Une semaine après le scrutin du 8 septembre, des questions demeurent sur le comptage des votes invalides et le débat sur le déroulement de ces élections continue. Pour la première fois, les électeurs marocains ont eu à choisir, le même jour, les élus de la Chambre des représentants, deux des conseil communaux et régionaux. Sociologue du politique à l'Institut d'études politiques de l'Université de Lausanne (Suisse), Mounia Bennani-Chraïbi analyse cette situation inédite. Quels sont les outils de la sociologie du vote qui permettent de comprendre le processus électoral ? J'évoquerai trois modèles en particulier. L'approche dite écologique permet de cartographier les résultats électoraux en examinant les caractéristiques des unités géographiques. Au Maroc, Rémy Leveau l'a mobilisée dans l'analyse des premiers scrutins marocains (1959 et 1963). Il a dégagé un clivage particulièrement structurant, celui qui distingue les mondes citadin et rural. Cette démarche permet aussi de cartographier des tendances lourdes en lien avec le tissu économique d'une région, des indices sociaux comme ceux de la pauvreté, le degré d'intégration territoriale, l'histoire protestataire, etc. Un deuxième modèle examine les caractéristiques sociales des électrices et des électeurs (âge, niveau d'étude, situation professionnelle, catégorie socioprofessionnelle, etc.). Cette démarche nécessite l'accès à d'importantes bases de données nationales et la réalisation de grandes enquêtes, voire le traitement de données qui figurent sur les listes électorales et dans les procès-verbaux d'un ensemble de bureaux. Malheureusement, cette approche n'est pas encore d'actualité au Maroc. Le taux de participation, un défi à chaque élection au Maroc En revanche, depuis une vingtaine d'années, les travaux ethnographiques se sont significativement développés dans le royaume. Ils donnent lieu à des observations fines de processus de mobilisation du vote dans un terrain donné. Dans le contexte du Maroc, que nous enseigne cette approche sur les élections du 8 septembre ? Il faut du temps pour traiter les données collectées par les uns et les autres. À ce stade, je me contenterai de rappeler un point : la participation tend à être plus forte pendant les communales. D'ailleurs, si le ministère de l'Intérieur a décidé d'organiser trois scrutins le même jour, c'était entre autres pour tenter de booster la participation. À partir de là, il me semble que le taux de participation du 8 septembre 2021 (50,1%) ne doit pas être comparé à celui des législatives de 2016 (42%) ; il gagnerait plutôt à être rapporté à celui des communales de 2015 (53,7%). Certes, le nombre des inscrits a augmenté en lien avec l'accroissement de la population en âge de voter et des multiples incitations au vote. Mais, il faut garder à l'esprit que seuls 35 % de la population en âge de voter se sont effectivement rendus aux urnes. Elections au Maroc : La participation par régions a enregistré jusqu'à 50% d'écarts D'après des procès-verbaux consultés, le taux de participation reste très faible dans des circonscriptions urbaines de Casablanca (par exemple Sidi Belyout) et beaucoup plus élevé dans celles qui sont à dominantes rurales (Nouaceur). Cette tendance a déjà été relevée lors des derniers scrutins. Par ailleurs, il serait intéressant de déterminer avec exactitude le nombre de votes invalides. Ils tendent à traduire un large éventail de situations : la difficulté à se repérer face à un bulletin rempli de logos, le malaise ressenti face à de nouvelles modalités de vote (qui changent d'un scrutin à l'autre), ou encore l'insatisfaction face à l'ensemble de l'offre politique. Malheureusement, l'organisation de trois scrutins le même jour semble avoir eu un impact négatif sur le processus de comptage et de réalisation des procès-verbaux. À ce stade, du moins, il est difficile d'avoir une idée précise sur le nombre des votes invalides. Certaines analyses avancent que l'échec du PJD était prévisible, mais pas au degré qu'on a vu. Avant les islamistes, les partis de gauche ont connu un déclin, après avoir constitué la première force politique. Peut-on parler de cycles de vie des partis politiques marocains ? Depuis la formation du gouvernement d'alternance «consensuelle» en 1998, on se retrouve dans la configuration suivante. D'une part, des coalitions gouvernementales hétérogènes rassemblent les adversaires de la veille. D'autre part, les grandes orientations stratégiques émanent de l'exécutif monarchique ou d'une commission qu'il mandate. Ces deux aspects tendent en soi à dissoudre les marqueurs idéologiques des partis dont la notoriété initiale est liée à leur histoire militante, à leur marque politique et à un certain ancrage populaire. Le fait même d'entrer dans de tels gouvernements impose des compromis et des collusions, ce qui provoque d'immenses déceptions. «Les élections du 8 septembre ont ramené la scène politique marocaine à l'avant 1998» [Interview] C'est ainsi qu'à des intervalles différents, l'Union socialiste des forces populaires (USFP) de 2007 et le Parti de la justice et du développement (PJD) de 2021 ont déçu deux types d'électorats. D'une part, l'électorat de «calcaire» qui regroupait ceux qui avaient voté pour eux non pas en raison d'une affinité idéologique, mais pour ce qu'ils représentaient et pour les espérances qu'ils avaient suscitées à des moments différents de l'histoire. D'autre part, un électorat supposé de «granit», composé d'une partie de leurs militants et de leurs sympathisants qui ont vécu les compromis comme des compromissions.