Il suffit de regarder la carte du Maroc pour convenir de sa position géostratégique… Idéalement situé entre l'Europe et l'Afrique et au carrefour de la Méditerranée et de l'Atlantique, le royaume offre une position inégalable pour les grandes puissances économiques et permet, peut se permettre, une géopolitique particulière. Il est l'un des rares pays à bénéficier de cet avantage géographique et à pouvoir – et à se préparer – à accueillir sur son sol les deux grands rivaux que sont la Chine et les Etats-Unis. Pour comprendre que le Maroc a compris cela, il faut revenir au fameux discours royal de Riyad, quand le chef de l'Etat marocain s'exprimait devant ses pairs du Conseil de Coopération du Golfe, et qu'il leur disait ceci : « Après ce qui fut présenté comme un printemps arabe qui a occasionné tant de ravages, de désolations et de drames humains, nous voilà vivre aujourd'hui un automne calamiteux, avec le dessein de (…) de briser les expériences réussies d'autres Etats, comme le Maroc, en portant atteinte à son modèle national original qui le distingue ». Ce passage explique ce qui se produit depuis une semaine à l'ONU où les grandes puissances, au lieu d'acter une réalité sur le terrain, continuent de manœuvrer entre elles en usant du Maroc et de l'Algérie comme autant de pions de leur jeu géopolitique planétaire. Puis le roi poursuivait, dans le même discours : « Tout en restant attaché à la préservation de ses relations stratégiques, le Maroc n'en cherche pas moins, ces derniers mois, à diversifier ses partenariats, tant au niveau géopolitique qu'au plan économique ». « Ces derniers mois », cela remonte donc à plus de cinq années, quand le Maroc avait su tisser des relations inédites, maintenant les anciennes, prospectant de nouvelles, et réussissant même dans certaines d'entre elles. Et dans son discours du 20 aout dernier, le chef de l'Etat disait cela : « Le Maroc a changé parce qu'il n'accepte pas que ses intérêts supérieurs soient malmenés. Corrélativement, il s'attache à fonder des relations solides, constructives et équilibrées, notamment avec les pays voisins ». Alors observons ce qui se produit sur notre sol… Au nord, ce sont les Chinois qui s'installent, à travers la Cité Mohammed VI Tanger Tech, le groupe CCCC/CRBC y détenant désormais 35% des parts. Chine et Maroc étant de vieux pays, ils savent gérer le temps… Sur les 10 prochaines années, la Cité s'étendra sur 200 hectares, absorbera un investissement évalué à 1 milliard de dollars, et abritera diverses activités, allant du textile à l'aéronautique, passant par l'automobile, l'électronique et les machines-outils. Il reste seulement, aujourd'hui, l'onction royale, franche et massive, pour cette cité « chinoise » du nord du Maroc, et il serait possible que cette onction, et l'ouverture en grand du Maroc à Pékin, soit tributaire de l'appui international du Maroc par le membre permanent qu'est la Chine. La Chine est intéressée par le marché européen, elle s'installe donc au nord du Maroc, à quelques pas du grand port Tanger-Med, accentuant sa présence au Maghreb, mais avec une préférence accrue pour le Maroc, ses atouts, sa stabilité (très important, la stabilité…), sa proximité avec le Vieux Continent et ses diverses et nombreuses infrastructures. Et rien n'est perdu pour le projet de TGV Marrakech-Agadir, pour lequel les Chinois ont une longueur d'avance sur les Français. Quant aux Etats-Unis, mus par leur perspective stratégique de se positionner en Afrique, ils ciblent le sud du Maroc, son Sahara pour tout dire. Les provinces méridionales du royaume offrent, en plus de l'offshore et des richesses, une voie directe pour l'implantation dans la région ouest de l'Afrique. D'où la venue au Maroc d'Adam Boehler, patron de la Société américaine de financement du développement international (DFC) et de Prosper Africa , et sa promesse d'injecter 5 milliards de dollars dans cette région nord-ouest-africaine. Les Chinois au nord, les Etats-Unis au sud et au centre du pays… Bien sûr, comme le monde, les choses ne seront pas faites en un jour, ni même une année, mais le positionnement et les perspectives sont là. Avec cette double installation sur son sol des deux premières puissances économiques mondiales, le Maroc réussit son pari de les réunir sur un même territoire, et peut-être même de faire converger par la suite leurs intérêts communs, qui peuvent exister, dans le format business. Le royaume entame donc un jeu géostratégique d'importance, où il est certes utilisé comme pion par les Grands… mais un pion ne permet-il pas au jeu d'échecs de réaliser de considérables succès ? Fort de sa position géographique, donc, le Maroc doit accéder au talent d'être sage avec ses pairs africains, malin avec ses voisins européens et prudent avec les grandes puissances. Il devrait pouvoir réussir, s'il développe une véritable doctrine diplomatique, et s'il le fait savoir…