Décrivant son nouveau retour au Festival international du film de Marrakech comme un moment spécial où elle retrouve les siens, l'actrice et productrice écossaise Tilda Swinton est présente à ce 20e FIFM (du 24 novembre au 2 décembre 2023), en tant que présidente du jury en 2019, hommagée en 2022 et intervenante dans le cadre des cycles de rencontres «In conversation with…» cette année. Dans cette édition anniversaire, «la David Bowie du cinéma» est revenue sur quelques temps forts de ses 37 ans de grand écran. Plus de 86 rôles aussi différents les uns que les autres, 37 ans d'interprétation devant la caméra et autant d'années à marquer le cinéma de la manière la plus singulière, serait peu dire pour décrire la carrière artistique surhumaine de Tilda Swinton. Présidente du jury du Festival international du film de Marrakech (FIFM) en 2019, hommagée en 2022, la productrice et actrice écossaise se dit enchantée de revenir pour la troisième fois dans le cadre de cette grand-messe cinématographique, qui souffle sobrement sa vingtième bougie. Sa présence à cette édition anniversaire, Tilda Swinton la vit, comme l'année dernière, sur le ton d'un «retour à la maison». Affectueusement surnommé «la David Bowie du cinéma» par le réalisateur suédois Ruben Östlund, Tilda Swinton est intervenue, au FIFM 2023, dans le cadre des cycles de rencontres «In conversation with…». A l'issue de cette session matinale au festival, l'actrice a rappelé que depuis sa première venue, en tant que présidente du jury, elle a gardé le souvenir de films révélations. «Je sais que c'est le cas aujourd'hui encore, pour le jury de cette année. Il y a quelque chose dans la gamme de films que le FIFM parvient à capter, d'une manière que d'autres festivals de cinéma ne font pas si souvent», a-t-elle déclaré. «Etre au Maroc, donc en Afrique, et ressentir cette envergure, est vraiment inspirant», a souligné l'artiste. «Ici, le public est vraiment passionné de cinéma, très instruit autour du septième art et constamment en quête de 'nouveau cinéma'. C'est toujours une chose merveilleuse, pour nous cinéastes, de venir dialoguer avec un tel public. C'est vraiment et profondément inspirant. Etre dans un festival comme le FIFM nous pousse toujours à évoluer. Vous venez, vous voyez les films des autres, puis vous avancez avec de nouvelles idées.» Tilda Swinton Un attachement à la mémoire des lieux Dans la cité ocre, l'actrice écossaise est aussi «captivée par l'architecture des habitations» et inspirée par l'expérience humaine d'un tel séjour. Car avant même de rejoindre le cercle des artistes familiers du FIFM, Tilda Swinton s'est longtemps attachée à des lieux auxquels elle trouve une âme, de la vie et de l'inspiration transcendante, le tout s'articulant autour du cinéma et de l'écriture. Ainsi, elle confie à notre rédaction qu'elle conserve un souvenir particulier d'une ville comme Tanger, où elle s'est rendue lors de sa première venue au Maroc, pour le tournage du film «Only Lovers Left Alive» de Jim Jarmush. «J'ai de si beaux souvenirs à Tanger. L'une des choses que je garde de mon expérience là-bas, c'est que nous avons tourné entièrement de nuit. J'ai donc en mémoire peu d'images de Tanger sous la lumière du jour. Mon fils était avec moi. Nous passions toute la nuit à parcourir les rues de la ville. On y ressent vraiment l'esprit de Paul Bowles et de tous les autres auteurs passés par là. Ils sont tous là-bas et on le ressent partout.» Tilda Swinton Chef-lieu des grands noms de la Beat Generation, de la littérature et de la poésie anglo-saxonne qui en ont été influencés durant la seconde moitié du XXe siècle, la cité septentrionale marocaine a longtemps été elle-même un plateau de tournage à ciel ouvert, après avoir inspiré de nombreux artistes peintres, comme Henri Matisse. Ses rues, ses remparts, sa kasbah, son centre historique, ses grandes places lumineuses et les murs de ses bâtiments légendaires ont été le point de chute de nombreux réalisateurs internationaux. FIFM 2022 : Tilda Swinton «enchantée» par son retour qui célèbre le cinéma comme à la maison Pour Tilda Swinton, «il existe d'autres endroits comme celui-ci, mais Tanger a vraiment quelque chose d'unique et de particulier», d'autant qu'on a «l'impression que tout y est resté inchangé». «Je ne pourrais le savoir, puisque je n'étais pas là dans les années soixante… Toujours est-il qu'une fois là-bas, on a vraiment l'impression que cette période a encore une sorte de résonance matérielle là où l'on va : dans les lieux, les espaces et l'atmosphère», a souligné l'actrice. Tilda Swinton et Tom Hiddleston sur le tournage du film Only Lovers Left Alive à Tanger L'authenticité et l'improvisation en tant que jeu d'acteur De «Caravaggio», réalisé par Derek Jarman en 1986, à «The Killer» de David Fincher où elle a été à l'affiche en 2022, en passant par «We need to talk about Kevin» de Lynne Ramsay (2011) et «The Human Voice» de Pedro Almodóvar (2020), sans oublier «Only Lovers Left Alive» de Jim Jarmush (2012), Tilda Swinton a multiplié les rôles, des plus dramatiques aux plus extravagants, tous incarnés avec un naturel déconcertant. Pour cause, elle prône et assume son caractère authentique, qu'elle préfère au principe de «jouer un rôle». C'est surtout dans «The Eternal Daughter» de Joanna Hogg (2023) qu'elle aura retrouvé l'interprétation qui lui ressemble le plus. Disant avoir atteint un point de sa carrière où elle arrive à voir la plus jeune actrice qu'elle a été à ses débuts, ainsi que ce qu'elle est devenue au cours de ces trente dernières années, elle déclare à Yabiladi que ce double-rôle dans le dernier film de Hogg reflète bien la phase qu'elle traverse aujourd'hui, sur le plan cinématographique. Tilda Swinton lors de l'hommage qui lui a été rendu, en clôture du FIFM 2022 / Ph. FIFM L'opus raconte l'histoire de Julie, accompagnée de sa mère âgée, les deux incarnées par Tilda Swinton. Elles prennent quelques jours de repos dans un hôtel dans la campagne anglaise, où la jeune femme, réalisatrice, espère trouver de l'inspiration. Sa mère, elle, y trouve l'occasion de redonner vie à de lointains souvenirs. La nuit tombée, Julie explore les lieux, avec l'impression qu'un secret hante les murs. «C'est vraiment un sentiment extraordinaire et puissant. Après avoir travaillé pendant plus de trente ans, je suis dans un film très proche des premiers que j'ai faits. Certains peuvent voir cela comme le fait que je n'aurais pas évolué. Mais moi, je le vois plutôt comme une très bonne chose, car j'ai fait mes débuts dans un niveau très puissant et je me sens bien de renouer avec cette phase-là. Il s'agit d'autobiographie, de travail sur des relations extrêmement étroites. Il s'agit d'improviser, ce qui fait appel à mes capacités. J'y suis authentique et détendue.» Tilda Swinton L'actrice estime, d'ailleurs, qu'«il ne s'agit pas d'interpréter quoi que ce soit de quelqu'un d'autre». C'est une autre raison pour laquelle elle dit se sentir «gênée de [se] décrire comme une actrice», parce que l'interprétation n'est pas la partie qui l'«intéresse vraiment». Pour autant, Tilda Swinton a aimé tous les personnages que les réalisateurs lui ont attribués, au point où elle a précédemment indiqué à Yabiladi qu'il lui serait difficile de définir les contours ce qu'elle pourrait considérer comme le ou les personnages coup de cœur de son parcours époustouflant. «Il ne m'est pas facile de choisir, c'est comme si l'on demandait à une maman de désigner son préféré parmi ses enfants», s'est-elle exclamée avec amusement auprès de notre rédaction, l'année dernière, peu avant d'être distinguée de l'Etoile d'or du FIFM pour l'ensemble de sa carrière. Avec le recul des années par rapport à ses multiples rôles portés à l'écran, Tilda Swinton réalise être plutôt intéressée par incarner les transformations qui bouleversent des vies «constamment au bord du précipice».