Tout en maintenant des relations «équilibrées» entre les pays de l'Afrique du Nord et une «neutralité» sur le conflit du Sahara, l'Inde a renforcé aussi ses liens économiques avec la région, indique un Policy Paper du PCNS. Au cours des deux dernières décennies, l'Inde a renforcé sa présence et ses liens économiques et a étendu son influence géopolitique en Afrique du Nord. Grâce à des initiatives multiformes englobant la politique, l'économie et la culture, le pays asiatique s'est discrètement imposé comme un acteur extérieur de premier plan, bien qu'il ne dispose pas d'une politique régionale distincte. Dans un Policy Paper du Policy Center for the New South (PCNS), les chercheurs Abdessalam Jaldi et Hamza Mjahed se sont ainsi intéressés à la question, en explorant «l'influence politique et économique de l'Inde dans la région» et notamment au Maroc. Ils ont rappelé que la conférence de Bandung de 1955 a «marqué un tournant dans l'engagement de l'Inde en Afrique du Nord, en réunissant des dignitaires, dont le Premier ministre indien Jawaharlal Nehru, et des délégués de diverses nations nord-africaines, dont le parti de l'Istiqlal au Maroc, le Front de libération nationale en Algérie et le parti du Néo Destour en Tunisie, cimentant ainsi l'évolution des relations de l'Inde avec ces nations». Les deux chercheurs notent que la politique de l'Inde dans la région avait initialement défini deux objectifs principaux : «Déterminer le statut futur des communautés ethniques indiennes résidant en Afrique du Nord» et «soutenir les mouvements de libération anticoloniaux». Cependant, «malgré l'existence d'opportunités d'engagement économique, l'Inde s'est abstenue de poursuivre de tels intérêts en Afrique du Nord jusqu'à la fin de l'ère froide» et «au lieu de cela, elle a fourni une aide diplomatique et financière aux pays nord-africains nouvellement indépendants dans le cadre de son objectif global de politique étrangère». Un aspect essentiel de cette stratégie était la promotion de la coopération Sud-Sud, qui a été facilitée par la création du programme indien de coopération technique et économique en 1964, qui est toujours opérationnel. Relations «équilibrées» et «neutralité» sur le conflit du Sahara Suite à des dynamiques politiques et économiques, New Delhi a réévalué sa stratégie nord-africaine, faisant de la région une priorité diplomatique permanente de sa politique étrangère, ajoutent les deux chercheurs. Ceux-ci notent qu'en raison de la position géostratégique «cruciale» des Etats d'Afrique du Nord, qui sont des portes d'accès à l'Afrique subsaharienne, à la Méditerranée et à l'Europe, l'Inde a favorisé des relations «équilibrées» avec l'Afrique du Nord. Cela est d'ailleurs démontré par «sa position neutre sur le conflit régional du Sahara», poursuit le Policy Paper, qui explique que l'Inde évite ainsi de «mettre en péril ses partenariats avec le Maroc et l'Algérie». Avec le Maroc, l'Inde a «manifesté un soutien actif au mouvement indépendantiste aux Nations unies et a accordé une reconnaissance immédiate au pays lors de son accession à l'indépendance en 1956». Le partenariat entre les deux nations a surtout pris un élan notable depuis l'accession au trône du roi Mohamed VI, poursuivent les deux chercheurs, rappelant la rencontre entre le souverain et le premier ministre indien Narendra Modi en 2015 ayant «permis d'élever les relations diplomatiques au niveau de partenariat stratégique». Depuis, «pas moins de 23 visites de ministres dans les deux sens», ont eu lieu et ont été marquées par la signature de plus de 40 accords et mémorandums d'entente en matière de lutte contre le terrorisme, de cybersécurité, d'agriculture et de formation professionnelle. La même source rappelle que récemment, le Maroc a diversifié ses achats militaires en nouant des liens plus étroits avec le marché indien. D'ailleurs, le fabricant indien TATA Advanced Systems a fourni des camions de transport militaire tactique, LPTA-715, à l'armée marocaine en 2022, ainsi que 90 camions de transport tactique Tata LPTA 2445 6x6. Les deux pays ont également organisé des exercices militaires conjoints en 2021. Un potentiel inexploité des relations commerciales Les rapports politiques entre les deux pays sont également soutenus par des liens économiques. Les deux chercheurs indiquent que «l'engagement économique de l'Inde avec le Maroc a augmenté régulièrement au cours des dernières années». «Le renforcement des consultations politiques à la fin des années 1990 a fourni un cadre pour une coopération économique plus forte, conduisant à l'amélioration des relations commerciales et à l'établissement de plus de 20 entreprises indiennes au Maroc. Les échanges commerciaux entre l'Inde et le royaume ont augmenté de manière significative, le commerce bilatéral atteignant plus de 3,9 milliards de dollars en 2022, soit une augmentation substantielle par rapport aux 907 millions de dollars de 2016.» Extrait du Policy Paper Une croissance des échanges commerciaux «tirée par les importations indiennes d'engrais phosphatés en provenance du Maroc, qui ont constitué le premier produit importé d'Afrique du Nord en 2022», rappellent les deux chercheurs qui soulignent que «les exportations de l'Inde vers le Maroc se sont diversifiées pour inclure divers produits tels que les textiles, les véhicules, les produits pharmaceutiques et les machines». «L'établissement de coentreprises et des opportunités d'investissement dans divers secteurs, notamment les énergies renouvelables, le tourisme et l'agriculture, donne un nouvel élan à la coopération entre l'Inde et le Maroc», ajoute le Policy Paper. Les deux chercheurs estiment cependant que bien que «les relations commerciales entre l'Inde et les Etats d'Afrique du Nord revêtent une importance considérable pour les parties, il existe un potentiel inexploité pour explorer de nouvelles voies afin de renforcer la coopération». «La guerre en cours en Ukraine offre à l'Inde la possibilité de tirer parti de sa présence actuelle en investissant dans les énergies renouvelables et les chaînes d'approvisionnement alimentaire, tout en s'orientant vers des partenariats économiques durables et respectueux de l'environnement afin de contrer et d'atténuer les effets du changement climatique. Compte tenu de la nature urgente de ces défis, l'Inde et les Etats d'Afrique du Nord devraient envisager d'intensifier leur collaboration», concluent-ils.