400 à 470 ressortissants étrangers, majoritairement des Marocains, des Algériens et des Tunisiens mènent une grève de la faim depuis plusieurs semaines, voire des mois, afin d'obtenir une régularisation collective. Parmi eux, des travailleurs sont sans existence administrative depuis 25 ans. Depuis le 23 mai, Ahmed, originaire du Maroc, est en grève de la faim. Sur les dix ans passés jusque-là en Belgique, il n'a jamais obtenu de titre de séjour. Pourtant et comme près de 470 grévistes de la faim dans son cas, il a travaillé pendant toutes les années vécues en pays d'accueil. Face à une loi floue sur la régularisation des étrangers, le travail précaire et non-déclaré est devenu leur quotidien depuis 10, 15, voire 30 ans pour certains. Majoritairement Marocains, Algériens et Tunisiens, ils viennent aussi du Népal, du Pakistan et des pays d'Afrique subsaharienne. Ce week-end, des associations des protection de droits des étrangers ont manifesté à Bruxelles, pour appeler le gouvernement De Croo à une intervention rapide. «Nous sommes des sans-papiers, mais nous contribuons à l'économie de la Belgique. Nous payons nos loyers, nos factures et autres impôts, tout en subissant plusieurs formes d'exploitation, à commencer par la sous-rémunération et la maltraitance, en plus du risque d'expulsion à tout moment», a déclaré ce lundi à Yabiladi Ahmed, porte-parole du collectif des grévistes de la faim. Au fil des années, ces violences quotidiennes n'ont pas épargné les femmes, qui observent aussi une grève de la faim et dont «certaines ont été violées dans l'exercice de leur travail précaire, sans pouvoir porter plainte, par peur d'être arrêtées et placées en détention en attendant leur expulsion», selon le ressortissant marocain. Une contribution économique nationale passée à la trappe Electricien de réseau à la base, barman pour subvenir tant bien que mal à ses besoins, Ahmed déplore que cette mesure administrative «illogique» risque de mettre fin à «toute une vie construite dans le pays». «Il y a parmi nous certains qui ont fondé une famille ici, mais qui peuvent se retrouver expulsés de la Belgique, du jour au lendemain, comme si toute leur vie n'avais jamais existé». Les enfants de ces familles «ne peuvent pas continuer non plus leurs études dès 16-17 ans, faute de titre de séjour, puisque le droit de sol n'existe pas en Belgique». Sans oublier que de nombreux ressortissants dans cette situation sont pratiquement exilés, puisqu'ils n'ont pas quitté le territoire belge depuis leur première entrée, afin de ne pas risquer d'être refoulés. Dans ces circonstances, les attaches familiales dans les pays d'origine s'effacent. Vu que la situation de ces centaines de travailleurs s'est détériorée, sans solution politique, la mobilisation s'est organisée depuis le début de l'année. Pour cause, la crise de la Covid-19 a aggravé les choses. «Nous avons fait preuve d'altruisme et d'abnégation pendant des années ; nous avons participé au tissu économique en Belgique, en témoignent les chiffres officiels sur l'apport de la migration. Le 30 janvier, nous avons donc décidé sciemment et consciemment de sortir de notre silence et de prendre la parole publiquement», a indiqué Ahmed. «On parle beaucoup des secteurs économiques impactés par la pandémie, mais pas des vies humaines de ces sans-papiers qui ont livré des colis tout au long du confinement, qui ont fait des soins à domicile, fabriqué des masques, travaillé dans les champs… En plus de l'ancrage durable, toutes les circonstances exceptionnelles sont réunies pour nous octroyer enfin nos titres de séjour.» Ahmed En l'absence d'interventions politiques, Ahmed a indiqué que l'occupation de l'église du Béguinage, du gymnase et de l'université à Bruxelles a commencé. «Notre grève de la faim est une solution ultime», estime-t-il, rappelant avoir entamé différentes démarches avant d'en arriver là. «Nous avons remis notre dossier revendicatif au gouvernement, qui est resté silencieux depuis le début de l'année. Nous avons organisé une marche de plus de 2 000 personnes, en avril dernier. Avec la médiation des recteurs de l'ULB/VUB, une nouvelle rencontre a eu lieu en mai et l'exécutif nous a simplement appelé à 'mettre fin à la grève de la faim'», se souvient le porte-parole. Une loi transparente pour la régularisation Parmi ces revendications, le collectif appelle à la mise en place de «critères objectifs et permanents» pour l'octroi de titres de séjour aux travailleurs étrangers. «Pendant toute ma période de travail, il n'y a eu aucune traçabilité de ma contribution économique en Belgique, ce qui ne me permet pas de justifier ma situation professionnelle et qui élimine de facto la possibilité d'avoir des papiers», explique Ahmed. «Il est facile de reprocher aux étrangers de ne pas avoir déposé leurs dossiers auprès des administrations, mais la difficulté de la procédure et son coût, avec de fortes chances d'essuyer un refus après plusieurs années d'examens ont mis en place une méfiance vis-à-vis de ce processus», souligne encore Ahmed. En plus des «368 euros de redevance», il faut compter les frais d'avocat, «à partir de 1 500 euros» et attendre «jusqu'à trois ans ou plus» pour connaître l'issue, qui n'est pas souvent favorable. Pour Ahmed, ce parcours quasiment infranchissable gagnerait à être régulé. Ces derniers jours, la mobilisation du collectif des grévistes de la faim a attiré l'attention d'eurodéputés et du rapporteur de l'ONU sur les droits des réfugiés, nous indique Ahmed. Sur le terrain, la situation reste préoccupante. «La Croix rouge et Médecins du monde sont mobilisés. Cinq référents médicaux, sans-papiers eux aussi, suivent la situation médicale des meneurs de la grève, mais 6 ont déjà fait des crises cardiaques, il y a des cas d'overdoses de médicaments, certains se sont cousus la bouche et d'autres se sont entaillés la main jusqu'à en perdre partiellement la motricité», décrit Ahmed. Pour lui, la grève reste «une lutte» pour des droits et non pas «un acte suicidaire», dans un contexte où la droite et l'extrême droite tendent vers «une approche idéologique et non pas politique du traitement des questions migratoires».