Né à Casablanca, Youssef Douh El Idrissi a quitté le Maroc pour rejoindre ses parents en France, à l'âge de 13 ans. Depuis, il s'est juré de retourner au pays avant l'âge de la retraite, pour mieux profiter de la mère patrie qui lui tient toujours à cœur, tout en pouvant se rendre utile au tissu économique local. Vivant désormais entre ses deux pays, il cherche à ancrer son activité dans le royaume. Natif de Casablanca en 1971, Youssef Douh El Idrissi a grandi dans l'ancien quartier de Sidi Maârouf, jusqu'à l'âge de 13 ans. «Je me suis rendu en France avec ma mère à l'âge de cinq ans, une première fois, puis à 13 ans pour y vivre durablement. Entre ces deux dates, j'ai été plus éduqué par ma grand-mère maternelle avec qui j'ai passé la majeure partie de mon enfance casablancaise ; c'étaient les meilleurs moments de ma vie», se souvient-il. Ayant quitté le pays pratiquement à contrecœur, l'entrepreneur a gravi les échelons du monde de l'entrepreneuriat en France, mais s'est «toujours juré» de ne pas finir sa vie professionnelle ailleurs que dans la mère patrie, confie-t-il à Yabiladi. «Devoir partir en France n'a pas été un choix pour moi. Adolescent, j'avais mis les mains et les pieds pour ne pas émigrer. Quand je suis arrivé en France, à Grigny, j'ai foulé un sol où il y avait un mètre vingt de neige, ce qui était pire encore !», se rappelle-t-il aujourd'hui, sur le ton de l'anecdote. Mais dans le temps, «le sentiment de dépaysement pour un jeune était dur à gérer, loin des repères habituels et des amis de l'école ou du quartier». «En France, il m'était difficile de me faire des amis tout de suite et ce n'était pas évident d'avoir les nouveaux codes du pays. Il fallait se frayer un chemin pour chaque chose, pour chaque réalisation. De plus, je m'ennuyais beaucoup à l'école», nous dit Youssef Douh, désormais à la tête de son entreprise de transport ULS, en région parisienne. Amoureux de l'aéronautique, l'entrepreneur continue ses études au lycée professionnel, où il se spécialise en chaudronnerie aéronautique, jusqu'à décrocher un BEP. Mais avant cela, il aura déjà goûté au travail. «J'ai commencé à travailler à 16 ans déjà, pendant les vacances d'été, après avoir trouvé une opportunité dans une entreprise de nettoyage des immeubles d'une cité, dans le département de l'Essonne», se rappelle-t-il. Tout de suite après son BEP, il décide de se consacrer à son évolution professionnelle, dès ses 17 ans. «Je n'ai jamais exercé un métier lié à mon diplôme. Me perfectionner dans l'aviation demandait du temps et de l'argent, alors que la priorité à ce moment-là était de subvenir aux besoins du foyer familial», nous déclare Youssef Douh, qui commence à avoir son indépendance à partir de 20 ans. Il travaille pour IBM dans le traitement des composantes électroniques et la fabrication de semi-conducteurs. «J'ai pu avoir mon appartement rapidement et mettre de côté quelques économies. Grâce à cela, j'ai pu me consacrer suffisamment pour ma licence de pilote d'avion que j'ai obtenue avec mention. J'en ai été très heureux», se félicite-t-il. Du transport régional aux prestations partout en Europe A l'âge de 23 ans, Youssef Douh arrive à démarrer sa propre activité économique. «J'ai dû faire un emprunt à la banque, malgré mes économies, mais cela m'a permis de m'acheter ma première camionnette et un téléphone portable. En 1995, j'ai ainsi commencé mon activité de transporteur, d'abord au niveau régional. Rapidement, j'ai été appelé un peu partout en France. Même en travaillant seul pour ma propre entreprise, j'ai pratiquement sillonné toute l'Europe, en faisant des livraisons jusqu'en Russie. Mon entreprise a grandi petit à petit et aujourd'hui, elle compte 240 employés en région parisienne, avec une flotte de plus de 80 véhicules», se félicite l'entrepreneur. «Je pense que dans la moitié des années 1990, je suis arrivé au bon moment dans le secteur. J'ai rencontré les bonnes personnes qui m'ont fait confiance et m'ont donné ma chance. A chaque fois qu'une nouvelle opportunité s'offre, on a peur de franchir le pas, mais une fois que l'on passe outre les incertitudes, on est satisfait et on se dit que les choses ne sont pas aussi compliquées qu'on l'imagine. A chaque nouveau contrat, je saisissais l'opportunité pour évoluer et une force divine me disait que je pouvais avancer sereinement.» Youssef Douh Pendant la crise sanitaire, Youssef Douh n'a pas mis son activité en berne. «Nous avons fait des livraisons gratuites les lieux de distribution de nourriture pour les Restos du cœur, pour les sans-abris et les étudiants qui avaient perdu leurs emplois et qui pouvaient se fournir auprès de certains points. A chaque fois que l'un de mes transporteurs n'avait pas de course, je le mobilisais dans le cadre de cette action qui fait partie de l'état d'esprit de l'entreprise», souligne l'entrepreneur. «Nous avons veillé aussi à ce que les rayons de denrées alimentaires, dans les différents commerces en France, soient toujours fournis, afin que la crise sanitaire ne donne pas lieu à une autre crise liée à la sécurité alimentaire», ajoute-t-il. Faire partie des facilitateurs au Maroc pour les autres Marocains du monde Professionnel du transport, Youssef Douh a pensé également à diversifier ses activités et ses sources de revenu. Ainsi, il a investi dans la restauration pendant plusieurs années, avant de mettre ses deux locaux à la location pour une chaîne internationale en région parisienne. «J'ai ouvert initialement mes deux enseignes, avec un concept de restaurant traditionnel halal sans vente d'alcool. Avec 190 couverts, on a pu recevoir beaucoup de clients pendant longtemps, dans un cadre agréable pour les familles comme pour les amis. En effet, l'idée a été de proposer des espaces de sortie pour la communauté maghrébine de la région où je me trouvais», indique-t-il. A l'époque, les offres sur cette zone sont très imitées et pour sortir en fin de journée, beaucoup de femmes doivent se rendre jusqu'à Paris, puis revenir tard le soir, avec une multiplication de risques d'insécurité en cours de chemin. «Ces deux enseignes ont eu leur succès. D'ailleurs, 80% de notre clientèle s'est constituée de femmes», se félicite l'entrepreneur. Cependant, Youssef Douh abandonne le concept et met ses locaux à la location, n'étant plus souvent sur place. «Depuis le début, je m'étais juré qu'à la fin de ma quarantaine, j'allais envisager de me réinstaller au Maroc. Je ne m'imaginais pas continuer à travailler en France jusqu'à ma retraite, pour revenir ensuite profiter du pays, alors qu'il me resterait peu à vivre», nous confie-t-il. En envisageant un retour alors qu'il est toujours en activité, il cherche à joindre l'utile à l'agréable. «Je retrouve la mère patrie, je peux créer ou prendre part à des opportunités d'investissement, dans le cadre de la création d'activités génératrices d'emploi pour construire pour le pays et pour sa jeunesse, tout en ayant cette possibilité d'être à cheval entre le Maroc et la France, où je continue à gérer mon entreprise.» Youssef Douh A ce titre, Youssef Douh a récemment créé le Réseau des compétences des immigrés du Maroc (RCIM). Domiciliée à Marrakech, cette association ambitionne d'être un point d'information pour faciliter les synergies au niveau territorial, afin de créer le pont avec les investisseurs venus de l'étranger et désireux de lancer des activités sur le plan régional. Maroc : Vers un renforcement de la contribution des MRE au développement des régions «Lorsque nos Marocains du monde se rendent au pays, beaucoup viennent à Marrakech, d'abord pour se détendre. Lors de ce séjour, ils ne sont pas en immersion directe dans l'écosystème de l'économie et de l'investissement. L'idée est ainsi que ce soit nous qui allons vers eux, pour les inciter à lancer des activités ici, en les informant sur les possibilités disponibles, les attentes et les opportunités, mais aussi les acteurs locaux, régionaux, économique et institutionnels avec qui on peut construire ensemble», explique Youssef Douh. Depuis janvier dernier, Youssef Douh est également co-fondateur du label «Origine Maroc Garantie». Grâce à cette labellisation, le chef d'entreprise ambitionne de valoriser la production marocaine à l'échelle nationale et mondiale, pour en faire un catalyseur de la création de l'emploi dans le pays