En fin d'année dernière, une équipe de chercheurs marocains d'Agadir annonçait triomphalement que les mythiques lacs d'Isli et Tislit dans l'Altas avaient été formés par la chute d'une météorite. Une autre équipe de scientifiques marocains de Casablanca pense aujourd'hui pouvoir prouver le contraire lors de la conférence de la Universities Space Research Association, au Canada, dans quelques jours. La légende des lacs d'Isli et Tislit, près d'Imilchil dans l'Atlas marocain, est au cœur d'un véritable bras de fer au sein de la communauté scientifique marocaine. En décembre 2012, des chercheurs du laboratoire Géohéritage et géomatériaux de l'Université Ibn Zohr d'Agadir révélaient, non sans satisfaction, que les deux lacs étaient en fait les cratères issus de la chute des deux fragments d'une seule météorite. L'annonce avait fait le tour du Maroc. Alors que ces mêmes chercheurs marocains s'apprêtent à présenter leur découverte au European Planetary Science Congress 2013, qui se tient du 8 au 13 septembre, au University College de Londres, une autre équipe de scientifiques marocains se prépare à contredire, lors d'une autre conférence internationale, ces révélations. Plusieurs chercheurs du laboratoire GAIA de la faculté de Sciences de Aïn Chock de l'université Hassan II de Casablanca, présenteront un article intitulé «la preuve du non-impact de météorite dans l'origine des lacs d'Imilchil » à la conférence «The Large Meteorite Impacts and Planetary Evolution V » organisée par la Universities Space Research Association, qui aura lieu du 5 au 8 août, à Sudbury, au Canada. Dans l'article qu'ils présenteront à Londres, les chercheurs marocains d'Agadir, menés par le professeur Aberrahmane Ibhi, expliquent que «les fragments de météorites ferreuses trouvés aux bords des lacs d'Isli et Tislit appartiennent à la même météorite mère de type sidérite», appelée Ataxite. Selon leurs observations, «les couches sédimentaires sont verticalisées autour du lac d'Isli, alors qu'à l'extérieur des bords du cratère il n'y a pas de couches verticales avérées [...] des fractures radiales de haute pression affectent certaines couchent sédimentaires», preuve du traumatisme des couches sédimentaires provoqué par le choc au moment de l'impact des météorites avec le sol. «Des traces des brèches d'impact sont encore présentes sur les bords de cratères, bien que la plupart de ces brèches aient été effacées par l'érosion», ajoutent les chercheurs. Astéroïde de 100m de large En conclusion, il ne fait aucun doute pour l'équipe de scientifiques que «les deux lacs ont été produits par l'impact d'une petite astéroïde de plus de 100 mètres de diamètre. Le double cratère produit par l'impact, résulte de la section en deux de la météorite lors de son entrée dans l'atmosphère terrestre il y a près de 40 000 ans.» Ces révélations, annoncées par les scientifiques d'Aberrahmane Ibhi dès décembre 2012, émeuvent le royaume. L'origine quasi extraterrestre des lacs est terriblement romantique. Elle fait écho à la belle légende de deux lacs constitués des larmes des deux amoureux séparés. C'est dans ce contexte que l'équipe de Casablanca, menée par le professeur S. Chaabout, décide de se rendre sur place, en mai 2013, pour une mission de terrain. Elle veut vérifier elle-même ces affirmations. Les météorites tombées loin des lacs «En 2012, des journaux aux Maroc rapportent la présence de cratères d'impact (Isli et Tislit) reliés à la météorite ferreuse découverte à Agoudal bien que ces météorites aient été trouvées à 20 km de ces lacs», commence l'article des chercheurs casaouis. Leur rapport est sans nuance. D'une part les fragments de météorites n'ont pas été trouvés à proximité des lacs. D'autre part, «aucune fracture conique n'a été notée», «les couches entourant les lacs ne sont pas retournées. Aucune tendance à des failles radiales ou concentriques n'a été observée» et tous les défauts des structures sédimentaires sont liés aux défauts du reste du plateau. En somme, conclut l'équipe, « Les résultats de notre cartographie autour des lacs a prouvé qu'il n'y a pas de déformation importante des roches environnant les lacs qui pourrait être liée à un cataclysme à l'origine de ces deux structures. La géologie locale est en accord avec l'idée d'une formation des lacs dans un bassin synclinal comme résultat de la tectonique [terrestre, ndlr] tel que cela a déjà été publié.» Contradictions graves Les contradictions apportées par l'équipe menée par S. Chaabout sont graves. Au-delà d'une nuance d'interprétation des signes géologiques, de détails scientifiques, ou du doute raisonnable, les deux équipes semblent ne pas parler de la même réalité. Pour l'un, les météorites ont été trouvées aux abords des lacs, pour l'autre non. Même un néophyte peut s'étonner de telles différences dans les constats préliminaires. La façon dont l'équipe de S. Chaabout explique la raison qui l'ont poussée à enquêter sur le sujet - c'est-à-dire les nouvelles rapportées par les journaux plutôt que la référence aux révélations de l'équipe de scientifiques de l'université d'Agadir - laisse penser qu'il existe une inimitié profonde entre ces hommes qui pourrait expliquer en partie des résultats à ce point opposés. Les deux équipes bénéficient chacune d'une caution internationale. L'équipe du professeur S. Chaabout est associé à W.U. Reimold, de l'université de Berlin. Celle du professeur Aberrahmane Ibhi est associée à A. Ait Touchnt et C. Vaccaro du département Sciences de la terre P1-SZA103 Via Saragat de l'université de Ferrara, en Italie. Les deux équipes scientifiques marocaines auront peut être l'occasion d'être départagées par leurs pairs au moment de leurs présentations à Londres et Sudbury.