives, bavures et manquements aux droits fondamentaux de la part des institutions du pays elles-mêmes deviennent légion. Quatre exemples pour éclairer ces propos 1) Il y a quelques semaines, les habitants de la ville de Casablanca découvraient avec effarement que des syndics de copropriété plaquaient dans leurs parties communes de leurs immeubles, au vu et au su de tout le monde, des messages interdisant aux propriétaires de louer les appartements à des "Africains". Passons sur l'ineptie qui consiste à distinguer les Marocains des autres Africains: le Maroc ce pays du sud de l'Europe! Dans tout autre pays de droit, un procureur se serait saisi de l'affaire ne serait-ce que pour ouvrir une information judiciaire ou intenter un procès pour discrimination raciale. Là, silence radio. 2) Au mois de juillet, des policiers jettent d'une fourgonnette en marche, un Congolais, Alex Toussaint Mianzoukouta. Il meurt quelques jours plus tard de ses blessures. Personne ne sait ce qui s'est passé lors de ce fameux contrôle d'identité. Le saura-t-on un jour? Silence radio. 3) le 1er août dernier, une jeune Ivoirienne, Tina Melon, rapporte qu'elle aurait été violée. Sous la pression et en plein «Daniel Gate», le wali de Tanger décide d'ouvrir une enquête. Avant même la fin de la procédure des expertises, contre/expertises et des auditions, il parle dans un communiqué "d'accusations sans fondements visant à ternir l'image des forces de l'ordre." Comme si ces forces de l'ordre avaient attendu Tina melon pour entamer leur légendaire réputation. 4) Le 14 août, Ismaïla Faye, un Sénégalais est poignardé dans un bus à destination de Fez pour une histoire de place. Banal fait divers, crime crapuleux ou raciste? La prudence reste de rigueur. Ce qui est sûr, c'est qu'il subsiste un climat favorisant la libération de la parole raciste et donc incitant au passage à l'acte. Je me suis reconnu en la personne d'Ismaïla Faye. Car moi aussi, cette histoire de place, je l'ai vécue plusieurs fois sur les vols de la RAM, dans les trains de l'ONCF et les bus de la RTM. Le pire, ce sont les regards remplis de dédain et de mépris que certains vous lancent lorsque vous daignez faire valoir vos droits. On peut égrener le long chapelet des crimes sur les migrants jetés à la mer par les garde-côtes, des brimades et rackets dans la forêt de Bel Younech, des exactions aux abords de Ceuta et Melilla et des discriminations dans les grandes villes du royaume. Sans compter la concussion généralisée de ces forces de l'ordre dûment assermentées. Pour Alex Mianzoukouta, Tina Melon, Ismaïla Faye qui ont maintenant un nom et un visage, combien d'ombres errantes harcelées par un système répressif qui n'épargne même pas les Marocains ? Tous responsables ! Alors, j'accuse le gouvernement marocain de laisser pourrir la situation par son silence et son déni. J'accuse une partie de la société marocaine qui, en ces temps ombreux où l'avenir est occulté par les incertitudes de l'existence, se tourne vers les étrangers pour chercher des boucs émissaires. J'accuse les dirigeants des deux pays qui se sont gargarisés jusque récemment lors des visites du roi Mohamed VI à Dakar et du Président Macky Sall à Rabat, parfois à juste titre, de l'amitié sénégalo-marocaine. Des amis ne doivent pas parler que des bonnes nouvelles mais aussi des dossiers brûlants pour le bien de leurs peuples respectifs. Qui sommes-nous devenus pour rester silencieux devant ces actes iniques, pour que nos peurs des lendemains difficiles gouvernent notre quotidien et notre conscience? Jusqu'où descendrons-nous ? Ces crimes désolent, j'espère dans la grande majorité, nos deux nations. Personne ne pourra plus dire «mafrassich». Nous sommes au moins coupables de rêver innocents ! Maintenant ça suffit, il faut agir!