Le Maroc a exceptionnellement accepté de «réadmettre», mardi, sur son territoire les 83 Subsahariens qui ont atteint l'îlot Sfiha, sous souveraineté espagnole. Un geste en parfaite contradiction avec son discours habituel : le Maroc se targue de refuser l'accord de réadmission que l'UE veut à tout prix lui imposer. A la faveur de cette concession marocaine, on découvre que le Maroc a déjà signé ce même accord de réadmission, il y a 20 ans, avec l'Espagne. «C'est un geste extraordinairement généreux. […] C'est la première fois dans l'histoire.» Le ministre espagnol des Affaires extérieures et de la Coopération, José Manuel García-Margallo, dans un entretien avec Europapress, aujourd'hui, mardi 6 septembre, ne sait plus quel mot employer pour remercier le Maroc d'avoir accepté de recevoir les 83 migrants subsahariens réfugiés sur l'îlot Sfiha, lundi. Le ministre souligne ainsi un détail capital, passé inaperçu dans l'agitation des presses marocaines et espagnoles : en recevant ces migrants, le Maroc a accepté ce qu'il se targue précisément de refuser : l'accord de réadmission que veut lui imposer l'UE. Le ministre marocain des Affaires étrangères et de la Coopération Salaheddine el Othmani, avait renouvelé son refus de signer cet accord, mardi 27 juillet, devant la Chambre des conseillers : «sur la question migratoire, le Maroc refuse de jouer le rôle de gendarme de l'Europe, et c'est la raison pour laquelle nous avons décidé de ne pas signer l'accord relatif à la circulation des personnes.» Concrètement, le Maroc refuse d'accueillir sur son sol les Subsahariens en situation irrégulière dans l'Union Européenne qui seraient passés sur son territoire pour atteindre illégalement l'Europe. Or c'est précisément ce qui s'est passé, en début de semaine. Accord de réadmission signé en 1992 Et pour cause, cet accord existe et a déjà été signé, en 1992, avec l'Espagne. Dans l'article 1 de l'accord, il est écrit : «Les autorités frontalières de l'Etat requis [le Maroc, ndlr] réadmettra sur son territoire, à la demande des autorités frontalières officielles de l'Etat requérant [l'Espagne, ndlr], les ressortissants de pays tiers qui ont pénétré illégalement sur le territoire de celle-ci à partir de l'état requis». Malgré l'existence de cet accord depuis 20 ans, cette disposition n'est quasiment jamais utilisée. Du moins son utilisation, entre les deux pays, est restée confidentielle. «Le Maroc a déjà accepté de récupérer des migrants subsahariens qui étaient passés à Melilia, mais cela se faisait de nuit, incognito, dans la zone de no man's land, très loin des caméras», explique Mehdi Alioua, enseignant chercheur en migration à l'Université internationale de Rabat. Ces expulsions ont donc pu être, par le passé, rendues légales, en vertu de cet accord. Des expulsions qui restent très rares, puisqu'en moyenne, les migrants subsahariens qui franchissent les frontières de fer des deux enclaves espagnoles ne sont pas renvoyés au Maroc. La clause de provenance, l'excuse marocaine Selon El Pais, l'élément qui permet au Maroc de refuser habituellement les réadmissions se situe à l'article 2, de l'accord de 1992 : «La réadmission s'effectuera, s'il est prouvé, par un quelconque moyen, que les étrangers dont on [l'Espagne, ndlr] demande la réadmission, proviennent effectivement du territoire du pays requis [le Maroc, ndlr]». La même clause de provenance, qui est également présente dans l'accord de réadmission général que l'Union européenne veut faire signer au Maroc, permet au Maroc de refuser mordicus de le signer. «Ce qui bloque ce sont les migrants que l'Europe voudraient renvoyer au Maroc mais pour lesquels il n'y a pas de preuve qu'ils sont passés par le Maroc», explique Mehdi Lahlou, enseignant-chercheur à l'Institut National de Statistique et d'Economie Appliquée de Rabat et spécialiste des migrations. Une excuse de la part du Maroc, qui ne veut pas de cet accord. Pourtant, cette clause de provenance ne tient pas longtemps à l'exercice de la réalité : les Subsahariens qui franchissent les frontières de Melilia et de Sebta, partent évidemment du Maroc. Il est donc étrange que l'Espagne n'ait pas déjà tenté d'utiliser l'accord de 1992 qui est, lui, contrairement à celui de l'UE, bel et bien en vigueur, pour renvoyer au Maroc les Subsahariens parvenus illégalement dans les deux enclaves. L'utilisation de cette clause de provenance par le Maroc pour refuser les réadmissions est manifestement l'objet de négociations politiques entre les autorités marocaines et espagnoles qui dépendent des circonstances. Des sources, selon El Pais, ont souligné dans l'affaire de l'îlot Sfiha, l'intervention du roi Mohamed VI, lui-même. Le Maroc, en somme, fait jouer cette clause la majeure partie du temps en dépit de son manque de réalisme. Il faut une très bonne raison, des circonstances exceptionnelles, pour que le Maroc accepte de ne pas l'opposer à l'Espagne lorsqu'elle veut lui imposer le renvoi de migrants. Un précédent ? Ce début de semaine était vraisemblablement le premier évènement médiatique et exceptionnel à pouvoir influencer le Maroc. «On peut être sûr qu'il y a eu une rétribution d'une manière ou d'une autre pour le Maroc», estime Mehdi Alioua. La pression, par l'Espagne, et par extension de l'Union européenne, a dû également être très forte sur le Maroc. Selon, El Pais, depuis le mois de mai, quatre navires ont accosté à Alborán, six à Chafarinas et trois sur les rochers d'Al Hoceima. Les premiers à avoir débarqué sur les iles des Chafarinas et d'Al Hoceima ont été transférés à Mélilia et à Almeria. S'ajoute la prise d'assaut très médiatique, cette fois, de l'îlot Badis, le 29 août, par des nationalistes marocains, aussitôt emmenés par le Garde civile espagnole, a pu donner des idées aux migrants subsahariens bloqués au Maroc. Avec le débarquement sur l'îlot Sfiha des 83 clandestins et sa médiatisation, l'Espagne a craint un effet boule de neige. La conciliance du Maroc vis-à-vis de l'Espagne devrait permettre de faire passer le message voulu aux Subsahariens candidats à la migration : ces îlots ne sont pas le graal pour entrer en Europe. Toutefois, elle pourrait aussi créer un précédent désagréable pour le Maroc. Dans la mesure où le Maroc a accepté au vu et au su de tous, bien que le plus discrètement possible, de réadmettre ces Subsahariens, pourra-t-il encore refuser avec la même vigueur de réadmettre tous les Subsahariens qui parviennent régulièrement à franchir la frontière des enclaves ? Ce que le Maroc a accepté pour Sfiha, pourra-t-il encore le refuser pour Sebta et Melilia ?