Un jugement en référé du tribunal administratif de Lille a débouté, lundi dernier, l'association Averroès de sa demande de rétablir le contrat qui lie le lycée éponyme et le ministère de l'Education nationale en France. L'un des trois avocats du gestionnaire de cet établissement musulman privé en contrat avec l'Etat, Me Paul Jablonski, est revenu sur le sujet, dans le cadre de l'émission Faites entrer l'invité, spéciale Marocains du monde. Comparés aux lycées catholiques et juifs, les lycées musulmans en France sont peu nombreux. Leur création commence dans les années 2000, en réponse notamment à l'interdiction du port du voile à l'école. Peu nombreux, mais très contrôlés, certains de ces établissements sont aujourd'hui dans le viseur de l'Etat, qui leur reproche des écarts vis-à-vis des valeurs de la république. L'affaire la plus médiatisée est sans conteste celle du premier lycée d'excellence musulman, Averroès à Lille, qui a des taux de réussite au BAC proches de 100%. C'est en 2003 que le Conseil supérieur de l'Education nationale a délivré l'autorisation d'ouverture du premier lycée musulman de France métropolitaine. En octobre 2019, le président du conseil régional des Hauts-de-France, Xavier Bertrand, a décidé de suspendre les subventions destinées au lycée Averroès, à la suite d'un audit de l'Education nationale. Les contrôles seront fréquents, dans un climat politique tendu autour de la place de l'islam en France. Tout récemment, en décembre 2023, le préfet de Lille a mis fin au contrat d'association qui lie le lycée et le ministère de tutelle depuis 2008. Lundi 12 février 2024, la justice administrative de Lille a enfin rejeté en référé un recours contre cette décision. Le lycée qui compte 400 élèves a annoncé saisir le Conseil d'Etat, en espérant obtenir gain de cause. Mais en cas de maintien de la décision administrative, le lycée Al-Kindi, près de Lyon, deviendrait le seul lycée musulman de France sous contrat avec l'Etat. Pour revenir sur le sujet, l'avocat au barreau de Lille et membre de la défense de l'association Averroès, gestionnaire de l'établissement éponyme, Me Paul Jablonski, a été ce mercredi l'invité de l'émission Faites entrer l'invité, spéciale Marocains du monde sur Radio 2M, en partenariat avec Yabiladi. Réagissant sur ce récent jugement provisoire, Me Jablonski a souligné qu'une procédure de fond suivrait, pour débattre de l'ensemble des arguments retenus. En attendant, il s'est dit «extrêmement déçu», face à une décision «incompréhensible et inacceptable, parce qu'elle retient des arguments du préfet qui ne reposent pas sur des éléments de preuves tangibles». «Or, nous avions tant bien que mal essayé de produire des attestations et de fournir des témoignages, établissant que les passages d'un ouvrage qu'il a été reproché [au lycée] d'avoir étudié en cours ne l'ont en réalité jamais été. Il n'y a pas de caméras ou d'enregistrements en classe ; vous imaginez bien qu'il est difficile de prouver, si ce n'est par des témoignages, que ces passages-là n'ont jamais été étudiés.» Me Paul Jablonski La longue liste des griefs à l'encontre du lycées Averroès inclut les financements de l'association gestionnaire, des défauts de gestion administrative, des activités menées à titre personnel par des membres de l'association ou du personnel éducatif, entre autres. «Nous avons démonté tous ces points, un par un, si bien qu'aujourd'hui, la décision du juge des référés qui a rejeté notre demande de subvention ne retient que deux de ces points-là. Cela veut dire que tous les autres éléments soulevés par le préfet du Nord comme manquements graves n'étaient pas établis», souligne Me Paul Jablonski. France : La LDH rejoint les syndicats aux côtés du lycée musulman d'Averroès «Le lycée le plus contrôlé de France» Dans ce sens, Me Jablonski rappelle que «le lycée Averroès est le plus contrôlé de France». «Il y a eu des contrôles des services des finances publiques, de l'Inspection générale de l'enseignement, du sport et de la recherche – laquelle a rendu récemment un rapport critique sur le collège Stanislas. Il y a eu un contrôle des inspections académiques, du rectorat de l'Académie de Lille, mais aussi un contrôle sur la gestion des finances de l'association», indique-t-il. C'est à ce titre qu'il a précédemment été demandé au lycée Averroès de communiquer le programme du court d'éthique musulmane, «qui est optionnel et sans notation». La mention bibliographique d'un commentaire y a été épinglée, «mais le problème n'a jamais existé, puisque les témoignages ont établi que ce livre n'était pas étudié par les élèves, encore moins les passages qui pourraient être perçus comme problématiques», soutient Me Paul Jablonski. «Quand bien même des textes tendancieux pourraient être étudiés, c'est avec l'idée d'avoir un esprit critique et de savoir que quelle est la version conforme aux valeurs de la république qu'il faut adopter», a-t-il ajouté. Autre reproche formulée par le préfet mais non retenue dans le jugement en référé : un financement étranger de la part de l'ONG Qatar Charity, en date de l'année 2014. «Ce fond a permis d'acheter l'un des bâtiments qui sert à accueillir les élèves. Il a toujours figuré dans la comptabilité de l'établissement, qui ne s'en est jamais caché. Simplement, en 2019, l'ouvrage 'Qatar Papers' a sous-entendu qu'on aurait reçu plus qu'un million d'euros, contrairement à ce que retiennent tous les rapports de contrôle sur le financement étranger», souligne l'avocat du lycée. C'est sur la base de ces éléments que Xavier Bertrand a décidé, la même année, de suspendre les subventions destinées à l'établissement. A ce propos, Me Jablonski rappelle qu'à partir de 2029, la participation obligatoire de la région pour le financement des lycées en contrat avec l'Etat a été refusée chaque année à Averroès, puis reversée sur décision de la justice. Des réactions à géométrie variable Alors que le lycée est réputé être d'excellence, le climat politique sur la place de l'islam en France laisserait penser que cet acharnement administratif se nourrirait de plusieurs éléments, tels que les liens réels ou supposés avec des organisations proches des Frères musulmans. L'avocat prend ses distances par rapport à ces approximations, mais il s'interroge sur la notion de contrôle des établissements religieux privés. «En tant qu'avocat, je ne peux pas faire de procès d'intention. Mais factuellement, cette révélation de 'Qatar Papers' a fait changer le regard sur l'établissement en suscitant de fortes réactions», souligne Paul Jablonski. Dans le même registre, il évoque «une bonne entente entre l'ancien préfet et le président de la région sur ce sujet». C'est dans ce contexte-là que la préfecture a décidé de résilier le contrat, une mesure qui donnerait «l'impression» d'être «dans la continuité des prises de positions antérieures» au niveau de la région, selon l'avocat. Le lycée Averroès n'est d'ailleurs pas le seul concerné par ce tour de vis administratif, comme en témoigne le cas de l'établissement musulman de Valence. Questionné par ailleurs sur le deux-poids, deux-mesures que montrent les réactions contrastées face aux révélations concernant le collège catholique Stanislas, Me Paul Jablonski tient à rappeler que «ce dont est victime le lycée Averroès est une injustice, parce qu'on lui reproche des choses qui ne correspondent pas à la réalité». Se référant aux rapports de l'Inspection générale de l'enseignement, du sport et de la recherche de 2020, l'avocat rappelle que celui relatif à Averroès a été excellent et a marqué «l'adhésion de la communauté éducative aux valeurs de la république», tandis que celui relatif au collège Stanislas a été critique. «L'établissement en question a le droit de s'en défendre, mais il est étonnant de voir qu'il y existe une volonté de nuire au lycée Averroès, alors que les rapports sont positifs. Nous allons voir ce qui se passera avec le cas du collège Stanislas car il y aura peut-être des mesures, mais je n'ai pas encore entendu parler de volonté politique à cet égard-là», souligne Me Jablonski.