On dit souvent que «l'Histoire est écrite par les vainqueurs». Le timing, l'occasion qu'on ne rate pas, parfois même le hasard mettent la lumière sur une ou un groupe de personnes à un moment X dans le temps. Peut être que les signataires du Manifeste de l'Indépendance étaient présents au bon moment, au bon endroit. Quoi qu'il en soit, ils sont ceux que l'Histoire du Maroc post- coloniale et plus largement du Tiers-monde a bien voulu retenir, au grand désarroi des militants nationalistes et des patriotes qui ont parfois fait le sacrifie de leurs vies au nom de la Liberté du Maroc. Pour de nombreux historiens marocains et internationaux, le Manifeste du 11 Janvier n'est pas l'acte fondateur du Mouvement nationaliste marocain. Si l'Histoire officielle, celle des «vainqueurs», attribue tout le mérite du mouvement indépendantiste au Maroc à 66 signataires, représentants d'une élite économique et financière bien plus que politique ou «tribale», le travail de mémoire exige et impose de replonger dans les vieux papiers d'un Maroc que nous, génération nouvelle, n'avons pas connu. Je pars de la certitude et de l'intime conviction qu'on ne peut avancer, progresser, aller de l'avant sans connaître parfaitement son passé, aussi complexe et parfois aussi sombre soit il. Il y a donc cette exigence de vérité qui nous habite, et ce devoir de réhabiliter ces militants oubliés de l'Histoire. Le travail de mémoire doit permettre de donner une voix post-mortem à ces «sans voix de l'Histoire» et de revaloriser ses tombes anonymes de nationalistes à travers les régions du Royaume. Le travail de mémoire doit se faire pour que plus jamais nous ne puissions oublier ceux qui ont donné leurs vies pour l'unique chose qui nous dépasse tous, l'amour du Maroc. 1931, les premiers pas vers l'indépendance Les pourparlers en faveur de l'Indépendance du Maroc ont commencé bien avant la naissance du Manifeste de l'Istiqlal. En effet, selon une enquête du très pertinent magazine marocain d'Histoire «Zamane» dans son édition de Janvier 2013, les premières discussions allant dans le sens de l'indépendance dateraient de 1931 et seraient l'œuvre de militants nationalistes du «Nord» du Maroc. Une preuve de plus pouvant participer à la réhabilitation de cette région du pays qui a trop souffert de l'exclusion et de la marginalisation de la part de l' «élite» intellectuelle marocaine. Dans un article de Zamane intitulé «Les Manifestes de l'Indépendance», l'historien marocain Mostafa Bouaziz nous informe de l'existence d'un journal communiste français portant le nom «Maroc Rouge» et qui contenait dans sa première édition son propre «Manifeste de l'Indépendance». Ce numéro fut publié et distribué le 1er février 1935. Il est malheureux de voir que la mouvance socialiste marocaine semble avoir délaissé ce document capital, et c'est là une partie de l'histoire interne de ce mouvement idéologique et politique qui disparaît par faute de travail de mémoire. Une année avant la publication du désormais très célèbre Manifeste de l'Istiqlal, un autre document réclamant l'Indépendance du Maroc daté du 14 février 1943, telle une déclaration d'amour au Maroc libre, fut signé par des «patriotes du Nord». Bien sûr, je ne pourrais me permettre de dénigrer ici l'effort des signataires du Manifeste du 11 janvier 1944, leurs contributions au processus d'indépendance du Maroc sont indéniables et tout à fait estimables. Cependant, ils n'en étaient pas les pionniers, les avant-gardistes, les précurseurs. Il est parfois bon de rappeler que l'indépendance du Maroc n'est pas et ne saurait être l'œuvre d'une élite, de nantis et de bourgeois. C'est un soulèvement populaire, un effort national, une œuvre collective. La richesse du mouvement nationaliste marocain se trouve dans la diversité des composantes et des acteurs qui le formaient. Une diversité qui trouvait son unité dans son espoir et dans sa confiance en l'Institution Monarchique, personnifiée alors en la personne du sultan Sidi Mohammed Ben Youssef, véritable père de la Nation. Une Nation que les indépendantistes voulaient absolument libre, sans concessions. La Monarchie était donc le socle commun qui rassemblait des militantes et des militants dans leur grande diversité à la fois politique, régionale, socio-culturelle, économique et socio-professionnelle. A chaque époque ses hommes et ses femmes…» Il n'est pas inutile de rappeler également que la Jeunesse fut la composante de la société la plus active et la plus engagée dans le processus indépendantiste. Une jeunesse qui a vu sous ses yeux, dans l'impuissance la plus totale, le colon s'installer et prendre ses aises sur ses propres terres. Une jeunesse à qui on a volé son innocence, son insouciance. Sa réaction ne fut pas l'indifférence, elle ne fut pas le «rejet du Maroc» au profit des normes et des codes occidentaux. Elle fit le choix résolu de l'engagement et du militantisme, elle fit le choix d'œuvrer pour réaliser le rêve d'un Maroc libre, prospère et indépendant. Cette jeunesse trouva écho auprès d'un Sultan tout aussi jeune, tout aussi militant, et c'est sous sa direction et son leadership que le Mouvement nationaliste, dans sa grande pluralité, vit le jour et se développa. Etrange parallèle que nous offre ici l'Histoire. Plus d'un siècle après, c'est cette même Jeunesse marocaine qui est appelé par Sa Majesté le Roi Mohammed VI à accomplir la démocratisation et le développement du Maroc. Cette jeunesse, qui a grandi dans le culte du mouvement nationaliste, doit relever le défi de la démocratie et de ses enjeux. Elle doit être porteuse d'un esprit nouveau, d'un élan citoyen, et devra rallumer la flamme patriotique. Il ne faut surtout pas oublier les paroles de notre Monarque : «A chaque époque ses hommes et ses femmes…»