Le mouvement du féminisme marocain se structure intensément au cours des années 1940. Dans le contexte du Protectorat, l'émancipation est un double enjeu pour les femmes. Elles devaient s'affranchir de la domination coloniale, tout en bouleversant les fondements d'une société patriarcale. À l'aube de la Seconde guerre mondiale (1939 – 1945), les mouvements de libération des femmes se multiplient. Les espoirs d'un monde plus égalitaire se concrétisent et gagnent peu à peu le Maroc. De nature partisane, «Akhawat Assafâa» est le premier groupe féministe structuré du royaume. Né en 1946, il prend la forme d'une association affiliée au Parti démocratique de l'indépendance (PDI). L'essentiel de ses revendications concerne la scolarisation des filles, souvent manquée ou réduite aux études primaires. Si ce droit semble acquis de nos jours, du temps du Protectorat (1912 – 1956), la société a été réticente à cette avancée. Latifa El Bouhsini, écrivaine et chercheuse en Histoire du féminisme au Maroc affirme : «Cette époque-là est marquée par l'opposition exprimée par certains dignitaires et représentants de l'élite marocaine. Il y a eu surtout une résistance de la part de la population qui voyait d'un mauvais œil la sortie des filles en dehors du foyer.» La lutte par la formation des filles En réponse à cette hostilité, la mobilisation pour promouvoir l'intégration des filles dans le milieu scolaire naît de l'intérieur du mouvement de l'action nationale. Mais d'abord, la princesse Lalla Aïcha a incarné aux yeux du grand public un modèle de la libération féminine. En 1947, alors âgée de 17 ans, la fille du sultan Mohammed Ben Youssef a prononcé un discours à l'occasion de la fête des écoles des fillettes musulmanes de Tanger, dans lequel elle a invité la femme marocaine à participer à la vie nationale. Page 12 du n°33 du journal Démocratie du 19 août 1957 Dans le numéro n°33 du journal Démocratie du 19 août 1957, organe du Parti démocratique de l'indépendance, un article est consacré aux efforts de la monarchie en la matière : «S.M. le Sultan a donné un nouvel essor au mouvement d'émancipation de la femme. Des écoles furent créées dans les villes et dans les campagnes et S.A.R. la princesse lalla Aïcha a consacré une grande partie de ses activités à encourager et d'organiser l'éducation de la femme, l'instruction étant un des meilleurs moyens de la libération». Cet article est le compte rendu d'une conférence sur les droits des femmes, présidée par la princesse. Histoire : L'éducation, élément central de l'évolution de la place des femmes au Maroc Cette préoccupation monarchique doublée des efforts de l'association Akhawat Assafâa et de l'aile féminine du Parti de l'Istiqlal posent les premier jalon du féminisme marocain dans son sens moderne. Un des combats phares menée par les femmes membres de l'Istiqlal demeure l'ouverture de l'enseignement des sciences religieuses du cycle supérieur de la prestigieuse Université Al Qaraouiyyine aux femmes. Cet engagement est d'autant plus symbolique, vu que la fondatrice de cette institution est une femme : Fatima al-Fihriya. Université Al Quaraouiyi, la plus ancienne au monde. / DR L'affirmation des revendications Si le cheval de bataille de Akhawat Assafâa est la scolarisation des filles, d'autres aspirations sont formulées. La mixité sociale en est un exemple. Ainsi, dans une tribune sous le titre «Assez de conservatisme» du n°5 du journal Démocratie, datant du 4 février 1957, plusieurs militantes du parti s'interrogent sur la séparation physique des hommes et des femmes dans les meetings et réunions politiques. Elles expliquent cette distinction par le conservatisme de certains dirigeants du parti. Elles affirment ainsi leur opposition à cette pratique, qui constitue une forme de discrimination. Page 8 du n°5 du journal Démocratie du 4 février 1957 Dans un article du même numéro, d'autres revendications sont évoquées telles que le droit de vote des femmes, inaccessible avant 1963. L'abolition de la polygamie que les militantes qualifient de conception périmée de la famille et une source de maux sociaux, l'égalité dans l'héritage ou encore le comportement paternaliste que certains hommes peuvent manifester, sans oublier l'accession aux fonctions étatiques (ministres, deputées, ambassadrices). Latifa El Bouhsini explique : «Là où les membres de Akhawat Assafâa se sont le mieux illustrés, c'est leur combat pour l'adoption des juridictions équitables dans le cadre de l'institution matrimoniale. Il s'agissait en l'occurrence, et à titre d'exemple, de revendiquer l'abrogation de la polygamie et la répudiation, en mettant en place le divorce judiciaire, l'élévation de l'âge du mariage et la lutte contre les agressions auxquelles les premières femmes dévoilées faisaient face dans la rue». Page 8 du n°5 du journal Démocratie, datant du 4 février 1957 Une Moudawana insuffisante aux yeux des féministes En 1958, le roi Mohammed V missionne un groupe d'Oulémas pour concevoir le premier Code du statut personnel au Maroc. Ce groupe de réflexion réunit entre autres Mokhtar Soussi, Fqih Daoud et Allal El Fassi, rapporteur du projet. Au cours de l'année est adopté le texte. Malgré qu'il comporte des avancées majeures en matière d'éducation, il est discrédité pour sa dimension traditionnaliste de la part de Akhawat Assafâa. «Les seules réactions à ce nouveau Code sont celles qui ont été exprimées par AKS, qui se sont élevées avec virulence en mettant sur la table de nouveau le débat autour des formes diverses de la discrimination à l'égard des femmes reproduites par le texte de la Moudawana.» Latifa El Bouhsini Les années 1940 sont la période de naissance de la première vague féministe constituée au Maroc. A partir de 1959, la question des droits des femmes est éclipsée par le contexte des affrontements politiques avec la monarchie, que connaîtront les décennies 1960 et 1970. Entre temps, Akhawat Assafâa perd de son influence et disparaît du monde associatif. Ce n'est qu'au milieu des années 1980 que des nouveaux mouvements féministes s'organiseront pour constituer la deuxième vague féministe.